Je veux un amour plein de sanglots et de pleurs,
Un amour au front pâle orné d’une couronne
De roses dont la pluie a terni les couleurs,
Je veux un amour plein de sanglots et de pleurs.
Je veux un amour triste ainsi qu’un ciel d’automne,
Un amour qui serait comme un bois planté d’ifs
Où dans la nuit le cor mélancolique sonne ;
Je veux un amour triste ainsi qu’un ciel d’automne,
Fait de remords très lents et de baisers furtifs.
À la petite porte qui donne sur les champs
Là-bas tout au bout de l’allée
Derrière les ifs
Au fond de la propriété
La clé est perdue
Depuis combien d’années
Tu m’attends
(René Guy Cadou)
Recueil: Bris de vers Les émeutiers du XXè siècle
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Murs, ville,
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.
Dans la plaine
Naît un bruit.
C’est l’haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu’une flamme
Toujours suit !
La voix plus haute
Semble un grelot.
D’un nain qui saute
C’est le galop.
Il fuit, s’élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d’un flot.
La rumeur approche.
L’écho la redit.
C’est comme la cloche
D’un couvent maudit ;
Comme un bruit de foule,
Qui tonne et qui roule,
Et tantôt s’écroule,
Et tantôt grandit,
Dieu ! la voix sépulcrale
Des Djinns !… Quel bruit ils font !
Fuyons sous la spirale
De l’escalier profond.
Déjà s’éteint ma lampe,
Et l’ombre de la rampe,
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu’au plafond.
C’est l’essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant !
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau, lourd et rapide,
Volant dans l’espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.
Ils sont tout près ! – Tenons fermée
Cette salle, où nous les narguons.
Quel bruit dehors ! Hideuse armée
De vampires et de dragons !
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu’une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée
Tremble, à déraciner ses gonds !
Cris de l’enfer! voix qui hurle et qui pleure !
L’horrible essaim, poussé par l’aquilon,
Sans doute, ô ciel ! s’abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l’on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu’il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon !
Prophète ! si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J’irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs !
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d’étincelles,
Et qu’en vain l’ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs !
Ils sont passés ! – Leur cohorte
S’envole, et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L’air est plein d’un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés !
De leurs ailes lointaines
Le battement décroît,
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l’on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d’une voix grêle,
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d’un vieux toit.
D’étranges syllabes
Nous viennent encor ;
Ainsi, des arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s’élève,
Et l’enfant qui rêve
Fait des rêves d’or.
Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leurs pas ;
Leur essaim gronde :
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu’on ne voit pas.
Ce bruit vague
Qui s’endort,
C’est la vague
Sur le bord ;
C’est la plainte,
Presque éteinte,
D’une sainte
Pour un mort.
On doute
La nuit…
J’écoute : –
Tout fuit,
Tout passe
L’espace
Efface
Le bruit.
Décembre a noirci l’if et gelé le bassin,
Le buis silencieux est saupoudré de givre,
L’aurore est d’acier clair et le couchant de cuivre,
Le vent, qui rôde, hurle et mord l’Amour au sein.
La Déesse frissonne et le lierre assassin
Étouffe la statue à la gorge. Un Faune ivre
Voit l’outre se durcir, et son pas qui veut suivre
La Nymphe, sent monter la gaine qui l’étreint.
La fête est morte avec sa musique et sa joie!
L’Hiver fait un vieillard de l’Été qu’il coudoie
Et le parc semble mort qui fut jadis vivant.
Mais, immortelle encor par la gamme et l’arpège,
J’écoute, à travers l’ombre et la mort et le vent,
Une flûte à mi-voix qui chante dans la neige.
C’est le concert doux des voix pleureuses,
Vieux chagrins résignés et tendresses
Que l’on méconnut et la tristesse
Des élans réprimés. Effleureuses
Voix sourdes, pleurez comme les ifs
Embrumés qu’échevèle un vent convulsif.
C’est le concert tout en lancinances
Des désirs contraires et la ronde
Des corbeaux et des folles arondes
Par le ciel fleuri d’incohérences:
Rouges pompeux, tristes violets
Dont se mêlent, en accords faux, les reflets.
C’est le concert vraiment sans mesures
Des baisers profonds et des morsures;
Le vibrement nerveux des ciguës
Sous l’archet des bises ambiguës
D’avril où reluit un soleil blond
Que voile une averse blême de grêlons.
C’est surtout l’écart entre le rêve
Et le réel qui, sans nulle trêve,
Par des accents forcenés s’exprime,
Comme une blessure s’envenime,
Puis éclate enfin en gémissant
Et remplit l’horizon noir d’un flot de sang.