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Je me tenais devant le mystère de la femme (Edvard Munch)

Posted by arbrealettres sur 2 avril 2023



Illustration: Edvard Munch
    
Je me tenais devant le mystère
de la femme — J’ai plongé le regard
dans un monde insoupçonné —
Ma curiosité — s’est éveillée
— Que signifiait ce regard —
que savait — ce regard que moi
j’ignorais

(Edvard Munch)

Recueil: Mots de Munch
Traduction: Hélène Hervieu
Editions: de la réunion des grands musées nationaux – Grand Palais

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LA VUE, LE TOUCHER (Octavio Paz)

Posted by arbrealettres sur 25 mars 2023




LA VUE, LE TOUCHER

La lumière soutient – impondérables, réels –
la colline blanche et les rouvres noirs,
le sentier qui avance,
l’arbre qui ne bouge;

la lumière naissante cherche son chemin,
fleuve titubant qui dessine
ses doutes et les mue en certitudes,
fleuve de l’aube sur des paupières closes;

la lumière sculpte le vent sur le rideau,
fait de chaque heure un corps vivant,
entre dans la chambre et glisse lentement,
pieds nus, sur le fil du couteau;

la lumière naît femme dans un miroir,
nue sous des feuillages diaphanes :
un regard l’enchaîne,
un cillement la dissipe;

la lumière palpe les fruits, palpe l’invisible,
jarre où les yeux boivent des clartés,
flamme coupée en fleur, flamme qui ne sommeille
où le papillon brûle ses ailes noires;

la lumière ouvre les plis du drap,
les replis de la pubescence,
flambe dans la cheminée, ses flammes sont des ombres,
grimpent au mur, lierre du désir;

la lumière n’absout pas, ne condamne pas,
elle ignore justice et injustice,
la lumière dresse de ses mains invisibles
les édifices de la symétrie;

la lumière s’échappe dans un couloir de reflets
et retourne à elle-même :
c’est une main qui s’invente,
un oeil qui se surprend à inventer.

La lumière est temps qui se pense.

(Octavio Paz)

Illustration: Giovanni Bellini

 

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J’aurais pu dire… (Bernard Pivot)

Posted by arbrealettres sur 11 mars 2023




    
J’aurais pu dire :
Vieillir, c’est désolant, c’est insupportable,
C’est douloureux, c’est horrible,
C’est déprimant, c’est mortel.
Mais j’ai préféré « chiant »
Parce que c’est un adjectif vigoureux
Qui ne fait pas triste.
Vieillir, c’est chiant parce qu’on ne sait pas quand ça a commencé
et l’on sait encore moins quand ça finira.

Non, ce n’est pas vrai qu’on vieillit dès notre naissance.
On a été longtemps si frais, si jeune, si appétissant.
On était bien dans sa peau.

On se sentait conquérant.
Invulnérable.
La vie devant soi.
Même à cinquante ans, c’était encore très bien…. Même à soixante.

Si, si, je vous assure,
j’étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de flamme.
Je le suis toujours, mais voilà,
entre-temps j’ai vu le regard des jeunes…..
Des hommes et des femmes dans la force de l’âge
qui ne me considéraient plus comme un des leurs,
même apparenté, même à la marge.

J’ai lu dans leurs yeux
qu’ils n’auraient plus jamais d’indulgence à mon égard.
Qu’ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables.

Sans m’en rendre compte,
j’étais entré dans l’apartheid de l’âge.

Le plus terrible est venu des dédicaces des écrivains, surtout des débutants.
« Avec respect »,
« En hommage respectueux »,
« Avec mes sentiments très respectueux ».

Les salauds !
Ils croyaient probablement me faire plaisir
en décapuchonnant leur stylo plein de respect ?
Les cons !

Et du ‘cher Monsieur Pivot’ long et solennel
comme une citation à l’ordre des Arts et Lettres
qui vous fiche dix ans de plus !

Un jour, dans le métro, c’était la première fois,
une jeune fille s’est levée pour me donner sa place…
J’ai failli la gifler.
Puis la priant de se rasseoir,
je lui ai demandé si je faisais vraiment vieux,
si je lui étais apparu fatigué. !!!… ?

– « Non, non, pas du tout,
a-t-elle répondu, embarrassée. J’ai pensé que”.
– Moi aussitôt : « Vous pensiez que ? »
– « Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus,
que ça vous ferait plaisir de vous asseoir. »
– « Parce que j’ai les cheveux blancs ? »
– « Non, c’est pas ça, je vous ai vu debout
et comme vous êtes plus âgé que moi, ça a été un réflexe, je me suis levée. »
– « Je parais beaucoup… beaucoup plus âgé que vous ? »
– « Non, oui, enfin un peu, mais ce n’est pas une question d’âge. »
– « Une question de quoi, alors ? »
– « Je ne sais pas,
une question de politesse, enfin je crois. »

J’ai arrêté de la taquiner,
je l’ai remerciée de son geste généreux
et l’ai accompagnée à la station où elle descendait pour lui offrir un verre.

Lutter contre le vieillissement
c’est, dans la mesure du possible,
ne renoncer à rien.
Ni au travail, ni aux voyages,
ni aux spectacles, ni aux livres,
ni à la gourmandise, ni à l’amour, ni au rêve.

Rêver, c’est se souvenir,
tant qu’à faire, des heures exquises.
C’est penser aux jolis rendez-vous qui nous attendent.
C’est laisser son esprit vagabonder
entre le désir et l’utopie.

La musique est un puissant excitant du rêve.
La musique est une drogue douce.
J’aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil
en écoutant soit l’Adagio du Concerto n° 23 en La majeur de Mozart,
soit, du même, l’Andante de son Concerto n° 21 en Ut majeur,
musiques au bout desquelles se révéleront à mes yeux pas même étonnés
les paysages sublimes de l’au-delà.
Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés.
Nous allons prendre notre temps.
Avec l’âge le temps passe, soit trop vite, soit trop lentement.
Nous ignorons à combien se monte encore notre capital.
En années ? En mois ? En jours ?

Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous reste comme un capital.
Mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes capables,
il faut jouir sans modération.

Après nous, le déluge ?…
Non, Mozart.

(Bernard Pivot)
    

    

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Apprendre (Hervé Lesage)

Posted by arbrealettres sur 26 février 2023



Illustration: Karen l’Hemeury
    
Apprendre

la patience et l’ivresse douce
de parler aux arbres

eux qui vous font réponse
sans faillir
et vous portent à aimer
le silence.

Le chemin s’ouvre sans hâte.
Il y a loin du premier pas
A la première souche
A la première pause.

La lumière joue le jeu des
ombres où tu cherches trop tôt
le miracle d’une clairière.

Mais la souffrance décroît
ou emprunte d’autres voies
que tu veux ignorer.

(Hervé Lesage)

Recueil: Ecrits pour le feu
Editions: Rétro-Viseur

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L’AUBERGE DES ERRANTS (Hermann Hesse)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2023




    
L’AUBERGE DES ERRANTS

Comme il est étrange et saisissant
Que chaque nuit, sans cesse,
Coule la fontaine discrète
Dans l’ombre fraîche des érables,

Et encore et toujours, tel un parfum,
S’étale le clair de lune sur les toits,
Et par les airs, frais et sombres,
Vole l’essaim léger des nuages.

Tout cela existe, est bien réel,
Mais nous, errants, reposons une nuit,
Puis repartons par les champs,
Et nul ne pense plus à nous.

Bien plus tard, des années après peut-être,
Un rêve en nous évoque la fontaine,
La porte et le toit, et comme tout était là,
Et comme maintenant et longtemps encore tout sera là.

C’est en nous un petit jardin familier,
Et pourtant il n’y eut qu’une halte brève,
Un toit étranger pour l’hôte inconnu,
Il ignore la ville et le nom.

Comme il est étrange et saisissant
Que chaque nuit, sans cesse,
Coule la fontaine discrète
Dans l’ombre fraîche des érables…

(Hermann Hesse)

 

Recueil: L’Allemagne en Poésie
Traduction: Rémi Laureillard
Editions: Folio Junior

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Emmène-moi (Boulevard des Airs)

Posted by arbrealettres sur 24 décembre 2022



    

Emmène-moi

Je suis comme un grain de sable
Perdu dans l’océan
J’ai perdu mon cartable
J’ai perdu mes parents

Je suis comme l’eau des courants
Fatigué d’ignorer
Si je coule dans le vent
Si je fais que passer

Emmène-moi voir la mer
Fais-moi boire l’océan
Emmène-moi dans les airs
Aime-moi dans le vent

Emmène-moi voir la mer
Fais-moi boire l’océan
Emmène-moi dans les airs
Aime-moi dans le vent

Je suis comme une poussière
Si je m’envole un matin
Je retourne à la terre
Je m’en vais et je viens

Je suis comme l’eau des fontaines
Impuissant et lassé
Poussé par ce système
Qui poursuit sans cesser

Emmène-moi voir la mer
Fais-moi boire l’océan
Emmène-moi dans les airs
Aime-moi dans le vent

Emmène-moi voir la mer
Fais-moi boire l’océan
Emmène-moi dans les airs
Aime-moi dans le vent

Je suis comme les autres en fait
Je ne saurai jamais
Si je poursuis la quête
Si j’ai laissé tomber

Je suis comme rempli d’espoir
Ce matin je renais
Emmène-moi près du phare
Allons jusqu’aux rochers

Emmène-moi voir la mer
Fais-moi boire l’océan
Emmène-moi dans les airs
Aime-moi dans le vent

Emmène-moi voir la mer
Fais-moi boire l’océan
Emmène-moi dans les airs
Aime-moi dans le vent

(Boulevard des Airs)

(Florent Dasque / Jean Baptiste Labe / Jean Noel Dasque / Jeremie Plante / Melissa Doya / Pierre Emmanuel Aurousset / Sylvain Duthu)

 

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Au loin disparu (Su Wu)

Posted by arbrealettres sur 13 décembre 2022



Illustration: Shan Sa
    
Au loin disparu

Le cygne déploie ses ailes agiles et laisse le vent le porter au loin.
Un air vif le rappelle au souci et il tourne la tête, incertain.
Un cheval livre ses pas lourds à la steppe désertée — les siens sont partis.
Son coeur s’enlise dans des pensées interdites comme ses sabots dans la glaise meuble.
Le destin s’abat sans pitié sur deux dragons que leurs ailes opposent.
Il reste pourtant les chants qui savent révéler les amours secrets.
À l’ami qui s’en va, je joins les mots du ruisseau où coulent mes larmes.
L’écho des tambours exalte les vertus mâles et déchire les coeurs des compagnons vaincus.
La solitude des vers alimente le brasier du souvenir
Et plombe mon âme mon âme brisée dans l’horizon des peines.
J’aimerais pouvoir entonner encore les airs de l’enfance,
Ton pays est loin désormais — il t’ignore jusqu’au trépas.
Le mal me dévisage et il pleut sur les joues des filets d’amertume.
Les cygnes volent leur vie entière deux à deux
Mais pour nous, hommes, qui ne pouvons nous envoler ensemble
Il n’y a que routes mornes aux destins séparés.

(Su Wu)

(140-60)

 

Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel

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J’ai toujours l’espérance de grandes choses (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 27 novembre 2022




J’ai toujours l’espérance de grandes choses.
J’ignore en quoi elles consistent et je les attends
sans impatience. Il est même possible qu’elles
soient déjà venues sans que je m’en sois rendu
compte. Mon âme est comme un chien en arrêt
devant un buisson, aux aguets d’un gibier proche
et invisible. Bien sûr je n’attrape jamais rien,
aucune proie, juste, et c’est suffisant, la certitude
éblouie d’avoir entrevu une chose plus grande
que ma vie et pourtant accordée à elle, une
lumière si pure qu’elle en est presque cruelle.

(Christian Bobin)

Illustration: Svetoslav Stoyanov

 

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Donnez-moi de mes nouvelles (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 26 novembre 2022



On me parle. Les mots sont des grains de sable.
L’ensemble fait désert. J’ai perdu une chose mais j’ignore quoi.
Il est même douteux que je l’ai jamais possédée, cette chose.
Pourtant, c’est sûr, je l’ai perdue.
Expliquez-moi qui je suis.
Donnez-moi de mes nouvelles.

(Christian Bobin)

Illustration: Sophie Rocco

 

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Feu et cendres (Eftim Kletnikov)

Posted by arbrealettres sur 26 novembre 2022



Illustration: Annie Got
    
Feu et cendres

Le feu ignore
Les cendres
Et brûle

Les cendres se souviennent
Du feu
Et rêvent

Dans les tombes
Les cendres sont ivres de feu
Et d’éternité glacée

Mais nul
Ne pense à elles
Mis à part les morts.

Nul ne pense
À elles

Même le feu
Qui erre infiniment
De noces en noces.

***

(Eftim Kletnikov)

Adaptation de Jean-Pierre Spilmont
d’après une traduction de Konstantin Plevnès

 

Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers

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