Plus jamais de chambre pour nous,
Ni de baisers à perdre haleine
Et plus jamais de rendez-vous
Ni de saison, d’une heure à peine,
Où reposer à tes genoux.
Pourquoi le temps des souvenirs
Doit-il me causer tant de peine
Et pourquoi le temps du plaisir
M’apporte-t-il si lourdes chaînes
Que je ne puis les soutenir ?
Rivage, oh ! rivage où j’aimais
Aborder le bleu de ton ombre,
Rives de novembre ou de mai
Où l’amour faisait sa pénombre
Je ne vous verrai plus jamais.
Plus jamais. C’est dit. C’est fini
Plus de pas unis, plus de nombre,
Plus de toit secret, plus de nid,
Plus de lèvres où fleurit et sombre
L’instant que l’amour a béni.
Quelle est cette nuit dans le jour ?
Quel est dans le bruit ce silence ?
Mon jour est parti pour toujours,
Ma voix ne charme que l’absence,
Tu ne me diras pas bonjour.
Tu ne diras pas, me voyant,
Que j’illustre les différences,
Tu ne diras pas, le croyant,
Que je suis ta bonne croyance
Et que mon coeur est clairvoyant.
Mon temps ne fut qu’une saison.
Adieu saison vite passée.
Ma langueur et ma déraison
Entre mes mains sont bien placées
Comme l’amour en sa maison.
Adieu plaisirs de ces matins
Où l’heure aux heures enlacée
Veillait un feu jamais éteint.
Adieu. Je ne suis pas lassée
De ce que je n’ai pas atteint.
Ce que toutes les cosmogonies des grandes religions illustrent
et que la physique quantique a mis en évidence,
c’est qu’une partie de l’univers est (dans) celui qui l’observe.
(Christiane Singer)
Recueil: Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?
Traduction:
Editions: LE LIVRE DE POCHE
Le véritable Nom n’est pas celui qui dore les portiques,
illustre les actes; ni que le peuple mâche de dépit;
Le véritable Nom n’est point lu dans le Palais même, ni aux
jardins ni aux grottes, mais demeure caché par les eaux
sous la voûte de l’aqueduc où je m’abreuve.
Seulement dans la très grande sécheresse, quand l’hiver crépite
sans flux, quand les sources, basses à l’extrême, s’encoquillent dans leurs glaces,
Quand le vide est au coeur du souterrain et dans le souterrain
du coeur, — où le sang même ne roule plus, — sous la
voûte alors accessible se peut recueillir le Nom.
Mais fondent les eaux dures, déborde la vie, vienne le torrent
dévastateur plutôt que la Connaissance!
Il s’agit moins d’illustrer une démarche
que de cerner un regard.
Nous écrivons souvent par les interstices dans les œuvres des autres.
Aussi bien celles d’un peintre ou d’un musicien que d’un écrivain.
« La mise au clair du monde dans son resplendissement d’or » (Heidegger),
la chambre avec lumière « pareille à un cube d’argent évidé » de Musil,
ou « l’art de passer les eaux sous la lumière feue » du nocher de Jouve.
Mais aussi : les murs éblouis de Morandi dans les collines de Grizzana,
les doigts du soleil posés sur une nappe par Bonnard, les brisures du ciel
que sont les femmes bleues de Matisse.
Et en musique, certains intermezzi de Brahms,
la sonate opus III de Beethoven,
les chants de l’aube de Schumann.
Des présences dont la grandeur
tient dans la douceur mortelle
de leur effacement.