Je suis le cuisinier d’un feu de poésie,
Magicien tournant dans la marmite d’or
Le coeur purifié des paroles choisies
Avec le piment noir et pourpre de la Mort.
Je suis le capitaine d’un prince plus fort
Que tous les conquérants des Indes ou d’Asie,
Chuchotant tout à coup aux oreilles saisies
Le mot de passe impérieux, de port en port.
Par le monde mon seul adversaire est l’ennui;
Pour le mettre en déroute il n’est que sérénades :
Le caprice arlequin en bondissant me suit.
Bien déluré d’ailleurs qui dira d’où je suis,
Car chasseur kurde ou guitariste de Grenade,
J’enferme des oiseaux dans un cercle de nuit.
Si je te touche, belle, tu glaces d’horreur,
Tu montres l’idée nue et, plus cruelle,
Avant que rien m’ait détrompé,
Déjà tu m’as lié à d’autres peines.
Pourquoi crées-tu, pensée, en corrompant?
Pourquoi persévéré-je à t’écouter?
Quel éternel secret
Me hantera toujours en toi?
Je te traque, je te recherche,
Je regravis la pente, sans répit,
Et toujours, inlassable en la tempête
Ou désarmant les rocs,
Tu damnes par les images.
Présence
impérieuse et pourtant retenue
comme une haleine
regarde nos longs chemins d’ombre.
mes mains tendues,
nos bouches perdues
notre demeure ouverte où tu n’habites pas.
Aux cimes de chastes cristaux,
l’âme perd connaissance,
se détache comme une bulle,
voyage aux plus profondes pistes
parfois dans les arches d’une aube
A la lisière du Grand Bois
cette gueule béante entre les branches
est l’entrée du labyrinthe.
Une voix impérieuse
venue de nulle part
t’ordonne de marcher,
de pénétrer dans les entrailles noires.
Derrière toi les routes sont coupées,
les villes engluées dans leurs clameurs
où tu n’as plus de place
ni de nom.
Et te voici errant dans la ténèbre;
tu n’entends plus
que le bruit de ton pas,
au loin une rumeur de vie:
grognements, sifflements
souffles, râles et plaintes.
Peu à peu s’est levée une lueur lunaire
sur le vertige des couloirs.
Sans règle ni repères
tu marches droit, suivant ton coeur,
tandis que s’enfle,
toujours plus proche,
le grondement de la Bête.
(Jean Joubert)
Recueil: Longtemps j’ai courtisé la nuit
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Peut-être
Lorsque mon dernier jour viendra,
Peut-être
Qu’à ma fenêtre,
Ne fût-ce qu’un instant,
Un soleil frêle et tremblotant
Se penchera.
Mes mains alors, mes pauvres mains décolorées
Seront quand même encore par sa gloire dorées ;
Il glissera son baiser lent, clair et profond
Une dernière fois, sur ma bouche et mon front,
Et les fleurs de mes yeux, pâles, mais encore fières
Avant de se fermer lui rendront sa lumière.
Soleil, ai-je adoré ta force et ta clarté !
Mon art torride et doux, de son geste suprême,
T’a retenu captif au cœur de mes poèmes ;
Comme un champ de blé mûr qui houle au vent d’été,
Telle page t’anime et t’exalte en mes livres,
Ô toi, soleil qui fais éclore et qui délivres,
Ô toi, l’immense ami dont l’orgueil a besoin,
Fais qu’à cette heure grave, impérieuse et neuve
Où mon vieux cœur humain sera lourd sous l’épreuve,
Tu sois encore son visiteur et son témoin.