La lumière soutient – impondérables, réels –
la colline blanche et les rouvres noirs,
le sentier qui avance,
l’arbre qui ne bouge;
la lumière naissante cherche son chemin,
fleuve titubant qui dessine
ses doutes et les mue en certitudes,
fleuve de l’aube sur des paupières closes;
la lumière sculpte le vent sur le rideau,
fait de chaque heure un corps vivant,
entre dans la chambre et glisse lentement,
pieds nus, sur le fil du couteau;
la lumière naît femme dans un miroir,
nue sous des feuillages diaphanes :
un regard l’enchaîne,
un cillement la dissipe;
la lumière palpe les fruits, palpe l’invisible,
jarre où les yeux boivent des clartés,
flamme coupée en fleur, flamme qui ne sommeille
où le papillon brûle ses ailes noires;
la lumière ouvre les plis du drap,
les replis de la pubescence,
flambe dans la cheminée, ses flammes sont des ombres,
grimpent au mur, lierre du désir;
la lumière n’absout pas, ne condamne pas,
elle ignore justice et injustice,
la lumière dresse de ses mains invisibles
les édifices de la symétrie;
la lumière s’échappe dans un couloir de reflets
et retourne à elle-même :
c’est une main qui s’invente,
un oeil qui se surprend à inventer.
Pour ce rien cet impondérable
Qui fait qu’on croit à l’incroyable
Au premier regard échangé
Pour cet instant de trouble étrange
Où l’on entend rire les anges
Avant même que de se toucher
Pour cette robe que l’on frôle
Ce châle quittant vos épaules
En haut des marches d’escalier
Je vous aime Je vous aime
Pour la lampe déjà éteinte
Et la première de vos plaintes
La porte à peine refermée
Pour vos dessous qui s’éparpillent
Comme des grappes de jonquilles
Aux quatre coins du lit semés
Pour vos yeux de vague mourante
Et ce désir qui s’impatiente
Aux pointes de vos seins levés
Je vous aime Je vous aime
Pour vos toisons de ronces douces
Qui me retiennent me repoussent
Quand mes lèvres vont s’y noyer
Pour vos paroles démesure
La source le chant la blessure
De votre corps écartelé
Pour vos reins de houle profonde
Pour ce plaisir qui vous inonde
En long sanglots inachevés
Je vous aime Je vous aime
Bienheureux ceux qui vont cassés et vermoulus
S’appuyer souriants au mur du cimetière,
Sachant qu’ils sont vivants, tous ceux qui ne sont plus;
Certains d’être attendus par eux dans la lumière
Des paradis prochains dont les portes flamboient:
Bienheureux ceux qui croient.
Bienheureux ceux qui sont assis coeur contre coeur
La nuit sur les seuils noirs ou les vieux bancs de pierre
Dans le parfum des lys et de la vigne en fleur,
Partageant simplement l’ivresse de la terre,
Alors que la blancheur des vergers fous essaime:
Bienheureux ceux qui s’aiment.
Bienheureux les naïfs et bienheureux les fous
Dont les trésors sont faits d’un or impondérable:
Caresses de leur chien, cri d’un oiseau, le doux
Murmure qu’ont le soir les branches des érables
Aux souffles languissants du vent qui les soulèvent:
Bienheureux ceux qui rêvent.
Et bienheureux aussi les tendres dont les yeux
Sont humides quand un violon bégaie
Sous l’archet d’un aveugle, ou que vibre amoureux
Le contralto d’un merle à travers la futaie,
Quand parmi les joncs bleus des clartés d’astres meurent:
Bienheureux ceux qui pleurent.
J’écouterai jusqu’au dernier mot d’amour
même après le baisser du rideau
je saurai pourquoi j’ai combattu
résisté à la bride des cavaleries
en salves de plaies et de délire
je saurai en écoutant le bruit de mon coeur
J’ai une fois vu un jeune arbre vert
dont la présence brisait l’obscurité.
Il avait pour nom la tendresse,
au Bois des Ombres il poussait
Ses feuilles étaient de petites mains
qui dispersaient un or impondérable
et jamais l’or ne resplendissait moi
il m’aurait retenu si j’avais su attendre.
Il est quelque part nimbé de lumière
mais j’ai oublié où il se tenait
et une fois abandonné, jamais la Seconde
le trouvera-t-on au Bois des Ombres.
Par tendresse je déposerais l’arme
qui tient la mort à l’écart,
mais les petits mots de tendresse
sont difficiles à dire pour l’homme d’ombre.
***
SHADOW WOOD
I once looked on a young green tree
that shattered darkness where it stood.
The name of it was tenderness
and where it grew was Shadow Wood.
The leaves of it were little hands
that scattered gold that had no weight,
and never dimmed to lesser gold:
it would have held me could I wait
Somewhere it stays in grace of light
but I’ve forgotten where it stood,
and once abandoned, never twice
can it be found in Shadow Wood.
For tenderness I would lay down
the weapon that holds death away,
but little words of tenderness
are hard for shadow man to say.
(Tennessee Williams)
Recueil: Dans l’hiver des villes
Traduction: Jacques Demarcq
Editions: Seghers