Au mois de mai j’avais le cœur si grand
Que pour l’emplir je me suis en allée
Cherchant l’amour sans savoir quelle allée,
Pour le rencontrer, quel chemin on prend…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du printemps, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
J’allais, j’allais. Où trouver de l’amour ?
Au bas de la côte, au faîte, derrière ?
Au fond du bois, au bout de la rivière ?
Ici, là-bas, à ce prochain détour ?…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
De l’été, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
Quand je le vis, je n’osai pas à temps
M’en approcher ou lui faire une avance;
Je l’attendais ouvrant mon cœur immense…
Il n’est tombé qu’une goutte dedans…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du soleil, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
Est-ce là tout, cette goutte, est-ce tout ?
Je voudrais bien recommencer l’année,
La goutte d’eau qui m’était destinée,
Je voudrais bien la boire encore un coup…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Des feuilles, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
Est-ce bien tout ?… Peut-être, dans un coin
Que j’oubliai, peut-être avant la neige,
Un peu d’amour encor le trouverai-je,
Peut-être ici, peut-être un peu plus loin…
Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du bonheur, sais-tu s’il en reste encore ?
L’hiver vient…
(Marie Noël)
Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers
Quand je serai le cheval de pierre
debout devant l’éternité
je demanderai aux divinités des plantes
le manteau de pluies indispensable aux voyageurs éternels
Aujourd’hui je suis dans un puits glacé
où pleurent les madones noyées par leurs larmes et la pluie éternelle
qui recouvre les pensées des hommes
leurs souvenirs et leurs ambitions déjà flétris
par une main inexperte
et incolore comme l’eau d’une carafe
où vit cependant l’oeil de ma bien-aimée
couleur de citron et d’orage implacable
Sois comme l’eau
celle de la source et celle des nuages
tu peux être irisé ou même incolore
mais que rien ne t’arrête
pas même le temps
Il n’y a pas de chemins trop longs
ni de mers trop lointaines
Ne crains ni le vent
ni encore moins le chaud ou le froid
Apprends à chanter
sans jamais te lasser
murmure et glisse-toi
ou arrache et bouscule
Bondis ou jaillis
Sois l’eau qui dort
qui court qui joue
l’eau qui purifie
l’eau douce et pure
puisqu’elle est la purification
puisqu’elle est la vie pour les vivants
et la mort pour les naufragés
(Philippe Soupault)
Recueil: Poèmes et poésies
Traduction:
Editions: Grasset
Que je me lève et je parte, que je parte pour Innisfree,
Que je me bâtisse là une hutte, faite d’argile et de joncs.
J’aurai neuf rangs de haricots, j’aurai une ruche
Et dans ma clairière je vivrai seul, devenu le bruit des abeilles.
Et là j’aurai quelque paix car goutte à goutte la paix retombe
Des brumes du matin sur l’herbe où le grillon chante,
Et là minuit n’est qu’une lueur et midi est un rayon rouge
Et d’ailes de passereaux déborde le ciel du soir.
Que je me lève et je parte, car nuit et jour
J’entends clapoter l’eau paisible contre la rive.
Vais-je sur la grand route ou le pavé incolore,
Je l’entends dans l’âme du coeur.
***
THE LAKE ISLE OF INNISFREE
I will arise and go now, and go to Innisfree,
And a small cabin build there, of clay and wattles made :
Nine bean-rows will I have there, a hive for the honeybee,
And live alone in the bee-loud glade.
And I shall have some peace there, for peace comes dropping slow,
Dropping from the veils of the morning to where the cricket sings ;
There midnight’s all a glimmer, and noon a purple glow,
And evening full of the linnet’s wings.
I will arise and go now, for always night and day
I hear lake water la pping with low sounds by the shore;
While I stand on the roadway, or on the pavements grey,
I hear it in the deep heart’s core.
Au moulin d’encre on y apporte
les draps noirs de l’illusion
Les reflets indigo s’en vont
avec les frappes du torrent
et le gris ciselé des nuages
Au moulin d’eau on y apporte
les draps blancs de la famine
Les reflets jaunâtres s’en vont
et la solitude la bile
avec les croûtes d’argile
Au moulin d’or on y apporte
les draps verts de la magie
Les reflets de mousse s’en vont
drôles de barbes assagies
postiches sur des troncs d’arbre
Au moulin du rêve au moulin du son aigu
au moulin du raclement de gorge
on y apporte les draps incolores du sens
mais rien ne part rien ne s’accroche
ton sur ton ni foi ni teinte