Je m’habille chaque jour d’un bleu nouveau
veste électrique ou indigo
turquoise vase troublée des émaux
fluorescence ou lait de brumes
rage violette cernes de lune
Un chant flotta comme une écume
La branche tremblait sous l’oiseau
Et l’arbre, d’écume en écho,
Transmit le poème de plume
Mais vers le ciel renouvelé
Quand l’oiseau se fut envolé
Jusqu’à l’indigo de l’aurore
Pour les belles et pour les blés
Une branche tremblait encore,
Puis au fil de l’herbe et de l’eau
L’orme prolongea sans oiseau
Le végétal message d’ailes
Et tard sans arbre et sans amour
Du côté des lèvres fidèles
Le silence chantait toujours.
LES verts et l’indigo brûlant et l’azur pâle
Que roule dans ce faste impertinent ton flot,
Et les étoiles d’or et la lune d’opale
Que tu balances dans la nuit comme un falot,
Tu les as pris aux ciels merveilleux des aurores,
Aux rêves des minuits, aux gloires des couchants
Pour en farder l’éclat de tes houles sonores,
Et tu cherches l’écho des roches pour leurs chants!
Ne sens-tu pas en toi l’opulence de n’être
Que par toi seule belle, ô Mer, et d’être toi?
N’as-tu pas ton arcane où nul oeil ne pénètre,
Comme l’Espace! et n’as-tu pas, aussi, l’effroi?…
Pour toi, mon coeur, qui ris de honte et te renies,
Si leur gloire sur toi pèse d’un vaste poids;
Si, sous l’immensité des cieux et des génies,
Ta vaine vanité semble un crime parfois;
Du moins sois fier, malgré les soirs d’impatience
Exulte d’être toi, puisque tu restes tel —
Toi qui n’as pas, rythmant quelque réminiscence,
Cherché le plagiat qui m’eût fait immortel!
De sa cage de nuages et de pluie
Un bel oiseau s’est évadé
pour se poser sur les doigts du soleil
Bleu indigo violet
Vert jaune orangé rouge
Plus un enfant ne bouge
Le bel oiseau a déployé
Ses plumes sur le ciel
l’anti-terre de lumière. Et à travers chaque fissure
de terre, les champs
indigo qui brûlent
sous un vent foisonnant d’étoiles.
Ce qui est enfermé
dans l’oeil qui t’a pénétré
sert toujours
d’image du foyer : la barrière
d’une chaise vide, et le père, absent,
toujours fleurissant dans son vase
à la lunaire.
Tu fermeras les yeux.
Dans l’oeil du corbeau qui vole devant toi
tu te regarderas
te laisser en arrière.
Océan de cris de moineaux.
Il fait nuit… mais si clair !
Que demander de mieux.
Il fait nuit… mais si clair !
Sur les lèvres innocentes
un océan de cris de moineaux.
Ah ! sous la lune, quelle
lumière… jetons-nous à l’eau !
Par ce beau temps indigo
je ne veux point de repos.
Ah ! sous la lune, quelle
lumière… jetons-nous à l’eau !
L’aimée, c’est toi, c’est elle ?
Lèvres insatiables.
Lèvres qui, comme en eaux rapides,
étanchent ma vie. Ces lèvres.
L’aimée, c’est toi, c’est elle ?
Les roses, que me chuchotent-elles ?
J’ignore que sera demain.
Tout près, quelque part — va savoir,
la joyeuse flûte s’afflige.
Dans le bourdonnement du soir
je vénère du sein le lys.
La joyeuse flûte s’afflige,
j’ignore que sera demain.
***
(Sergueï Essénine)
Recueil: Journal d’un poète
Traduction: Christiane Pighetti
Editions: De la Différence
La feuillée d’or s’est mise à tournoyer.
Sur l’eau rosissante de l’étang
comme un vol de papillons ailés
file vers l’étoile en mourant.
Je suis amoureux du soir qui tombe,
il m’est cher ce val jaunissant.
L’aquilon polisson a soulevé
la robe du bouleau dénudé.
Par le val comme en moi il fait doux,
l’ombre indigo passe en troupeau.
Derrière la haie du jardin qui se tait
s’évanouit la sonnaille des clochettes.
À écouter la chair pleine de raison
jamais je n’ai pris tant de soin.
Il ferait si bon, comme branche de saule,
s’abandonner à la roseur de l’eau.
Il ferait si bon, à la gueule de la lune,
rire sur la meule en mâchouillant le foin…
Où es-tu, où es-tu, joie sereine
à tout aimer, et ne désirer rien ?
(Sergueï Essénine)
***
Recueil: Journal d’un poète
Traduction: Christiane Pighetti
Editions: De la Différence
Au moulin d’encre on y apporte
les draps noirs de l’illusion
Les reflets indigo s’en vont
avec les frappes du torrent
et le gris ciselé des nuages
Au moulin d’eau on y apporte
les draps blancs de la famine
Les reflets jaunâtres s’en vont
et la solitude la bile
avec les croûtes d’argile
Au moulin d’or on y apporte
les draps verts de la magie
Les reflets de mousse s’en vont
drôles de barbes assagies
postiches sur des troncs d’arbre
Au moulin du rêve au moulin du son aigu
au moulin du raclement de gorge
on y apporte les draps incolores du sens
mais rien ne part rien ne s’accroche
ton sur ton ni foi ni teinte
Ô mon ange aux yeux bleus comme l’azur marin
L’indigo d’océans s’élevant vers les ciels
Ton sourire est pareil à un arc-en-ciel
Je te salue beauté incarnant le divin
Tes seins rassemblent toutes les splendeurs des mondes
Et tes hanches celles de tous les univers
Tes fesses sont semblables aux globes et aux sphères
Tant elles sont parfaitement courbes et rondes
Ton corps a le parfum des siècles et des ères
Qui tournoient lentement par devers l’infini
Quant à ton âme elle a l’apparence jolie
De la sainte la fée ou bien de la houri
Or ton regard est pur autant que les éthers
De cette éternité s’ouvrant comme la mer