J’ai aimé le grand vent
et le ressac
et l’oiseau libre sur son rocher
J’ai aimé ce tendre visage
et cette mère comme le large
j’ai aimé
j’ai aimé tant de choses qui passent
Mais ce vent me disait autre chose et ce
visage me souriait d’ailleurs et cet
oiseau volait par mon coeur
depuis
depuis des âges
J’ai aimé
J’ai aimé tant d’infortunes
et promené un chagrin comme les âges
Et j’ai aimé enfin
ce qui battait dans mon cœur
partout
ce qui chantait dans mes chagrins
partout
ce qui souriait dans tout
J’ai aimé Toi qui es mon voyage et mon grand large
et mon océan au bout des peines et des chemins
Ô Toi, mon oiseau
si vieux
si chantant toujours
je ne savais pas
je ne savais pas
que je t’aimais toujours
depuis toujours
Tu es mon ciel et mon enfer et ma joie et ma peine
et ce qui chante toujours-toujours
Avec un cri aussi
de ne pas t’avoir aimé toujours
de n’avoir pas su
ce que je savais depuis des âges
avec les rochers et le ressac
et le n’importe quoi
qui passe
qui passe
qui est toujours
(Satprem) (1923-2007)
Recueil: Un feu au coeur du vent Trésor de la poésie indienne Des Védas au XXIème siècle
Traduction:
Editions: Gallimard
Si tous les crayons
Que l’on vend à Paris
Écrivaient des chansons
Comme Monsieur Lully
Et si toutes les plumes
Avaient Verlaine au bec
Et chacun sa chacune
On ne vivrait plus qu’avec
La fortune
Quelques tunes
Deux bouquets, trois chansons et la lune
Si tu rêves
Ta vie brève
Passera comme passent les rêves.
la fortune
Quelques tunes
Et de quoi s’en aller dans la lune
Si tout passe
Si tout casse
Si tout lasse
Passe passe
Si tous les vauriens
Qui ne valent rien à Paris
Ne valaient qu’un refrain
De Villon ou de qui
Et si toutes les épines
Avaient la rose avec
Et chacun sa chacune
On ne vivrait plus qu’avec
La fortune
Quelques tunes
Deux saluts trois au revoir et la lune
Si tu chantes
Ta vie lente
Filera comme une étoile filante
La fortune
Quelques tunes
Et de quoi faire briller cette lune
Cette lune
Qui s’allume
Et consume
L’infortune
La brebis et le chien, de tous les temps amis,
Se racontaient un jour leur vie infortunée.
Ah ! Disait la brebis, je pleure et je frémis
Quand je songe aux malheurs de notre destinée.
Toi, l’esclave de l’homme, adorant des ingrats,
Toujours soumis, tendre et fidèle,
Tu reçois, pour prix de ton zèle,
Des coups et souvent le trépas.
Moi, qui tous les ans les habille,
Qui leur donne du lait, et qui fume leurs champs,
Je vois chaque matin quelqu’un de ma famille
Assassiné par ces méchants.
Leurs confrères les loups dévorent ce qui reste.
Victimes de ces inhumains,
Travailler pour eux seuls, et mourir par leurs mains,
Voilà notre destin funeste !
Il est vrai, dit le chien : mais crois-tu plus heureux
Les auteurs de notre misère ?
Va, ma sœur, il vaut encor mieux
Souffrir le mal que de le faire.
Les nombres premiers grandissaient avec notre infortune;
En quantité illimitée, voilà que s’additionnaient nos malheurs.
Je connus un instant les lois éparses et presque vaines
de cette raison qu’on qualifie souvent de science exacte;
Et alors, proscrite aux sens, humide face au brouillard,
Elle sentait la complexité de ce qui dépasse la vie.
Le vent et l’orage cinglant autour de moi,
je monte là-haut sur la montagne et la lande.
Qui veut me rejoindre ? Qui veut gravir les cimes avec moi ?
Traverser les torrents, tailler son chemin dans la neige ?
Ce n’est pas dans le cercle étriqué des cités
que j’habite, à l’étroit entre vos portes et vos murs ;
au-dessus de moi Dieu est bleu dans le ciel,
contre moi le vent et la tourmente se rebellent.
Ici dans mes domaines je joue avec la solitude,
de l’infortune je me suis fait une amie.
Qui veut vivre vaste ? Qui veut vivre libre ?
Qu’il grimpe ici sur les sommets battus par les vents.
Je suis le seigneur de la tempête et de la montagne,
je suis l’Esprit de liberté et de fierté.
Fort doit-il être et allié du danger,
qui partage mon royaume et marche à mes côtés
(Sri Aurobindo)
Recueil: Poésie
Traduction: Français Cristof Alward-Pitoëff
Editions: Sri Aurobindo Ashram Trust
Les idées de Victor étaient comme des briques :
égales, pesantes, aux arêtes vives.
Il se mit à l’ouvrage et bâtit une tour superbe.
Mais la porte fut oubliée.
L’infortuné Victor enfermé par ses briques,
ne trouva plus d’issue
et périt lentement dans sa prison d’idées.
Ils ne s’échinent pas, ils ne geignent pas sur leurs sort,
Il ne restent pas éveillés dans les ténèbres à pleurer sur leurs péchés.
Ils ne ressassent pas leurs devoirs envers Dieu,
Pas un seul n’est mécontent, pas un seul n’est rendu fou par la manie de posséder,
Pas un seul ne ploie le genou devant un autre, ni devant un de ses pareils qui vivait
il y a des milliers d’années.
Pas un seul ne mène une vie respectable, pas un seul n’étale son infortune sur toute
la surface de la terre.