Solitude au vent, ô sans pays, mon Île,
Que les barques de loin entourent d’élans
Et d’appels, sous l’essor gris des goélands,
Mon Île, mon lieu sans port, ni quai, ni ville,
Mon Île où s’élance en secret la montagne
La plus haute que Dieu heurte du talon
Et repousse… Ô Seule entre les aquilons
Qui n’a que la mer farouche pour compagne.
Temps où se plaint l’air en éternels préludes,
Mon Île où l’Amour me héla sur le bord
D’un chemin de cieux qui descendait à mort,
Espace où les vols se brisent, Solitude.
Solitude, Aire en émoi de Cœur immense
Qui sans cesse jette au large ses oiseaux,
Sans cesse au-dessus d’infranchissables eaux,
Sans cesse les perd, sans cesse recommence.
Désolation royale, terre folle
Que berce l’abîme entre ses bras massifs,
Mon Île, tu tiens un Silence captif
Qu’interroge en vain la houle des paroles.
(Marie Noël)
Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers
Les secondes, pas à pas inaccessibles —
Les minutes se pressaient, toujours trop longues —
Les heures, l’une après l’autre mal aimées —
L’an neuf, en allé sans remplir les vœux —
Le jour accompli, le coeur tourne encore —
Le sommeil, au matin miroir interdit —
L’instant n’a pas lui où nous aurions pu —
Notre vie, infranchissable, recluse —
(André Frénaud)
Recueil: Il n’y a pas de paradis
Traduction:
Editions: Gallimard
Ce chemin d’aube et de pervenches
S’ouvre à l’orée de la clairière
Murée par le givre et la neige
A notre image prisonnière
Et désormais infranchissable.
Quel vent a dispersé la manne,
Froment sapide du désert
Que charrie la houle océane
Sur ce versant de l’univers
Qui nous enserre en ses lianes ?
Venus du matin et porteurs
D’un fret d’écume et de chardons,
Parmi les écueils qui affleurent
Qui donc dirigerait le harpon :
Atropos ou Deucalion ?
Les mains entravées, les prunelles
Consumées par la nuit d’orage,
Nous portons sur notre visage,
Comme une étrave qui chancelle,
Les cicatrices du naufrage.
Mais seuls nous sombrons et l’espace
Qui vogue, attisant en sa course
Le murmure des peupliers,
Reprend de l’estuaire à la source
Le périple des alizés.
La nature est présente dans ma chambre, l’hiver,
Rideaux tirés devant les nuages et les étoiles,
Les lacs, les collines, les douces prairies lointaines;
Présente par le feu, plus vieux et plus sauvage.
Le feu leur survivra, le feu les prendra tous :
Dans le feu doivent tomber les bois d’automne.
L’éveil du printemps, c’est la lente combustion de l’arbre,
Le feu phénix qui brûle l’oiseau, la bête, la fleur.
Jadis Troie et le bûcher de Didon à Carthage,
Le navire de Baldur et l’incendie légendaire de Londres,
Les robes, les murs de bois, les palais de cristal
Dans leur apothéose furent pareilles flammes :
Flammes plus fluides que l’eau d’un torrent,
Flammes plus délicates et rapides que l’air,
Flammes plus infranchissables que des murs de pierre,
Destructrices, irrévocables comme le temps.
Le feu essentiel est l’esprit que rien n’entrave,
Qui, né sur les lèvres de la prophétie,
Libère les éléments étincelants de l’âme;
Sa brûlure apprend à l’amour la façon de mourir
Et aux êtres à subir leur destruction ultime
Sur ces remparts en flammes du monde qui s’élèvent
Entre notre existence et le jardin perdu.
***
WINTER FIRE
The presence of nature in my winter room
With curtains drawn across the clouds and stars,
Lakes, fells, and green sweet meadows far aime
Is fire, older and more wild than they.
Fire will outlast them all and take them ail
For into fire the autumn Woods must fan.
Spring blossoming is the slow combustion of the tree,
The phoenix fire that burns bird beast and flower away.
Once Troy and Dido’s Carthaginian pire
And Baldur’s skip, and fabulons London burning,
Robes, wooden walls and crystal palaces
In their apotheosis moere such flames as these
Flames more fluent than water of a mountain Stream,
Flames more delicate and swift than air,
Flames more impassable than walls of stone,
Destructive and irrevocable as time.
Essential fire is the unhindered spirit
That, laid upon the lips of prophecy
Frees ail the shining elements of the soul;
Whose burning teaches love the nie to die
And selves to undergo their ultimate destruction
Upon those flaming ramparts of the world
That rire between our face, and the lost garden.
(Kathleen Raine)
Recueil: Sur un rivage désert
Traduction: Marie-Béatrice Mesnet et Jean Mambrino
Editions: Granit
Murailles des tempêtes, j’y cloue un fanal.
Banquises suspendues, surface d’un seul gris.
Il demande. J’ai demandé. Rien ne répond qu’un cri, un cri
que l’on isole
des basses tailles de la mer
La chambre alternative, et les remparts du temps.
Seulement ce fanal, et seulement ce clou, rouillé, qui se délite.
Le vent fut la banquise, infranchissable mur affronté la nuit,
et l’obscur m’interroge.
L’ombre envahit la houle. Il y a ce silence, en bordure de ciel,
la trace blanche d’un éclair.
Un cri, ce n’est qu’un cri, que l’on isole.
Et le cri meurt, insecte bref, fourbu, entre les lattes.
L’harmonie se resserre comme un mur franchissable
La musique d’un ange se perd dans le jardin
Tu écoutais ce chant avec des yeux de boue
Les deux mains de personne secouaient ta chevelure
Et venaient des oiseaux émus de ton âge
Agités d’ailes blanches et de cris de nuit bleue
Tu marchais habitée d’un grand secret d’enfant
Dans ce jardin des roses de personne
Puis la nuit se fit claire aggravée d’une lampe
Et l’ombre de la lampe éteignait ton sourire
L’ange fut un instant ton ami, disparu
Sur la terre trempée d’un plus haut souvenir.
Nos habitudes des grands échafaudages de poutrelles et de planches
Ici il y a l’indéterminé
Toute la misère éclatante
Des pans entiers écroulés du sommeil
Des lézardes et des rigoles de boue glacée
Et des paroles haletantes qui se maintiennent
Comme des feux follets
Comme la prescience de nos cris de haine
Ici il y a le tabernacle du mépris
Et nos vies somnambuliques
Nos yeux hagards et révulsés
Nos habitudes des grands échafaudages de poutrelles et de planches
Ici il y a les glaciers infranchissables
Du sarcasme et de la folie
Ici il n’y a rien qui soit au monde