Un jour d’été, promenade sur le lac
Ennuyée de brume, trempée de rosée,
Retenue un moment je demeure,
Pour lui tenir la main en chemin,
au dessus du lac aux fleurs de lotus,
Toute une bruine, aux prunes mûres, de pluie fine.
Charmante ingénue sans craindre qu’il me devine,
Toute habillée assoupie renversée sur son coeur…
Enfin voici qu’on se lâche les mains, c’est l’heure
De s’en retourner lente s’accouder à la coiffeuse.
***
(Zhu Shu Zhen) (vers 1131)
Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise
I
L’aurore s’allume ;
L’ombre épaisse fuit ;
Le rêve et la brume
Vont où va la nuit ;
Paupières et roses
S’ouvrent demi-closes ;
Du réveil des choses
On entend le bruit.
Tout chante et murmure,
Tout parle à la fois,
Fumée et verdure,
Les nids et les toits ;
Le vent parle aux chênes,
L’eau parle aux fontaines ;
Toutes les haleines
Deviennent des voix !
Tout reprend son âme,
L’enfant son hochet,
Le foyer sa flamme,
Le luth son archet ;
Folie ou démence,
Dans le monde immense,
Chacun. recommence
Ce qu’il ébauchait.
Qu’on pense ou qu’on aime,
Sans cesse agité,
Vers un but suprême,
Tout vole emporté ;
L’esquif cherche un môle,
L’abeille un vieux saule,
La boussole un pôle,
Moi la vérité !
II
Vérité profonde !
Granit éprouvé
Qu’au fond de toute onde
Mon ancre a trouvé !
De ce monde sombre,
Où passent dans l’ombre
Des songes sans nombre,
Plafond et pavé !
Vérité, beau fleuve
Que rien ne tarit !
Source où tout s’abreuve,
Tige où tout fleurit !
Lampe que Dieu pose
Près de toute cause !
Clarté que la chose
Envoie à l’esprit !
Arbre à rude écorce,
Chêne au vaste front,
Que selon sa force
L’homme ploie ou rompt,
D’où l’ombre s’épanche ;
Où chacun se penche,
L’un sur une branche,
L’autre sur le tronc !
Mont d’où tout ruisselle !
Gouffre où tout s’en va !
Sublime étincelle
Que fait Jéhova !
Rayon qu’on blasphème !
Oeil calme et suprême
Qu’au front de Dieu même
L’homme un jour creva !
III
Ô Terre ! ô merveilles
Dont l’éclat joyeux
Emplit nos oreilles,
Eblouit nos yeux !
Bords où meurt la vague,
Bois qu’un souffle élague,
De l’horizon vague
Plis mystérieux !
Azur dont se voile
L’eau du gouffre amer,
Quand, laissant ma voile
Fuir au gré de l’air,
Penché sur la lame,
J’écoute avec l’âme
Cet épithalame
Que chante la mer !
Azur non moins tendre
Du ciel qui sourit
Quand, tâchant d’entendre
Je cherche, ô nature,
Ce que dit l’esprit,
La parole obscure
Que le vent murmure,
Que l’étoile écrit !
Création pure !
Etre universel !
Océan, ceinture
De tout sous le ciel !
Astres que fait naître
Le souffle du maître,
Fleurs où Dieu peut-être
Cueille quelque miel !
Ô champs ! ô feuillages !
Monde fraternel !
Clocher des villages
Humble et solennel !
Mont qui portes l’aire !
Aube fraîche et claire,
Sourire éphémère
De l’astre éternel !
N’êtes-vous qu’un livre,
Sans fin ni milieu,
Où chacun pour vivre
Cherche à lire un peu !
Phrase si profonde
Qu’en vain on la sonde !
L’oeil y voit un monde,
L’âme y trouve un Dieu !
Beau livre qu’achèvent
Les coeurs ingénus ;
Où les penseurs rêvent
Des sens inconnus ;
Où ceux que Dieu charge
D’un front vaste et large
Ecrivent en marge :
Nous sommes venus !
Saint livre où la voile
Qui flotte en tous lieux,
Saint livre où l’étoile
Qui rayonne aux yeux,
Ne trace, ô mystère !
Qu’un nom solitaire,
Qu’un nom sur la terre,
Qu’un nom dans les cieux !
Livre salutaire
Où le cour s’emplit !
Où tout sage austère
Travaille et pâlit !
Dont le sens rebelle
Parfois se révèle !
Pythagore épèle
Et Moïse lit !
(Victor Hugo)
Recueil: Les rayons et les ombres
Traduction:
Editions: Bayard Jeunesse
Petit à petit la tortue
A fait le tour de son jardin
Elle a grignoté sa laitue
Et cueilli un bouquet de thym
Vraiment ce fut un beau matin
Le soleil chauffe de ses mains
Nues les verdures ingénues
Petit à petit
Le nez de la tortue remue
Il fera chaud on le sent bien
Elle tend le cou et revient
Lentement à l’ombre des rues
Petit à petit
Dans l’éparpillement soyeux des cheveux d’or
Et parmi les blancheurs des coussins toute blanche,
Ayant clos pour cent ans ses grands yeux de pervenche,
Souriant vaguement à son rêve, elle dort.
Sa tête de côté légèrement se penche.
Un vitrail entr’ouvert laisse voir le décor
Du parc, où les oiseaux ne chantent pas encor,
Car la Fée endormit chacun d’eux sur sa branche.
Au pied du lit sommeille un beau page blondin.
Elle dort, immobile en son vertugadin,
La jupe laissant voir un bout de sa babouche…
Toute rose, elle dort son sommeil ingénu,
Car le Prince Charmant n’est pas encor venu
Qui doit la réveiller d’un baiser sur la bouche.
La douceur de l’angélus matinal et divin
que dispensent d’ingénues cloches provinciales,
dans l’air innocent, avec la force des pétales,
des prières, des visions virginales et des refrains
du rossignol, s’opposant en tout au rude destin
qui en Dieu ne croit pas… La pelote du jour en déclin
que le soir dévide derrière d’opaques cristaux
pour tisser d’une seule pièce l’étoffe de nos maux,
tout entiers faits de chair et parfumés de vin…
Et cette atroce amertume de n’avoir point de goût,
de ne pas savoir vers où diriger notre proue,
tandis que le pauvre esquif dans la nuit calfeutrée,
avance sur les vagues hostiles et de l’aurore privé…
(O cloches suaves, que l’aube fasse son entrée !)
(Rubén Darío)
Recueil: Chants de vie et d’espérance
Traduction: Lionel Igersheim
Editions: Sillage
1
Un Samedi du Moyen Âge
Une sorcière qui volait
Vers le sabbat sur son balai
Tomba par terr’ du haut des nuages.
Ho! Ho! Ho! Madam’ la sorcière
Vous voilà tombée par terre
Ho! Ho! Ho! sur votre derrière
Les quatre fers
En l’air.
Refrain 1
Vous tombez des nues
Toute nue
Par où êtes-vous venue
Sur le trottoir de l’Avenue?
Vous tombez des nues,
Sorcière saugrenue.
Vous tombez des nues,
Vous tombez des nues,
Sur la partie la plus charnue
De votre individu.
Vous tombez des nues!
2
On voulait la livrer aux flammes
Cette sorcière qui volait
Vers le sabbat sur son balai
Pour l’Ascension quel beau programme.
Ho! Ho! Ho! Voilà qu’ la sorcière
A fait un grand rond par terre
Ho! Ho! Ho! quel coup de tonnerre
Il tomba d’ l’eau
À flots!
Refrain 2
L’eau tombe des nues
Toute nue
Éteint les flammes ténues
Et rafraîchit la détenue.
L’eau tombe des nues
Averse bienvenue
L’eau tombe des nues
L’eau tombe des nues
Et la sorcièr’ se lave nue
Mais oui dans l’Avenue.
L’eau tombe des nues.
3
Qu’elle était belle la sorcière
Les Présidents du Châtelet
Les gendarmes et leurs valets
La regardaient dans la lumière.
Ho! Ho! Ho! un éclair qui brille
Et ses beaux yeux qui scintillent
Ho! Ho! Ho! notre coeur pétille
Nous sommes sourds
D’amour.
Refrain 3
Nous tombons des nues
Elle est nue
Oui mais notre âme est chenue
Nous avons de la… retenue
Nous tombons des nues
O Sorcière ingénue
Nous tombons des nues
Nous tombons des nues
Qu’on relaxe la prévenue
Elle nous exténue
Nous tombons des nues.
Coda
Je tombe des nues
Tu tombes des nues
Le monde entier tombe des nues
L’amour tombe des nues
Viv’ les Femmes nues.
(Robert Desnos)
Recueil: Les Voix intérieures
Traduction:
Editions: L’Arganier