La caravane a chu dans l’herbe haute
et ce qui reste n’est plus qu’un grand trou
dans la nuit où vont toutes les routes
que nous avons laissé partir
seules, à regret, comme des étrangères
qui savaient lire en nos yeux l’insoutenable
attente et l’effroi de mourir ici. Nous avons
baissé trop tôt les paupières,
croyant couper à jamais les ailes du désir,
mais nos rêves sont des lions penchés
sur l’eau croupie des draps, des lions
et qui rugissent encore
quand la caravane s’ébranle avec la lune.
(Guy Goffette)
Recueil: Le pêcheur d’eau
Traduction:
Editions: Gallimard
On ne guérit jamais du départ de sa mère…
Partie tout doucement sur la pointe des pieds
Vers un étrange port qu’on voudrait oublier
Mais revenant sans cesse avec un goût amer.
Lorsque la nuit descend, à l’heure où tout repose
Devant le firmament ma plaie se cicatrise
Il me semble soudain qu’une ombre s’amenuise
Dans cet épais brouillard qui nimbe toute chose.
Absence insoutenable! …et silence trop lourd…
Mystérieux voyage d’aller sans retour…
Où vont nos pauvres coeurs, vers quelle apothéose ?…
Se rassembleront-ils en un sublime éther ?
Bouquets de chrysanthèmes ou bien gerbes de roses
S’endormiront aussi sur la dalle de pierre.
« C’était une de ces journées grises
où il va se mettre à neiger d’une minute à l’autre
et qu’il y a comme de l’électricité dans l’air.
On peut presque l’entendre.
Et ce sac était là.
En train de danser avec moi.
Comme un enfant qui m’invitait à jouer avec lui.
Pendant 15 minutes.
C’est là que j’ai compris qu’il y avait autre chose.
Au delà de l’univers.
Plus loin que la vie.
Je sentais cette force, incroyablement bienveillante
qui disait qu’il n’y avait aucune raison d’avoir peur.
Jamais.
Sorties du contexte, les images n’ont aucun sens je sais mais…
ça m’aide à m’en souvenir.
J’ai besoin de m’en souvenir.
Parfois je me dis qu’il y a tellement de beauté… dans le monde…
que c’en est insoutenable.
Au palais de l’enfant sauvage
Jaillirent des larmes de sel
Leur éclat fut tel
Que les gardes qui veillent
Aux marches du palais
Furent terrassés sans retour
Dans un éblouissement de lune et de cristal
Insoutenable et sans objet apparent.
L’herbe est noire ce soir dans le vent mort
L’inconnu vent qui porte l’eau d’un feu
Et tient le sol avec deux étincelles en cendre
Tu ignores le vent car il porte il anime
Le double sein gravé de ta venue
Et ton double regard méconnaît le profond
Et le sel fertile de tes mains dans la grâce
Mais tu connais le péché brûlant de tes mains libres
Et désertes
Et nues dans le noir de ta rosée
Moi je t’appelle
Et tu n’as pas de nom qui sonne
Parmi les fleurs, parce que ton nom
Est l’improbable vent
Parce qu’il couvre le monde
D’insoutenables nuits.
L’être humain, guidé par le sens de la beauté
transpose l’évènement fortuit
(une musique de Beethoven, une mort dans une gare)
pour en faire un motif
qui va ensuite s’inscrire
dans la partition de la vie.
Penser à toi écrasée de
Solitude. Entendre ta voix
Au magnétophone dire
«Solitude». Le mot, la voix,
En débordent, et moi,
Sans toi, si perdu en elle —
Perdu dans la solitude et la douleur.
Noire et insoutenable souffrance
De penser à toi de chaque
Corpuscule de ma chair,
A chaque instant de la nuit
Et du jour. O mon amour, toutes les fois
Où nous avons oublié l’amour,
Assis seuls côte à côte.
Nous avons mangé ensemble,
Seuls derrière nos assiettes,
Nous nous sommes cachés derrière des enfants,
Nous avons dormi ensemble dans
Un lit solitaire. Aujourd’hui mon coeur
Se tourne vers toi, éveillé enfin,
Repentant, perdu dans la dernière
Solitude. Parle moi. Dis moi
Quelque chose. Brise le silence noir.
Parle d’un arbre plein de feuilles,
D’un oiseau en vol, de la nouvelle
Lune au soleil couchant, d’un poème,
D’un livre, de quelqu’un — tous ces mots
Simples et réparateurs
De ta voix résonnante et douce.
Le mot liberté. Le mot paix.
L’espace est pris entre nos regards
et nous n’avons que quelques gestes à ébaucher
pour qu’il tombe à nos pieds sans faire plus de bruit
que la dernière goutte d’eau d’un orage sur la forêt.
Tu es plus nue sous mes mains
que la pluie sur les tuiles,
qu’un feuillage dans le matin,
que les dents ensoleillant la bouche.
Des insectes s’écrasent en plein vol sous notre peau,
mes doigts ne cherchent pas à se protéger de la lumière
qui s’élève du fond de tes yeux
pour faire se lever dans les miens un jour insoutenable.
Le reste de notre vie se fige autour de nous
en hautes statues qui ne peuvent entrer
dans le cercle de silence et de joie
qui nous serre aux reins.
(Lucien Becker)
Recueil: Rien que l’amour
Editions: La Table Ronde