Les rayures du piano sont bien visibles
Sur un sol peint en jaune :
Sans doute, on a ouvert les portes,
On a poussé le piano dans un coin.
Et ses pieds ont laissé leurs griffures,
À l’évidence, il s’est trouvé à bout de force
Dans sa lutte mal venue avec ses hôtes,
Une fois passé le seuil.
Et le voici tiré ailleurs,
Installé quelque part contre un mur.
Le piano est une arme silencieuse,
D’un silence fabuleux.
C’est alors que tout conduit à son pouvoir,
Tous attendent une manière de miracle
– Là où se trouve un piano
Est installé l’esprit de la musique.
(Varlam Chalamov)
Recueil: Cahiers de La Kolyma
Traduction: du russe par Christian Mouze
Editions: Maurice Nadeau
[Refrain]
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Les comédiens ont installé leurs tréteaux
Ils ont dressé leur estrade et tendu des calicots
Les comédiens ont parcouru les faubourgs
Ils ont donné la parade à grand renfort de tambour
Devant l’église une roulotte peinte en vert
Avec les chaises d’un théâtre à ciel ouvert
Et derrière eux comme un cortège en folie
Ils drainent tout le pays les comédiens
[Refrain]
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Si vous voulez voir confondus les coquins
Dans une histoire un peu triste où tout s’arrange à la fin
Si vous aimez voir trembler les amoureux
Vous lamenter sur Baptiste ou rire avec les heureux
Poussez la toile et entrez donc vous installer
Sous les étoiles où le rideau va se lever
Quand les trois coups retentirent dans la nuit
Ils vont renaître à la vie, les comédiens
[Refrain]
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Les comédiens ont démonté leurs tréteaux
Ils ont ôté leur estrade et plié les calicots
Ils laisseront au fond du cœur de chacun
Un peu de la sérénade et du bonheur d’Arlequin
Demain matin quand le soleil va se lever
Ils seront loin et nous croirons avoir rêvé
Mais pour l’instant ils traversent dans la nuit
D’autres villages endormis les comédiens
[Refrain]
Viens voir les comédiens
Les musiciens
Les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Les musiciens
Les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Les musiciens
Les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Les musiciens
Les magiciens…
UN INFINI CHAGRIN sort des passes d’amour
Même riches de coeur, et grandit la méprise
A partir des toisons d’un piédestal sacré
Sur lequel nue on a installé la déesse;
Les charnelles poussées en mourant se déplacent
Et doivent dans le non-charnel avoir accès
Pour finir apaisement tremblant : qu’elles reforment
Dans un beau vers noirci tout l’émoi transmué!
Le vers qui dit le seul Amour sans un objet
La seule effusion dans le sein de mon père
Participant à notre plus triste secret.
(Pierre Jean Jouve)
Recueil: Diadème suivi de Mélodrame
Traduction:
Editions: Gallimard
Il fait à peine jour
le joueur d’accordéon
installé au coin de la rue déjà
a ouvert à ses pieds son chapeau
et fait cliqueter ses boutons de nacre
dès qu’il inspire à plein poumon ses notes
doucement se déplient les fronces de la lumière
L’ange qui marche obstinément derrière toi
D’un soleil à l’autre
Ne projette aucune ombre sur la route
Pareil au vent qui passe.
Il murmure des paroles graves
Dans l’air plein d’abeilles
Et sans cesse soupèse ton âme en secret
Installe ses balances fines
Jusqu’au cœur noir de la nuit.
Si d’aventure il écartait ses doigts pleins de bagues
Dessus sa face auguste
L’éclat de son feu te surprendrait comme la foudre
Tu verrais du même coup
Dans un éclair
Luire ses hautes bottes vernies
Incrustées de miroirs polis
Et battre ses ailes immenses blanches
Si blanches et douces
Comme de la mousse
D’une telle douceur blanche
Que plus d’un enfant s’y noya
Désirant y poser sa tête.
Installant leur vie comme on fait son lit
Installant leur vie et ses accessoires,
Et puis écrivant leur petite histoire
Et puis exhalant leur touchant credo
Derrière des rideaux.