Je rêve d’un beau soir au bord d’un étang vert
Où la verdeur des joncs s’irise de sarcelles.
L’azur y baignera ses arrière-étincelles
Comme des souvenirs dans l’onde découverts.
Les flots auront des fleurs d’écumes et d’éclairs.
Mon coeur, qu’auront repris les ultimes parcelles
D’une offrande oubliée au creux de la nacelle,
Sentira le frôler le Songe enfui dans l’air.
Sur les verts espaliers où pend le crépuscule,
Mes doigts fins s’en iront, au bout des nénuphars,
Cueillir le vert phosphorescent des libellules.
Mais j’y verrai bientôt, sous le cri des canards,
La lune éparpiller, en harmonie inerte,
Ses sanglots bleus d’argent au cil des moires vertes.
Jeanneton prend sa faucille
La rirette, la rirette
Jeanneton prend sa faucille
Pour aller couper les joncs
Pour aller couper les joncs
En chemin elle rencontre
La rirette, la rirette
En chemin elle rencontre
Quatre jeunes et beaux garçons
Quatre jeunes et beaux garçons
Le premier, le plus timide
La rirette, la rirette
Le premier, le plus timide
Lui caressa le menton
Lui caressa le menton
Le deuxième, un peu moins sage
La rirette, la rirette
Le deuxième, un peu moins sage
L’entraîna dans les buissons
L’entraîna dans les buissons
Le troisième encore moins sage
La rirette, la rirette
Le troisième encore moins sage
Lui souleva son jupon
Lui souleva son jupon
Ce qui fit le quatrième
La rirette, la rirette
Ce qui fit le quatrième
N’est pas dit dans ma chanson
N’est pas dit dans ma chanson
La morale de cette histoire
La rirette, la rirette
La morale de cette histoire
C’est qu’les hommes sont des cochons
C’est qu’les hommes sont des cochons
Ouais mais c’est pas fini parce que:
La morale de cette morale
La rirette, la rirette
La morale de cette morale
C’est qu’les femmes aiment les cochons
C’est qu’les femmes aiment les cochons
(Anonyme)
Recueil: Les plus belles chansons du temps passé
Traduction:
Editions: Hachette
La vieille charrette pousse ses lamentations stridentes le long du chemin ocre
Et laisse derrière elle des sillons de poussière dans le soir venu.
Un couple l’encadre d’efforts ; il pousse, elle tire.
Où conduiront leurs pas lourds qui les éloignent du foyer ?
La faim ne se laisse pas tromper par les feuilles d’orme que nous mangeons.
Nous espérons une terre qui nous donnera un peu de riz.
La main glacée du vent agite les joncs desséchés.
Mais voilà que surgit au loin une ancienne demeure.
Ils auront peut-être gardé pour l’étranger un coin de table.
La porte est muette, la salle est vide, le feu et la marmite absents.
Ils hésitent sur le seuil ouvert de la route désertée ;
Une pluie de larmes inonde leurs joues creuses.
(Chen Zilong)
(1608-1647)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Dans le mortel soupir de l’automne, qui frôle
Au bord du lac les joncs frileux,
Passe un murmure éteint : c’est l’eau triste et le saule
Qui se parlent entre eux.
Le saule : « Je languis, vois ! Ma verdure tombe
Et jonche ton cristal glacé ;
Toi qui fus la compagne, aujourd’hui sois la tombe
De mon printemps passé. »
Il dit. La feuille glisse et va jaunir l’eau brune.
L’eau répond : « Ô mon pâle amant,
Ne laisse pas ainsi tomber une par une
Tes feuilles lentement ;
« Ce baiser me fait mal, autant, je te l’assure,
Que les coups des avirons lourds ;
Le frisson qu’il me donne est comme une blessure
Qui s’élargit toujours.
« Ce n’est qu’un point d’abord, puis un cercle qui tremble
Et qui grandit, multiplié ;
Et les fleurs de mes bords sentent toutes ensemble
Un sanglot à leur pied.
« Que ce tressaillement rare et long me tourmente !
Pourquoi m’oublier peu à peu ?
Secoue en une fois, cruel, sur ton amante
Tous tes baisers d’adieu ! »
Comme un vieux Chinois qui peint avec art
Une libellule, un jonc qui s’incline
Vers le double éclat d’un beau nénuphar,
Est-ce toi, crapaud, dont le chant dessine
Sous la lune bleue un monde moins froid?
Un souffle invisible attendrit l’espace.
Les monts embrumés allègent le poids
Qui comprime encor la claire surface.
Maintenant je suis une plante, une herbe sauvage
Suspendue, vacillante
Sur un rebord escarpé;
Maintenant une longue herbe brune
Qui tremble comme la flamme;
Je suis un roseau;
Une vieille coquille qui toujours chante
La même chanson;
Un débris de jonc;
Une pierre blanche, toute blanche;
Un os;
Avant qu’à nouveau
En sable je m’en aille
Et tourne et vole
Deci, delà,
Au bord de la mer
Dans la lumière évanescente.
Car la lumière s’évanouit.
Mais si tu venais, tu ne pourrais dire :
Elle ne m’attend plus ici. Elle a oublié.»
Dans nos jeux n’étions-nous pas
Plantes, pierres et herbes sauvages,
Tandis que les navires étranges passaient
Gravement, laissant derrière eux un panache d’écume
Qui doucement se déroulait autour de notre île…
Bulles d’écume qui sur la pierre brillaient
Comme des arcs-en-ciel. Regarde, mon amour !
Non, ils sont partis,
Et leurs voiles blanches se sont fondues dans le sillage du ciel…
***
Now I am a plant, a weed
Now I am a plant, a weed,
Bending and swinging
On a rocky ledge;
And now I am a long brown grass
Fluttering like flame;
I am a reed;
An old shell singing
For ever the same song;
A drift of sedge;
A white, white stone;
A bone;
Until I pass
Into sand again,
And spin and blow
To and fro, to and fro,
On the edge of the sea
In the fading light —
For the light fades.
But if you were to come you would not say:
« She is not waiting here for me;
She has forgotten ». Have we not in play
Disguised ourselves as weed and stone and grass
While the strange ships did pass
Gently, gravely, leaving a curl of foam
That uncurled softly about our island home…
Bubbles of foam that glittered on the stone
Like rainbows? Look, darling! No, they are gone.
And the white sails have melted into the sailing sky…
(Katherine Mansfield)
Recueil: Poèmes
Traduction: Anne Wade Minkowski
Editions: Arfuyen
Longs joncs dorés penchés
sur les plaques de neige blanche ;
ruban pourpre et or
du bois voisin
quel angle
vous formez l’un avec l’autre
perdus dans votre contemplation.
***
Long yellow rushes bending
above the white snow patches;
purpfe and gold ribbon
of the distant wood:
what an angle
you make with each other as
you lie there in contemplation.
Que les joncs couvrent mon corps,
mes pieds, mon visage,
que personne ne surveille
quand j’écoute en silence l’eau
des fleuves qui me parlent.
Le son des cailloux
quand ils frôlent l’eau,
ce sont des baisers de soir et de lune,
et des baisers d’aube.
Un jour quelqu’un m’a dit
que les fleuves ne parlent jamais,
qu’ils suivent simplement leur cours
et qu’ils s’échappent sans paroles.
Comme je fus triste ce jour-là
quand j’ai entendu ses mots,
je suis partie en courant vers le fleuve
pour qu’il m’explique
pourquoi je l’entends si clairement
et d’autres ne l’entendent pas du tout.
(Raquel Ilonde)
Traduit de l’espagnol par Graciela Villanueva, in Poésie d’Afrique au sud du Sahara, Actes Sud/ Unesco,1995.
Recueil: 120 nuances d’Afrique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey