Je me transformerai
En femme de sang
En femme de larmes
Je serai le givre
Le sable
Le feuillage du buis
Pour que tu m’écrases
J’embrasserai tes jambes
Tes genoux
Je serai
La forêt première
L’algue des origines
Tu veux pleurer
Tu veux gémir
Tu veux le houx
Comme couronne
La très précieuse
Lumière du vert
Tu ne sais pas
Que les doigts
Sur un front
Font un chant de Noël
Qu’une bouche
Dans la douceur des cuisses
Peut faire jaillir
Le lait des nébuleuses.
(Claude de Burine)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
Vivre seul ai-je dit mais ce mur blanc
Face au soleil dont le crépi s’écaille
Comme la croûte du lait cuit dans une jarre
Me rappelle une faim qui n’a rien de naïf.
Vivre seul ? Mais ce bel olivier qui s’agite
Au vent frais de la côte et qui m’offre ses fruits
Gonflés d’huile, nombreux comme un essaim d’abeilles
Me rappelle une foule autrement agitée.
Vivre seul ? Mais la mer à mes pieds étalée
Comme un plat d’émail bleu qui ne sert qu’au regard
Me rappelle une pauvre et farouche douleur
Perdue au gouffre azur d’une ville fardée.
Saint Jérôme dans son bureau avait un grand gros chat
Toujours sur les tableaux, on le voit sur son matelas
Prenait-il son lait au lit?
Et du poisson le vendredi?
Si nous perdons un chaton,
Saint Jérôme nous prierons,
Il nous aidera,
Le saint au chat.
(Berceuse anglaise)
Recueil: le chat en cent poèmes
Traduction:
Editions: Omnibus
C’est un petit chat noir effronté comme un page,
Je le laisse jouer sur ma table souvent.
Quelquefois il s’assied sans faire de tapage,
On dirait un joli presse-papier vivant.
Rien en lui, pas un poil de son velours ne bouge ;
Longtemps, il reste là, noir sur un feuillet blanc,
A ces minets tirant leur langue de drap rouge,
Qu’on fait pour essuyer les plumes, ressemblant.
Quand il s’amuse, il est extrêmement comique,
Pataud et gracieux, tel un ourson drôlet.
Souvent je m’accroupis pour suivre sa mimique
Quand on met devant lui la soucoupe de lait.
Tout d’abord de son nez délicat il le flaire,
La frôle, puis, à coups de langue très petits,
Il le happe ; et dès lors il est à son affaire
Et l’on entend, pendant qu’il boit, un clapotis.
Il boit, bougeant la queue et sans faire une pause,
Et ne relève enfin son joli museau plat
Que lorsqu’il a passé sa langue rêche et rose
Partout, bien proprement débarbouillé le plat.
Alors il se pourlèche un moment les moustaches,
Avec l’air étonné d’avoir déjà fini.
Et comme il s’aperçoit qu’il s’est fait quelques taches,
Il se lisse à nouveau, lustre son poil terni.
Ses yeux jaunes et bleus sont comme deux agates ;
Il les ferme à demi, parfois, en reniflant,
Se renverse, ayant pris son museau dans ses pattes,
Avec des airs de tigre étendu sur le flanc.
Mais le voilà qui sort de cette nonchalance,
Et, faisant le gros dos, il a l’air d’un manchon ;
Alors, pour l’intriguer un peu, je lui balance,
Au bout d’une ficelle invisible, un bouchon.
Il fuit en galopant et la mine effrayée,
Puis revient au bouchon, le regarde, et d’abord
Tient suspendue en l’air sa patte repliée,
Puis l’abat, et saisit le bouchon, et le mord.
Je tire la ficelle, alors, sans qu’il le voie,
Et le bouchon s’éloigne, et le chat noir le suit,
Faisant des ronds avec sa patte qu’il envoie,
Puis saute de côté, puis revient, puis refuit.
Mais dès que je lui dis : « Il faut que je travaille,
Venez vous asseoir là, sans faire le méchant ! »
Il s’assied… Et j’entends, pendant que j’écrivaille,
Le petit bruit mouillé qu’il fait en se léchant.
Avec des rires sourds et de grondants sanglots,
Les filles de la mer se battent ou s’étreignent,
Et leurs cheveux luisants que dans l’ombre elles peignent
Traînent, fourrure sombre, au pied des noirs îlots.
L’anguille voyageuse et les vifs cachalots,
L’ourson couleur de neige à leur côté se baignent;
Et les feux de leurs yeux s’allument et s’éteignent,
Fanal de naufrageur qui tremble sous les flots
Leurs corps d’ambre et de lait ont la forme des vagues;
Les regrets, les terreurs, l’espoir, les désirs vagues,
Se condensent la nuit dans le brouillard amer.
Et, bercés mollement sur la gorge où tout sombre,
Les morts, coulés à pic, vont savourer dans l’ombre
Tout l’amour contenu dans la mort et la mer.
(Marguerite Yourcenar)
Recueil: Les charités d’Alcippe
Traduction:
Editions: Gallimard
Les chers globes de feu qu’elle brandit sans voile
Leur teinte est fabriquée et couleur de rougeur
De honte, ardents au bout et morts dans le vallon.
Et le lait du plaisir qu’elle soutire aux mâles
Fait qu’elle voudrait toujours, petite fille,
Les émonder avec les couteaux de ses dents.
Tel un Jack Sparrow, je remonte mes manches
J’assure pas, j’assure plus, sans mon verre sur la planche
Tel un Jack de trop, du dimanche au dimanche
J’assume pas, non j’assume plus, je ne suis plus étanche
C’est pas la mer à boire tu sais, juste un peu d’eau salée
Solo, et soûlé, sur mon îlot isolé
J’ai des idées noires tu sais, une mouche dans un verre de lait
Même si je perds la mémoire, je bois pour oublier
Et j’entends les sirènes
Résonner au loin
Elles vont, elles viennent
Chercher les marins
Et j’entends les sirènes
Dans la tempête au loin
Avec la vie que je mène
Elles viendront pour moi demain
Tel un Jack Sparrow, je remonte les marches
Je les servais les mecs comme moi tu sais, dans ma chemise blanche
À trinquer un peu trop, perroquet sur la planche
Mon rein a coulé comme un radeau qui prend l’eau, et qui flanche
C’est pas la mer à boire tu sais, juste un peu d’eau salée
Sous l’eau, et soûlé, sur mon îlot isolé
J’ai des idées noires tu sais, une mouche dans un verre de lait
Même si je perds la mémoire, je bois pour oublier
Et j’entends les sirènes
Résonner au loin
Elles vont, elles viennent
Chercher les marins
Et j’entends les sirènes
Dans la tempête au loin
Avec la vie que je mène
Elles viendront pour moi demain
J’entends les sirènes
J’ai plongé profond
Ma tristesse est comme la mer
Elle n’a pas de fond
Avancerons-nous aussi vite que l’étoile
La randonnée n’a-t-elle pas assez duré
Réussirons-nous enfin à l’égarer
cette lueur au milieu de la lune et des bêtes
qui ne s’impatiente pas
La neige avait tissé les pays du retour
avec ses fleurs fondues où se perd la mémoire
De nouveaux compagnons se mêlaient à la troupe
qui sortaient des arbres comme les bûcherons
Le Juif errant peinait, aux blessures bafouées
Des fourrures couvraient le roi noir malade à mourir
Le pasteur de la faim est avec nous
Ses yeux bleus éclairent son manteau d’épluchures
et le troupeau rageur des enfants prisonniers
Nous allions voir la joie nous l’avons cru
la joie du monde née dans une maison par ici
C’était au commencement … Maintenant on ne parle pas
Nous allions délivrer un tombeau radieux
marqué d’une croix par les torches dans la forêt
Le pays n’est pas sűr les châteaux se glissent derrière nous
Pas de feu dans l’âtre des relais Les frontières
remuent à l’aube par les coups défendus
Nos paumes qui ont brisé les tempêtes de sable
sont trouées par la charançon et j’ai peur de la nuit
Ceux qui nous attendaient dans le vent de la route
se sont lassés le chœur se tourne contre nous
Par les banlieues fermées à l’aube les pays sans amour
nous avançons mêlés à tous et séparés
Sous les lourdes paupières de l’espérance
La peur haletait comme une haridelle
Nous arriverons trop tard le massacre est commencé
les innocents sont couchés dans l’herbe
Et chaque jour, nous remuons des flaques dans les contrées
Et la rumeur se creuse des morts non secourus
qui avaient espéré en notre diligence
Tout l’encens a pourri dans les boîtes en ivoire
et l’or a caillé nos cœurs comme du lait
La jeune fille s’est donnée aux soldats
que nous gardions dans l’arche pour le rayonnement
pour le sourire de sa face
Nous sommes perdus On nous a fait de faux rapports
C’est depuis le début du voyage
Il n’y avait pas de route il n’y a pas de lumière
Seul un épi d’or surgi du songe
que le poids de nos chutes n’a pas su gonfler
Et nous poursuivons en murmurant contre nous
tous le trois brouillés autant qu’un seul
peut l’être avec lui-même
Et le monde rêve à travers notre marche
dans l’herbe des bas-lieux
et ils espèrent
quand nous nous sommes trompés de chemin
Egarés dans les moires du temps – les durs méandres
qu’anime le sourire de l’Enfant –
chevaliers à la poursuite de la fuyante naissance
du futur qui nous guide comme un toucheur de bœufs
je maudis l’aventure je voudrais retourner
vers la maison et le platane
pour boire l’eau de mon puits que ne trouble pas la lune
et m’accomplir sur mes terrasses toujours égales
dans la fraîcheur immobile de mon ombre…