Je voudrais retrouver le pays natal de ma poésie,
la contrée sauvage d’où elle m’est venue de si loin,
avec ses songes, ses épouvantes, sa plainte mélancolique,
ce frémissement de grande solitude
qui me mêle toute aux arbres les plus tourmentés,
aux landes les plus hantées de signes et de présages,
et m’arrête, le soir, à la porte de je ne sais quelle chaumière
secrète et basse où le feu veille,
comme au seuil jamais oublié de ma plus ancienne demeure.
Ce lieu de naissance d’avant naissance
n’est pas ici, à Auxerre…
où il fait clair, juste et net,
où les yeux ne voient que ce qu’ils voient,
sans buée ni brouillard.
(Marie Noël)
Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers
Cette terre a l’écorce de ses vieux sycomores,
La rudesse de ses pins, la douceur des lavandes,
Le parfum tourmenté des roseaux sur la lande,
Et dans son sang chrétien le fantôme des Mores.
Les oliviers crochus s’y tordent infiniment,
Cloués à des collines qui n’en finissent pas,
Et crucifiés d’ardeur sur leur brun Golgotha,
Ils languissent la pluie en verts tressaillements.
Quand le soir décadent incendie les remparts,
A l’heure où la montagne tourne fantomatique,
On peut voir indécise, sereine et famélique,
Quelque chèvre accrochée aux rochers du hasard.
Cette terre porte ses villes comme autant de diadèmes,
Cordoba la gitane et Séville la mauresque,
Et Granada la rouge et Cadiz l’arabesque,
Cette terre bâtit ses villes comme autant de poèmes.
Partout sont les mosquées et les blanches cathédrales,
Les minarets de fièvre et les clochers d’orgueil,
Les villages andalous assoupis sur le seuil,
Et la lourde torpeur de la mer orientale.
Ce pays est un rêve, un délire céramique,
Une harmonie bleutée de soleil et de mer,
Avec dans son âme le reproche doux-amer
D’une guitare flamenco sanglotant sa musique.
Je t’aimerai sans toi. Ne me fais jamais signe.
Un ajonc peut flamber sur la lande, à midi,
solitaire en son mal et seulement nourri
d’argile avaricieuse au bout de sa racine.
Enterre au fond de toi mon nom ensommeillé.
Reste plus ténébreux qu’un buis de cimetière.
Je t’ai volé jadis les neiges de janvier et j’ai
coupé sur toi mes plus hautes javelles.
Va, ressemble à un mort. Debout dans mon désert
je sens bouger en moi des foisons de semences.
L’amour qui te cherchait dans sa famine immense
t’a dépassé enfin et brûle l’univers.
(Anne-Marie Kegels)
Recueil: Le livre d’or de la poésie française contemporaine
Traduction:
Editions: Marabout
Quittant ses genêts et sa lande
Quand le Breton se fait marin
En allant aux pêches d’Islande
Voici quel est le doux refrain
Que le pauvre gars
Fredonne tout bas
J’aime Paimpol et sa falaise
Son église et son Grand Pardon
J’aime surtout la Paimpolaise
Qui m’attend au pays breton !
Le brave Islandais, sans murmure
Jette la ligne et le harpon
Puis, dans un relent de saumure
Il se glisse dans l’entrepont
Et le pauvre gars
Fredonne tout bas
Je serais bien mieux à mon aise
Devant mon joli feu d’ajonc
À côté de la Paimpolaise
Qui m’attend au pays breton !
Mais souvent l’océan qu’il dompte
Se réveillant lâche et cruel
Et lorsque que le soir on se compte
Bien des noms manquent à l’appel
Et le pauvre gars
Soupire tout bas
Pour trotter la flotte irlandaise
Puisqu’il faut plus d’un moussaillon
J’épouserons ma petite Paimpolaise
En rentrant au pays breton !
Puis, quand la vague le désigne
L’appelant de sa grosse voix
Le brave Islandais se résigne
En faisant un signe de croix
Et le pauvre gars
Quand vient le trépas
Serrant la médaille qu’il baise
Glisse dans l’océan sans fond
En songeant à sa Paimpolaise
Qui l’attend au pays breton!
(Théodore Botrel)
Recueil: Les plus belles chansons du temps passé
Traduction:
Editions: Hachette
Pour être vous,
Pour être vous tous,
Je me suis séparé de vous tous.
Très seul, secret, sans bruit j’ai cueilli dans les landes
Un trèfle tout tremblant d’une haleine de cheval
J’ai pris ce seul ami
Pour m’avancer jusqu’au coeur des hommes mes frères
Et ne les toucher que d’une nourrissante plante.
Je goûte à la pomme
A la pulpe du jour
Dans ce pays du rocher
Fouetté par le flot
Du granit austère
Du schiste qui s’effeuille
En ardoises pour le toit
De la lande où le vent
Conte des légendes
Pays amphibie de la fougère
De la pomme de terre et du cidre
Du goémon et de l’huître
Je vis en liberté
Dans la paix du rivage
Sur une langue de sable qui plonge
Dans les vagues où rêvent les poissons.