Lorsque je suis seul devant la fenêtre
à remplir consciencieusement mes pages de carnet
mon écriture minutieuse progressant
à la vitesse d’une fourmi opiniâtre le long d’un grand mur
je ne m’aperçois qu’il crachine dehors
qu’à un seul indice : le beau brillant qui vernisse
les toits de zinc des immeubles
les carrosseries des automobiles.
C’est alors que dans la demi-pénombre des jours pluvieux
les surfaces métalliques si nombreuses dans nos villes
commencent de luire doucement
avec la même perfection le même luxe discret
qu’une très ancienne laque de Chine.
Au mur de mon bureau,un masque japonais
Sculpté sur bois et laqué d’or : effigie d’un méchant démon.
Je regarde plein de pitié
Les veines gonflées de son front : elles révèlent
Combien c’est dur d’être méchant.
L’eau le feu l’air comme alphabet de nos jours.
Mais si la voyelle est un oiseau, si chaque
Lettre fait le plein de chaleur et de sang
Qu’importe alors le sens du livre sous sa laque.
Seul compte ce frisson que nous donnent en s’ouvrant
Ses pages d’où montent des appels et des chants.
Que sont toutes choses sinon remous sur un fleuve
Sans source ni delta qui roule dans le soir
Quand les espoirs s’enfuient vers des planètes neuves.
(Georges-Emmanuel Clancier)
Recueil: Le Poème Hanté
Traduction:
Editions: Gallimard
Je pense à toi, jeune fille aux belles joues,
et je ne dors plus.
Dans ma chambre, il y a une petite boîte de laque noire.
Combien de fois ai-je plongé ma bouche dans cette bouche d’ombre,
depuis que tes mains l’ont touchée!
Un jour de printemps, j’ai acheté cette boîte dans la boutique de ton père,
et c’est toi qui me l’as remise.
Je n’ignore pas que je suis laid.
Si je t’avouais mon amour, jusques à quand rirais-tu?
Je voudrais être la brise.
Je pourrais m’enrouler autour de toi,
sans que tu me reconnaisses
Comme je serais humble, et soumis, et tendre,
si tu me permettais de te parler!
La route blanche est toute rayée
de robes blanches rayées
véronèse laques et cobalts
cadmium à bicyclette
tout ce blanc et toutes ces couleurs vont à la messe
les maisons sont sans doute vides à présent
que se passe-t-il dans les maisons
quand elles sont seules
(Pierre Albert-Birot)
Recueil: Poèmes à l’autre moi précédé de La Joie des sept couleurs et suivi de Ma morte et de La Panthère noire
Editions: Gallimard
C’est l’enveloppement d’un ciel du soir
autour des épaules de l’horizon
puis l’ombre se cristallise en braises
d’où germe un rosier de flammes
qui lèchent et carbonisent la forêt
C’est une agitation de bannières
devant les sillons qui se tordent
sous la fumée des feuilles mortes
roulement de vagues mouillées
dans le chuchotement de l’automne
C’est une rafale de neige
douce comme une caresse
au long des jambes du paysage
qui se blottit au creux du lac
entre les portes des glaciers
C’est une étole de cristaux
taillés en écailles si fines
qu’elles ruissellent sur les yeux
au moindre pas le long des falaises
dans le vertige des embruns
Estampe vernie
qui, réduite à sa rondeur de laque
reproduit l’immense firmament.
Prodigieusement l’artiste prodigue
fait don, un par un, de météorites peints
à chaque coccinelle
Avec quelle heureuse allégresse j’approfondis
l’essence de l’œuvre,
éprouvant le minuscule délice
extrayant les inoubliables joies.
Ses ailes pliées sur la scène
convexe et close
révéleront la représentation.
Quand l’estampe se fend en deux moitiés
les broderies noires et les ailes apparaissent
la coccinelle quitte la scène.