Cependant que la cloche éveille sa voix claire
A l’air pur et profond du matin
Et passe sur l’enfant qui jette pour lui plaire
Un angélus parmi la lavande et le thym,
Le sonneur effleuré par l’oiseau qu’il éclaire,
Chevauchant tristement en geignant du latin
Sur la pierre qui tend la corde séculaire,
N’entend descendre à lui qu’un tintement lointain.
Je suis cet homme. Hélas! de la nuit désireuse,
J’ai beau tirer le câble à sonner l’Idéal,
De froids péchés s’ébat un plumage féal,
Et la voix ne me vient que par bribes et creuse !
Mais, un jour, fatigué d’avoir en vain tiré,
O Satan, j’ôterai la pierre et me pendrai.
Il suffira d’un signe, un matin
Un matin tout tranquille et serein
Quelque chose d’infime, c’est certain
C’est écrit dans nos livres, en latin
Déchirées nos guenilles de vauriens
Les fers à nos chevilles loin bien loin
Tu ris mais sois tranquille un matin
J’aurai tout ce qui brille dans mes mains
Regarde ma vie tu la vois face à face
Dis moi ton avis que veux-tu que j’y fasse
Nous n’avons plus que ça au bout de notre impasse
Le moment viendra tout changera de place
Et tu verras que les filles oh oui tu verras bien
Auront les yeux qui brillent ce matin
Plus de faim de fatigue des festins
De miel et de vanille et de vin
Il suffira d’un signe…
L’acier qui nous mutile du satin !
Nos blessures inutiles au lointain
Nous ferons de nos grilles des chemins
Nous changerons nos villes en jardins
Pour m’endormir, je mets
le masque du sommeil : un léger voile
que je tisse avec les événements du jour
et les mots dont je perds le fil en m’endormant.
Une toile aussi fine que celle de l’araignée
où restent au matin des lambeaux de rêves :
des images prises au piège, les discours décousus
d’un somnambule qui se réveille.
Le masque du cauchemar est un masque de fer
et de bois dur. La corne et l’ivoire,
c’était pour les dieux qui parlaient latin
et les grands mammifères dont on faisait
des trophées. Les bibelots nous suffisent:
la jungle des images a remplacé les grandes battues.
(Gérard Macé)
Recueil: Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
Traduction:
Editions: Le bruit du temps
Jeune homme irrité sur un banc d’école,
Dont le coeur encor n’a chaud qu’au soleil,
Vous refusez donc l’encre et la parole
À celles qui font le foyer vermeil ?
Savant, mais aigri par vos lassitudes,
Un peu furieux de nos chants d’oiseaux,
Vous nous couronnez de railleurs roseaux !
Vous serez plus jeune après vos études :
Quand vous sourirez,
Vous nous comprendrez.
Vous portez si haut la férule altière,
Qu’un géant ploierait sous son docte poids.
Vous faites baisser notre humble paupière,
Et nous flagellez à briser nos doigts.
Où prenez-vous donc de si dures armes ?
Qu’ils étaient méchants vos maîtres latins !
Mais l’amour viendra : roi de vos destins,
Il vous changera par beaucoup de larmes :
Quand vous pleurerez,
Vous nous comprendrez !
Ce beau rêve à deux, vous voudrez l’écrire.
On est éloquent dès qu’on aime bien ;
Mais si vous aimez qui ne sait pas lire,
L’amante à l’amant ne répondra rien.
Laissez donc grandir quelque jeune flamme
Allumant pour vous ses vagues rayons ;
Laissez-lui toucher plumes et crayons ;
L’esprit, vous verrez, fait du jour à l’âme :
Quand vous aimerez,
Vous nous comprendrez !
Quand de ses branches élancées
Les mille fleurs parfument l’air,
Par nous elles sont ramassées;
Les remèdes coûtent si cher!
Nous n’avons pas dans le village
De savant qui parle en latin;
Le médecin qui nous soulage,
C’est le vieux tilleul du chemin.