L’obscurité engendre la violence
et la violence veut l’obscurité
pour se coaguler en crime.
C’est pourquoi le Deux Octobre patienta jusqu’à la nuit
afin que nul ne vît la main qui avait saisi
l’arme, mais seulement l’éclair.
Et dans cette lumière brève et livide, qui ? Qui est celui qui tue ?
Qui sont ceux qui agonisent et ceux qui meurent ?
Ceux qui fuient nu-pieds ?
Ceux qui vont tomber au fond d’une prison ?
Ceux qui vont pourrir à l’hôpital ?
Ceux qui restent muets à jamais d’épouvante ?
Qui ? Lesquels ? Personne. Le lendemain, personne.
La place à l’aube était bien balayée ; les journaux
donnaient comme information principale
le temps qu’il faisait.
Télévision, radio ou cinéma,
pas de changement de programme,
pas de flash spécial, pas de minute
de silence pendant le banquet.
(Le banquet continua.)
Ne cherche pas ce qui n’est pas : des traces, des cadavres
Tout a été donné en offrande à une divinité :
la Dévoreuse d’Excréments.
Ne consulte pas les archives : il n’y a eu aucun rapport.
Hélas, la violence veut l’obscurité
parce que l’obscurité engendre le rêve
et nous pouvons dormir en rêvant que nous rêvons.
Mais il y a une plaie que je touche : ma mémoire.
Elle a mal donc c’est vrai. Elle saigne à sang.
Si je dis qu’elle est mienne, je trahis tous les autres.
Je me souviens, nous nous souvenons.
C’est notre façon d’aider le jour à se lever
sur tant de consciences souillées,
sur un texte de colère, sur une grille ouverte,
sur le visage derrière l’impunité du masque.
Je me souviens, nous nous souviendrons
jusqu’à ce que la justice vienne parmi nous.
(Rosario Castellanos)
Recueil: Poésie du Mexique
Traduction: Jean-Clarence Lambert
Editions: Actes Sud
J’en ai assez de mourir
Jour après jour
Et de laisser les journées
Filer entre mes mains
J’en ai assez de périr
Jour après jour
Et de perdre dans l’oubli
Tous mes lendemains
La sève des souvenirs
Ne m’habite plus
Le silence s’installe
Nos mains unies
Se sont tues
Dans l’herbe
La mémoire m’a quittée
Et le jour s’enveloppe
De ficelles
Qui m’emmaillotent
Et me laissent sur la rive
Abandonnée
Je veux me redresser
Mais pourquoi ?
Et comment ?
J’abandonne
Et laisse la mort immense
Prendre ma place
Pour toujours ?
(Andrée Chedid)
Recueil: L’Étoffe de l’univers
Traduction:
Editions: Flammarion
Rien ne cesse rien n’est les morts ne sont pas morts
Les vivants s’imaginent vivre
Un acte continue où l’on ne peut le suivre
Rien n’est dedans rien n’est dehors.
Rien ne pèse tout pèse et notre marche lourde
Est légère dans le sommeil
Aveugles sont nos yeux et nos oreilles sourdes
Dans un monde au rêve pareil.
D’autres formes sont là que jadis accumule
Avec celles du lendemain
Et ce que notre temps par un mensonge annule
Reste dans son avare main.
Tout combine un seul bloc que le temps nous débite
Peu à peu morceau par morceau.
Le bâton se brise dans l’eau
Et l’immobilité se vante d’aller vite.
Or parfois dans le rêve ou par quelque ressort
Qui l’étrange machine embrouille
L’invisibilité de sa cachette sort
Comme la Vénus d’une fouille.
Ils étaient huit jeunes hommes, nus, nus et qui tremblaient
ils étaient descendus, gelés, enchaînés,
l’un derrière l’autre, nus, les mains dans le dos
et ils savaient pour sûr, ils se savaient condamnés:
le grand camion, au fond, le long de la grande allée,
l’allée des longs cyprès, longs, hauts, est venu s’arrêter,
et les huit jeunes hommes nus, blancs, sans mot sont descendus
entre des hommes verts, vert clair, qui les font se tenir:
se tenir, blancs, nus, devant la grande tombe,
devant le grand trou, long, profond, tout juste creusé,
là tout le long, là, le long de l’allée,
derrière les tombeaux, tout le long, comme une longue tranchée:
par la mitraillette, d’un coup, ils ont tous plongé
dans la longue tranchée, blancs, nus, avec un peu de sang
sur leurs torses blancs, blancs, nus, aux premières aurores:
ils étaient huit jeunes hommes, nus, dépouillés de lendemains.
(Charles Camproux)
Recueil: Guerre à la guerre
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
[Tony] – Moi, Anton, je te veux pour épouse, Maria…
[Maria] – Moi, Maria, je te veux pour époux, Anton…
[Tony] – Dans la richesse comme dans la pauvreté…
[Maria] – Dans la santé comme dans la maladie…
[Tony] – Je t’aimerai et t’honorerai…
[Maria] – Pour le meilleur et pour le pire…
[Tony] – Du lever du soleil au coucher de la lune…
[Maria] – De lendemain en lendemain…
[Tony] – Pour l’éternité…
[Maria] – Jusqu’à ce que la mort nous sépare.
[Tony] – Avec cette alliance, je te prends pour épouse.
[Maria] – Avec cette alliance, je te prends pour époux.
(Chanté)
[Tony]
Que nos mains n’en forment plus qu’une,
Que nos cœurs ne fassent plus qu’un,
Échangeons maintenant un dernier vœu :
De n’être séparés que par la mort.
[Maria]
Que nos vies n’en forment plus qu’une,
Jour après jours, construisons notre vie.
[Ensemble]
C’est à présent le début
Une main, un cœur,
Même la mort ne saurait nous séparer.
Que nos vies n’en forment plus qu’une,
Jour après jours, construisons notre vie.
C’est à présent le début
Une main, un cœur,
Même la mort ne saurait nous séparer.
(West Side Story)
***
WEST SIDE STORY – ONE HAND, ONE HEART
(Dialogue parlé)
[Tony] – I, Anton, take thee, Maria . . .
[Maria] – I, Maria, take thee, Anton . . .
[Tony] – For richer, for poorer . . .
[Maria] – In sickness and in health . . .
[Tony] – To love and to honor . . .
[Maria] – To hold and to keep . . .
[Tony] – From each sun to each moon . . .
[Maria] – From tomorrow to tomorrow . . .
[Tony] – From now to forever . . .
[Maria] – Till death do us part.
[Tony] – With this ring, I thee wed.
[Maria] – With this ring, I thee wed.
(Chanté)
[Tony]
Make of our hands one hand,
Make of our hearts one heart,
Make of our vows one last vow:
Only death will part us now.
[Maria]
Make of our lives one life,
Day after day, one life.
[Ensemble]
Now it begins, now we start
One hand, one heart;
Even death won’t part us now.
Make of our lives one life,
Day after day, one life.
Now it begins, now we start
One hand, one heart,
Even death won’t part us now.
MOURIR IV (Andrée Chedid)
Posted by arbrealettres sur 16 janvier 2023
MOURIR IV
J’en ai assez de mourir
Jour après jour
Et de laisser les journées
Filer entre mes mains
J’en ai assez de périr
Jour après jour
Et de perdre dans l’oubli
Tous mes lendemains
La sève des souvenirs
Ne m’habite plus
Le silence s’installe
Nos mains unies
Se sont tues
Dans l’herbe
La mémoire m’a quittée
Et le jour s’enveloppe
De ficelles
Qui m’emmaillotent
Et me laissent sur la rive
Abandonnée
Je veux me redresser
Mais pourquoi ?
Et comment ?
J’abandonne
Et laisse la mort immense
Prendre ma place
Pour toujours ?
(Andrée Chedid)
Recueil: L’Étoffe de l’univers
Traduction:
Editions: Flammarion
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