Quand tout est gris
J’en bourre ma pipe à gamberger
D’ailleurs la vie m’a culotté
Quand tout est gris
J’en mets partout dans ta carrée
Y a pas de raison que je te laisse griser
La vie mon petit voyou
Ça se dresse un point c’est tout
Quand tout est bleu
Y a le permanent dans tes quinquets
Les fleurs d’amour s’foutent en bouquet.
Quand tout est bleu
C’est comme un train qui tend ses bras
Y a pas de raison que j’ne te prenne pas
La vie mon petit voyou
Ça se prend par le bon bout
Quand tout est vert
Et qu’la nature bat ses tapis
On y a joué tous nos habits
Quand tout est vert
C’est comme l’espoir qui va tout nu
On l’a fringué comme on a pu
La vie mon petit voyou
Ça se vend à des prix fous
Quand tout sera noir
Et qu’on fumera des fleurs fanées
On s’en repassera les mêmes goulées
Quand tout sera noir
Les petits oiseaux pourront becqueter
Aux mots d’amour qu’on a causé
Alors mon petit voyou
La vie qu’est-ce qu’on s’en fout
Quand y a la mer et puis les ch´vaux
Qui font des tours comme au ciné
Mais qu´ dans tes bras, c´est bien plus beau
Quand y a la mer et puis les ch´vaux
Quand la raison n´a plus raison
Et qu´ nos yeux jouent à s´ renverser
Et qu´on n´ sait plus qui est l´ patron
Quand la raison n´a plus raison
Quand on rat´rait la fin du monde
Et qu´on vendrait l´éternité
Pour cette éternelle seconde
Quand on rat´rait la fin du monde
Quand le diable nous voit pâlir
Quand y a plus moyen d´ dessiner
La fleur d´amour qui va s´ouvrir
Quand le diable nous voit pâlir
Quand la machine a démarré
Quand on n´ sait plus bien où l´on est
Et qu´on attend c´ qui va s´ passer
Si ton corps était de fine dentelle
Je le broderais par les quatre bouts
Et puis m’en ferais des nappes si belles
Que nous mangerions l’amour à genoux
Si tes yeux étaient de vieilles étoiles
De celles qu’on voit mais qui ne sont plus
J’y regarderais derrière la toile
De ce grand tableau de bleu suspendu
Si tes cheveux fous étaient la misaine
Et que de ton coeur je fisse un bateau
Tout en remontant le cours de la Seine
Tu serais Paris et moi matelot
Si ton astre noir où je m’illumine
Était le calice et si j’étais Dieu
J’y boirais la Mort jusqu’à la racine
Et puis m’en irais refaire les cieux
Si les soleils morts des plaines célestes
Descendaient un jour dans ton corps éteint
Il luirait encore à tes seins modestes
Un peu de leur flamme un peu de ma faim
Si tous les crayons
Que l’on vend à Paris
Écrivaient des chansons
Comme Monsieur Lully
Et si toutes les plumes
Avaient Verlaine au bec
Et chacun sa chacune
On ne vivrait plus qu’avec
La fortune
Quelques tunes
Deux bouquets, trois chansons et la lune
Si tu rêves
Ta vie brève
Passera comme passent les rêves.
la fortune
Quelques tunes
Et de quoi s’en aller dans la lune
Si tout passe
Si tout casse
Si tout lasse
Passe passe
Si tous les vauriens
Qui ne valent rien à Paris
Ne valaient qu’un refrain
De Villon ou de qui
Et si toutes les épines
Avaient la rose avec
Et chacun sa chacune
On ne vivrait plus qu’avec
La fortune
Quelques tunes
Deux saluts trois au revoir et la lune
Si tu chantes
Ta vie lente
Filera comme une étoile filante
La fortune
Quelques tunes
Et de quoi faire briller cette lune
Cette lune
Qui s’allume
Et consume
L’infortune
Pour la flamme que tu allumes
Au creux d’un lit pauvre ou rupin
Pour le plaisir qui s’y consume
Dans la toile ou dans le satin
Pour les enfants que tu ranimes
Au fond des dortoirs chérubins
Pour leurs pétales anonymes
Comme la rose du matin
Thank you Satan
Pour le voleur que tu recouvres
De ton chandail tendre et rouquin
Pour les portes que tu lui ouvres
Sur la tanière des rupins
Pour le condamné que tu veilles
A l’Abbaye du monte en l’air
Pour le rhum que tu lui conseilles
Et le mégot que tu lui sers
Thank you Satan
Pour les étoiles que tu sèmes
Dans le remords des assassins
Et pour ce coeur qui bat quand même
Dans la poitrine des putains
Pour les idées que tu maquilles
Dans la tête des citoyens
Pour la prise de la Bastille
Même si ça ne sert à rien
Thank you Satan
Pour le prêtre qui s’exaspère
A retrouver le doux agneau
Pour le pinard élémentaire
Qu’il prend pour du Château Margaux
Pour l’anarchiste à qui tu donnes
Les deux couleurs de ton pays
Le rouge pour naître à Barcelone
Le noir pour mourir à Paris
Thank you Satan
Pour la sépulture anonyme
Que tu fis à Monsieur Mozart
Sans croix ni rien sauf pour la frime
Un chien, croque-mort du hasard
Pour les poètes que tu glisses
Au chevet des adolescents
Quand poussent dans l’ombre complice
Des fleurs du mal de dix-sept ans
Thank you Satan
Pour le péché que tu fais naître
Au sein des plus raides vertus
Et pour l’ennui qui va paraître
Au coin des lits où tu n’es plus
Pour les ballots que tu fais paître
Dans le pré comme des moutons
Pour ton honneur à ne paraître
Jamais à la télévision
Thank you Satan
Pour tout cela et plus encor
Pour la solitude des rois
Le rire des têtes de morts
Le moyen de tourner la loi
Et qu’on ne me fasse point taire
Et que je chante pour ton bien
Dans ce monde où les muselières
Ne sont plus faites pour les chiens…
T’es tout’ nue
Sous ton pull
Y a la rue
Qu’est maboul’
Jolie môme
T’as ton cœur
A ton cou
Et l’bonheur
Par en d’ssous
Jolie môme
T’as l’rimmel
Qui fout l’camp
C’est l’dégel
Des amants
Jolie môme
Ta prairie
Ça sent bon
Fais-en don
Aux amis
Jolie môme
T’es qu’un’ fleur
Du printemps
Qui s’fout d’l’heure
Et du temps
T’es qu’un’ rose
Eclatée
Que l’on pose
A côté
Jolie môme
T’es qu’un brin
De soleil
Dans l’chagrin
Du réveil
T’es qu’un’ vamp
Qu’on éteint
Comm’ un’ lampe
Au matin
Jolie môme
Tes baisers
Sont pointus
Comme un accent aigu
Jolie môme
Tes p’tits seins
Sont du jour
A la coque
A l’amour
Jolie môme
Ta barrière
De frou-frous
Faut s’la faire
Mais c’est doux
Jolie môme
Ta violette
Est l’violon
Qu’on violente
Et c’est bon
Jolie môme
T’es qu’un’ fleur
De pass’ temps
Qui s’fout d’l’heure
Et du temps
T’es qu’une étoile
D’amour
Qu’on entoile
Aux beaux jours
Jolie môme
T’es qu’un point
Sur les « i »
Du chagrin
De la vie
Et qu’une chose
De la vie
Qu’on arrose
Qu’on oublie
Jolie môme
T’as qu’un’ paire
De mirettes
Au poker
Des conquêtes
Jolie môme
T’as qu’un’ rime
Au bonheur
Faut qu’ça rime
Ou qu’ça pleure
Jolie môme
T’as qu’un’ source
Au milieu
Qu’éclabousse
Du bon dieu
Jolie môme
T’as qu’un’ porte
En voil’ blanc
Que l’on pousse
En chantant
Jolie môme
T’es qu’un’ pauv’
Petit’ fleur
Qu’on guimauv’
Et qui meurt
T’es qu’un’ femme
A r’passer
Quand son âme
Est froissée
Jolie môme
T’es qu’un’ feuille
De l’automne
Qu’on effeuille
Monotone
T’es qu’un’ joie
En allée
Viens chez moi
La r’trouver
Jolie môme
T’es tout’ nue
Sous ton pull
Y a la rue
Qu’est maboule
Y avait dans la gorge à Jimmy
Tant de soleil à trois cents balles
Du blues, du rêve et du whisky
Tout comme dans les bars de Pigalle
Dieu est nègre!
C´est à la une des quotidiens
Ça fait du tort aux diplomates
Jimmy l´a vu au p´tit matin
Avec un saxo dans les pattes
Dieu est nègre!
Armstrong est reçu chez le président
Il y est allé sans sa trompette
Depuis qu´il est entré là-dedans
C´est plus du blues, c´est la tempête
Dieu est nègre!
Ça fait du bruit dans le monde entier
À faire danser tous les cimetières
Les orgues à Saint-Germain-des-Prés
En perdent le souffle et la prière
Dieu est nègre!
Il a des p´tits cheveux d´argent
Qui font au ciel comme des mirages
Et dans sa gorge y a du plain-chant
Comme dans les bars du Moyen Âge
Dieu est nègre!
Et dans la gorge à mon Jimmy
Y a du soleil à trois cents balles
Du blues, du rêve et du whisky
Comme dans les bars de Pigalle
Dieu est nègre!
Et dans l´aube grise et toute glacée
Jimmy s´endort dans l´ caniveau
En jouant d´ la trompette bouchée
Dans sa bouteille de Jéricho
Pauvre et maigre!
T’as des cheveux comme des feuilles mortes
Et du chagrin dans tes ruisseaux
Et l’ vent du nord qui prête main-forte
À la mère pluie qu’est toute en eau
Ma vieille branche
T’as des prénoms comme des gerçures
D’azur tout gris dans tes chiffons
Et l’ vent du Nord et ses coutures
Où meurent tranquilles les papillons
Ma vieille branche
T’as l’ rossignol qui t’ fait des dettes
Et les yeux doux en coup d’ brouillard
Ce p’tit chanteur, c’est qu’une girouette
T’as qu’à lui mettre ton vieux foulard
Ma vieille branche
T’as les prés comme un chapeau d’ paille
De quand l’été se faisait tout beau
Et des guignols que l’on empaille
À faire s’en aller tes oiseaux
Ma vieille branche
T’as l’ cul tout nu comme les belles gosses
Arrivées là pour un moment
Mais toi, ma vieille, il faut qu’ tu bosses
Pour arriver jusqu’au printemps
Ma vieille branche
T’as rien pour toi qu’une pauvre frimousse
Un vieux sapin qui t’ fait crédit
Deux, trois p’tites fleurs va-que-j’te-pousse
Et puis l’hiver au bout d’ ta vie
Ma vieille branche d’automne
Le sable des pavés n’a pas la mer à boire
Ça sent la marée calme dans les amphis troublés
Des portes de secours sont ouvertes là-bas
Il suffit de pousser un peu plus, rien qu’un geste…
(Léo Ferré)
Recueil: L’Ardeur ABC poétique du vivre plus
Traduction:
Editions: Bruno Doucey