La parole est une statue immergée, un léopard
qui frémit en des taillis obscurs, une anémone
dans une chevelure. Parfois c’est une étoile qui
projette son ombre sur un torse.
La voici errante dans la clameur de la nuit,
aveugle et nue, mais vibrante de désir
comme un magnolia mouillé. Rapide est la bouche
qui effleure juste les rayons d’une autre lumière. Je
touche ses fines chevilles, ses cheveux ardents et je
vois une eau limpide dans la nacre d’une coquille.
Et c’est toujours un corps aimant et fugace
qui chante dans une mer musicale le sang des voyelles.
(António Ramos Rosa)
Recueil: Le cycle du cheval
Traduction: du portugais par Michel Chandeigne
Editions: Gallimard
Chaque fois que je te vois dans le souvenir,
j’entends chanter le coq en pleine nuit
et une soif de combats et de clochers
me rend au sacrifice où je te perds.
Qui sait où tu te trouves, je ne sais plus
si tes yeux sont en or ou en argent,
mais mon sang est une lumière jaillissante
et à nouveau je mords la douce pomme.
Ô balbutiement des ténèbres, duel
de mousse et de léopard et gémissement,
désespéré qui contrefait le ciel !
L’aube sordide plane comme la cendre,
sur le rêve vaincu et l’oreiller
défiguré par le creux d’une seule tête.
(Julio Cortázar)
Recueil: Crépuscule d’automne
Traduction: Silvia Baron Supervielle
Editions: José Corti
plus près:souffle de mon souffle:n’enlève qui fourmillent
tes membres:fais leur repas fou de ma souffrance
que tes tigres de lisse douceur lentement pillent
en des floraisons muettes aux nouveaux mélanges:
plus profond:sang de mon sang:avec de vifs replis
ascendants plonge ces léopards de rêve blanc
dans la chair ravie de ma peur:creuse plus nette
cette moelle d’obscurité:sculpte une fleur de folie
frangée de mal sur des lèvres grinçantes
et sur des yeux rampants crispés de lumière démente
cisèle l’assassine flamme qui saisit de vertige.
Des gris perplexes frisent avides entre de béantes
maisons. Les étoiles mortes puent. l’aube. Inepte,
la carcasse poétique d’une fille
***
nearer:breath of my breath:take not thy tingling
limbs from me:make my pain their crazy meal
letting thy tigers of smooth sweetness steal
slowly in dumb blossoms of new mingling:
deeper:blood of my blood:with upwardcringing
swiftness plunge these leopards of white dream
in the glad flesh of my fear:more neatly ream
this pith of darkness:carve an evilfringing
flower of madness on gritted lips
and on sprawled eyes squirming with light ins ane
chisel the killing flame that dizzily grips.
Querying greys between mouthed houses curl
thirstily. Dead stars stink. dawn. Inane,
the poetic carcass of a girl
(Edward Estlin Cummings)
Recueil: Erotiques
Traduction: Jacques Demarcq
Editions: Seghers