Les livres dont s’emplit la chambre
comme des harpes éoliennes s’émeuvent
quand passe le vent venu des orangers
et la lettre sans la page incrustée
se retient
au blanc papier de lin
et la guerre au loin tonne
dans cet automne flamboyant
tuant la maîtresse avec l’amant
au bord d’un vieux rivage.
Dauphins, poulpes, poissons
fraîcheur de lin, de roseaux, d’oliviers
tremblement du jour dans une couleur
joie d’une ligne qui bouge encore
et je rêve à cette main entre milliards
de mains, étonnée, heureuse –
et je ne sais quoi, un pigment
qui fait que l’âme respire,
que voit la vie, ces choses qui
viennent à mes doigts
et mourront une fois encore –
Dans le jardin, sucré d’oeillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates
Chancellent de rosée et de sève pourvus,
Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé,
Mon coeur se dressera comme le coq qui chante
Insatiablement vers le soleil levé.
L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis,
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi ;
La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le destin de la vigne et du froment enclos…
Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement,
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement,
Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.
Et la maison avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Éparse lourdement autour des buissons verts ;
Mon coeur, indifférent et doux, aura la pente
Du feuillage flexible et plat des haricots
Sur qui l’eau de la nuit se dépose et serpente
Et coule sans troubler son rêve et son repos.
Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume,
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,
Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.
Je n’aurai pas d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma soeur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été,
Je serai si sensible et si jointe à la terre
Que je pourrai penser avoir connu la mort,
Et me mêler, vivante, au reposant mystère
Qui nourrit et fleurit les plantes par les corps.
Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils
Et que mon coeur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil…
(Anna de Noailles)
Recueil: Poésie au féminin
Traduction:
Editions: Folio
En quarante-deux, il s’en est allé…
Si je vous le dis, si je le raconte,
c’est que la lune danse dans les blés…
Mon coeur est en fer, son coeur est en fonte.
Il ne m’écrivit que quelques vieux mots, je
me souviens bien, je pleurai mes larmes…
— Nous avons bien froid, nous n’avons pas d’armes
— Ecoutez ce vent dans tous ces rameaux.
— Nous nous marierons la saison prochaine,
quand il fera chaud, quand il fera doux — Il
n’avait pas peur des vents et des loups. Mon
coeur est en lin, mon coeur est en laine.
Les vieux regardaient chaque jour le ciel
et puis il neigeait des neiges, la neige
et je me disais : Que Dieu le protège !
Mon coeur est en sang, mon coeur est de miel.
On dit qu’il est mort, on dit tant de choses…
Après un hiver revient le printemps.
Ecoutez ces cris qui sont dans les vents par
les nuits venues et les portes closes.
Ils me l’ont volé, ils m’ont pris ses mains,
ils m’ont pris ses yeux, je ne peux pas dire… Ils
m’ont pris sa chair, sa bouche et son rire mais
j’attends ses pas sur tous les chemins.
(Pierre Gamarra)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
On a noyé tous les dieux
et dans notre kolkhoze spirituel
Des jeunes filles bien proprettes
récoltent le lin au milieu des champs
Les rivières débordent de lait
et les poissons volent dans les airs
Glorifiant plaines et montagnes
et la nouvelle harmonie cosmique
***
Потопили богов,
и живем мы в колхозе духовном
Чистотелые девушки
лен убирают в полях
Реки полны молока,
и летают по воздуху рыбы
Славят равнины и горы
и новый космический лад
(Sergueï Stratanovski)
Recueil: Les ténèbres diurnes
Traduction:Traduit du russe par Henri Abril
Editions: Circé
Du roi Phrygien la fille rebelle
Fut en noir rocher changée autrefois;
La fière Prokné devint hirondelle,
Et d’un vol léger s’enfuit dans les bois.
Pour moi, que ne suis-je, ô chère maîtresse,
Le miroir heureux de te contempler,
Le lin qui te voile et qui te caresse,
L’eau que sur ton corps le bain fait couler,
Le réseau charmant qui contient et presse
Le ferme contour de ton jeune sein,
La perle, ornement de ton col que j’aime,
Ton parfum choisi, ta sandale même,
Pour être foulé de ton pied divin !
Un soir de printemps
m’a dit une fois :
Si tu cherches des chemins
en fleurs sur la terre,
fais taire les mots,
écoute ton âme ancienne.
Que le lin blanc
qui te revêt soit
ton habit de deuil,
ton habit de fête.