Les rideaux étaient mi-fermés, le sol semé
De brins de paille, et romarin et aubépines
Épaississant le lit où j’étais allongée.
Le lierre m’ombrageait d’une dentelle fine.
Il se pencha sur moi, croyant que je dormais
Et ne l’entendais pas ; mais moi je l’entendis,
« Pauvre enfant, pauvre enfant. » Comme il se retournait,
Je compris qu’il pleurait. Un silence se fit.
Jamais il ne toucha le linceul, ni le drap
Qui voilait mon visage. Il ne prit pas ma main,
Il ne dérangea pas le coussin lisse et blanc.
Vive, il ne m’aimait pas. Mais morte maintenant,
Je lui faisais pitié. Et je me sentis bien
De le savoir si chaud près de mon corps si froid.
(Christina Rossetti)
Recueil: Goblin Market and Other Poems
Traduction: de l’anglais par Clémentine Beauvais
Editions: Penguin Classics
Recueil: Je serai le FEU (Diglee)
Editions: La ville brûle
Tu nous vois venir, debout dans ton lit
quand nous tâtonnons entre porte et fenêtre
parmi la poussière des galaxies
dont tu es au réveil l’unique survivante
et tandis que nous perdons l’or des rêves
le trésor enterré au pied de l’arc-en-ciel
les plumes d’Icare et nos années-lumière
tu nous attends miraculeusement
pour rester un jour de plus avec nous
(Jean-Pierre Lemaire)
Recueil: Le pays derrière les larmes Poèmes choisis
Editions: Gallimard
Une chambre d’hôpital sordide:
un blessé allongé sur un lit sale.
Un homme tenant un carnet et un stylo
s’approche du blessé
et demande: c’est l’armée des hors-la-loi
qui a tiré sur toi?
Non, dit le blessé.
L’homme poursuit:
Tu dois signer ici que ce sont les hors-la-loi
qui ont tiré sur toi.
Non, dit le blessé.
Un revolver s’approche de sa tempe:
signe ici!
Non, c’est l’armée régulière.
Le coup de feu éclate.
(Maram al-Masri)
Recueil: Elle va nue la liberté
Editions: Bruno Doucey
Sans mentir je voudrais être morte.
En me quittant elle pleurait
bien des larmes. Elle m’a dit :
« Ah ! Quelle épreuve cruelle est la nôtre,
Sapphô, contre mon gré je t’abandonne. »
Et je lui répondais :
« Va et adieu, et souviens-toi
de moi, car tu sais de quels soins nous t’avons poursuivie.
Mais moi, sinon, je veux te rappeler..
.. aussi les beaux jours du passé :
les couronnes, souvent, de violettes
et de roses ensemble, de crocus,
dont tu ornais ton front, près de moi,
et les guirlandes odorantes, leurs fleurs entrelacées,
que tu jetais
autour de ta gorge fragile,
toute l’huile parfumée,
l’onguent précieux dont
tu frottais ton corps, comme une reine.
Et sur les lits moelleux,
dans mes bras, tendrement,
tu chassais hors de toi ton désir altéré.
Aux saints rites..
jamais..
nous ne faisions défaut, nous n’étions pas absentes
pour le bosquet sacré
.. et la danse..
.. et le bruit.. »
(Sapphô)
Recueil: Quelqu’un plus tard se souviendra de nous
Editions: Gallimard
J’aurai beaucoup trop chaud peut-être
Il fera sombre, que m’importe
Je n’ouvrirai pas la fenêtre
Et laisserai fermée ma porte
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs
Votre parfum Sur L’oreiller
Laissez-moi deviner
Ces subtiles odeurs
Et promener mon nez
Parfait inquisiteur
Il y a des fleurs en vous
Que je ne connais pas
Et que gardent jaloux
Les replis de mes draps
Oh, la si fragile prison!
Il suffirait d’un peu de vent
Pour que les chères émanations
Quittent ma vie et mon divan
Tenez, voici, j’ai découvert
Dissimulées sous l’évidence
De votre Chanel ordinaire
De plus secrètes fulgurances
Il me faudrait les retenir
Pour donner corps à l’éphémère
Recomposer votre élixir
Pour en habiller mes chimères
Sans doute il y eut des rois
Pour vous fêter enfant
En vous disant « Reçois
Et la myrrhe et l’encens »
Les fées de la légende
Penchées sur le berceau
Ont fleuri de lavande
Vos yeux et votre peau
J’ai deviné tous vos effets
Ici l’empreinte du jasmin
Par là la trace de l’oeillet
Et là le soupçon de benjoin
Je pourrais dire ton enfance
Elle est dans l’essence des choses
Je sais le parfum des vacances
Dans les jardins couverts de roses
Une grand-mère aux confitures
Un bon goûter dans la besace
Piquantes ronces, douces mûres
L’enfance est un parfum tenace
Tout ce sucre c’est vous
Tout ce sucre et ce miel
Le doux du roudoudou
L’amande au caramel
Les filles à la vanille
Les garçons au citron
L’été sous la charmille
Et l’hiver aux marrons
Je reprendrais bien volontiers
Des mignardises que tu recèles
Pour retrouver dans mon soulier
Ma mandarine de Noël
Voici qu’au milieu des bouquets
De douces fleurs et de bonbons
S’offre à mon nez soudain inquiet
Une troublante exhalaison
C’est l’odeur animale
De l’humaine condition
De la sueur et du sale
Et du mauvais coton
Et voici qu’ils affleurent
L’effluve du trépas
L’odeur d’un corps qui meurt
Entre ses derniers draps
Avant que le Temps souverain
Et sa cruelle taquinerie
N’emportent votre amour ou le mien
Vers d’autres cieux ou d’autres lits
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs
Toute votre âme Sur L’oreiller
(Juliette)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON
ni le sang sur le lit
cuirasse et glaive
ni les mains dont l’eau descend jusqu’à l’ombre
ni les lèvres aux voiles emmêlées
ni la mer perdant pied sur la boule du monde
mais au dos de la chaise
la robe d’où s’éloigne ingénue la tièdeur
Du cygne il ne montre que l’oie
gavée de vers nacrés.
Péniche
bourrée de meubles en bois de rose à jours,
avec un lit qui n’en finit plus
porté par de grosses musiques
où l’on discerne le bruit d’enfant qui tète
d’une eau sans voyage
à quai dont les pierres se descellent.
Peut-être une fois de plus me rendra fou
votre sourire
et sur le bord de mon lit viendront s’asseoir
mère Douleur, l’amie Amour,
comme toujours toutes les deux à la fois.
Peut-être une fois de plus me rendra fou
le son du clairon
et quand j’irai comme si j’étais tombé de la lune
mes cheveux auront l’odeur de la poudre à canon.
Peut-être une fois de plus me rendra fou un baiser :
comme la flamme d’une lanterne, hésitant dans sa cage,
je tremblerai
lorsqu’il viendra se poser sur mon visage.
Je n’aurai, pourtant, que le vent sur les lèvres
et c’est bien en vain que, cette fois,
dans la main j’essaierai de prendre
sa robe sans poids.
(Jaroslav Seifert)
Recueil: Les danseuses passaient près d’ici
Traduction: Petr Kral et Jan Rubes
Editions: Actes Sud