De mon vivant, j’arpentais les rues de la capitale,
Dans ma mort, me voilà confondu au sein des plaines.
À l’aube, mes pas vifs résonnaient dans le grand hall du palais
À l’ombre, je loge désormais auprès des sources jaunes.
Un soleil blanc se dépose dans le Golfe de Yu
Son char d’or à l’arrêt, ses coursiers au repos.
Le dieu, dans sa gloire céleste,
Ne pourrait-il restaurer mon unité perdue ?
Corps et visage lentement décomposés,
Dents et cheveux dispersés au loin.
Voilà le chemin des hommes et toute chose ;
Qui saurait en rompre la trame de bronze ?
(Miu Xi)
(186-245)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Tu es devenue le livre
où logent maintenant toutes mes années
et mon regard
Tu t’obscurcis
devant mes yeux.
Je suis en vain le chiffre des pages
depuis ta tombe jusqu’au compte
qui nous désigne
depuis la femme jusqu’à l’homme.
Je dois encore te lire.
(Leonard Nolens)
Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers
en toi
se loge ma paresse
mon grand pays paresseux
comme un serpent
dans un tronc évidé
en toi
roule le cerceau crispé du passé
tu fixes d’un regard égal
le lointain et l’immédiat
et les phares relèvent leur jupe d’écume
pour s’éteindre dans les faveurs de la mer
dénués de gardiens
en toi
l’irréfléchi fait parler les voiles
en toi
rebondit le long exil d’un baiser
Que l’homme s’en aille et l’image le suit,
Qu’il revienne et l’image avec lui devient claire.
Toute image voudrait s’accrocher au miroir,
Mais l’homme n’est pas que le désir d’image.
Quand miroir et image,
l’un et l’autre s’en vont,
Où se loge la vie?
Où a-t-elle disparu?
(Wang Fanzhi)
Recueil: Poèmes Chan
Traduction: du chinois par Jacques Pimpaneau
Editions: Philippe Picquier
Couplet 1 :
Debout ! les damnés de la terre !
Debout ! les forçats de la faim !
La raison tonne en son cratère,
C’est l’éruption de la fin.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout ! debout !
Le monde va changer de base :
Nous ne sommes rien, soyons tout !
Refrain : (2 fois sur deux airs différents)
C’est la lutte finale
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale,
Sera le genre humain.
Couplet 2 :
Il n’est pas de sauveurs suprêmes,
Ni Dieu, ni César, ni tribun,
Producteurs sauvons-nous nous-mêmes !
Décrétons le salut commun !
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l’esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer quand il est chaud !
Refrain
Couplet 3 :
L’État opprime et la loi triche,
L’impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s’impose au riche,
Le droit du pauvre est un mot creux.
C’est assez languir en tutelle,
L’égalité veut d’autres lois :
« Pas de droits sans devoirs, dit-elle,
Égaux, pas de devoirs sans droits ! »
Refrain
Couplet 4 :
Hideux dans leur apothéose,
Les rois de la mine et du rail,
Ont-ils jamais fait autre chose,
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la bande,
Ce qu’il a créé s’est fondu.
En décrétant qu’on le lui rende,
Le peuple ne veut que son dû.
Refrain
Couplet 5 :
Les Rois nous saoûlaient de fumées,
Paix entre nous, guerre aux tyrans !
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l’air et rompons les rangs !
S’ils s’obstinent, ces cannibales,
À faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux.
Refrain
Couplet 6 :
Ouvriers, Paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs ;
La terre n’appartient qu’aux hommes,
L’oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent !
Mais si les corbeaux, les vautours,
Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours !
C’est beau d’avoir élu
Domicile vivant
Et de loger le temps
Dans un coeur continu,
Et d’avoir vu ses mains
Se poser sur le monde
Comme sur une pomme
Dans un petit jardin,
D’avoir aimé la terre,
La lune et le soleil,
Comme des familiers
Qui n’ont pas leurs pareils,
Et d’avoir confié
Le monde à sa mémoire
Comme un clair cavalier
A sa monture noire,
D’avoir donné visage
A ces mots : femme, enfants,
Et servi de rivage
A d’errants continents,
Et d’avoir atteint l’âme
A petit coups de rame
Pour ne l’effaroucher
D’une brusque approchée.
C’est beau d’avoir connu
L’ombre sous le feuillage
Et d’avoir senti l’âge
Ramper sur le corps nu,
Accompagné la peine
Du sang noir dans nos veines
Et doré son silence
De l’étoile Patience,
Et d’avoir tous ces mots
Qui bougent dans la tête,
De choisir les moins beaux
Pour leur faire un peu fête,
D’avoir senti la vie
Hâtive et mal aimée,
De l’avoir enfermée
Dans cette poésie.
J’ai logé dans le merle.
Je crois savoir comment
Le merle se réveille et comment il veut dire
La lumière, du noir encore, quelques couleurs,
Leurs jeux lourds à travers
Ce rouge qu’il se voit.
J’ai fait leur verticale
Avec les blés.
Avec l’étang j’ai tâtonné
Vers le sommeil toujours proche.
J’ai vécu dans la fleur.
J’y ai vu le soleil
Venir s’occuper d’elle
Et l’inciter longtemps
A tenter ses frontières.
Mon coeur était jadis comme un palais romain,
Tout construit de granits choisis, de marbres rares.
Bientôt les passions, comme un flot de barbares,
L’envahirent, la hache ou la torche à la main.
Ce fut une ruine alors. Nul bruit humain.
Vipères et hiboux. Terrains de fleurs avares.
Partout gisaient, brisés, porphyres et carrares ;
Et les ronces avaient effacé le chemin.
Je suis resté longtemps, seul, devant mon désastre.
Des midis sans soleil, des minuits sans un astre,
Passèrent, et j’ai, là, vécu d’horribles jours ;
Mais tu parus enfin, blanche dans la lumière,
Et, bravement, afin de loger nos amours,
Des débris du palais j’ai bâti ma chaumière.