Je voudrais être seul dans le sud
Peut-être mes yeux lents ne verront plus le sud
Aux légers paysages endormis dans l’espace,
Aux corps comme des fleurs sous l’ombrage des branches
Ou fuyant au galop de chevaux furieux.
Le sud est un désert qui pleure quand il chante,
Et comme l’oiseau mort, sa voix ne s’éteint pas ;
Vers la mer il dirige ses désirs amers
Ouvrant un faible écho qui vibre lentement.
A ce si lointain sud je veux être mêlé.
La pluie là-bas n’est rien qu’une rose entr’ouverte ;
Son brouillard même rit, rire blanc dans le vent.
Son ombre, sa lumière ont d’égales beautés.
Cris du vent,
Atroce paysage entre cristal de roche,
Prostituant les miroirs vivants,
Fleurs clamant à grands cris
Leur innocence antérieure aux obésités.
Ces cavernes aux clartés vénéneuses
Saccagent les désirs, les dormeurs ;
Clartés comme langues fendues
Pénétrant les os jusqu’à trouver la chair,
Sans savoir qu’au fond il n’y a pas de fond,
Il n’y a rien, qu’un cri,
Un cri, un autre désir
Sur un piège de pavots cruels.
Dans un monde de barbelés
Où l’oubli vole en dessous du sol,
Dans un monde d’angoisse,
Alcool jaunâtre,
Plumes de fièvre,
Colère dressée vers un ciel de honte,
Un jour de nouveau ressurgira la flèche
Abandonnée par le hasard
Quand une étoile meurt comme l’automne pour oublier
son ombre.
Un jour il comprit que ses
bras n’étaient
Faits que de nuages
Impossible avec des nuages d’étreindre à fond
Un corps, une chance.
La chance est ronde et compte lentement
Des étoiles d’été.
Font défaut des bras sûrs comme le vent,
Et comme la mer un baiser.
Mais lui avec ses lèvres
Avec ses lèvres il ne sait dire que des mots
Mots au plafond,
Mots au plancher,
Et ses bras sont des nuages qui font de la vie
Un air navigable.
Cette humiliante servitude,
Besoin d’user notre tendresse
Dans un être que nous créons
Avec notre pensée,
Qui vit de notre vie.
Lui, donne le prétexte ;
Tu l’as donné, toi qui existes
Comme l’ombre de quelque chose,
L’ombre parfaite
De ce désir, celui de l’amant, le mien.
Si je te disais
Comment l’amour donne
Sa raison à la vie, sa folie,
Tu ne comprendrais pas.
Aussi je ne dis rien.
La beauté, inconsciente
De son embuscade, ravit sa proie
Et passe. Ainsi, pour chaque instant
De joie, le prix est-il payé :
Enfer d’angoisse et de désir.
***
Esta humillante servidumbre,
Necesidad de gastar la ternura
En un ser que llenamos
Con nuestro pensamiento,
Vivo de nuestra vida.
El da el motivo,
Lo diste tú ; porque tú existes
Afuera como sombra de algo,
Una sombra perfecta
De aquel afán, que es del amante, mío
Si yo te hablase
Cómo el amor depara
Su razón al vivir y su locura,
Tú no comprenderias.
Por eso nada digo.
La hermosura, inconsciente
De su propia celada, cobró la presa
Y sigue. Así, por cada instante
De goce, el precio está pagado :
Este infierno de angustia y de deseo.
(Luis Cernuda)
Recueil: Poèmes pour un corps
Traduction: Bruno Roy
Editions: Fata Morgana
Dans quelques jours très courts ce sera l’automne
en Virginie,
Lorsque les chasseurs, le regard de pluie,
Regagnent le pays natal, l’arbre qui n’oublie pas,
Moutons terribles à voir,
Dans quelques jours très courts ce sera l’automne
en Virginie.
Oui, dans l’étreinte étroite des corps,
Lèvres sur la clé la plus intime,
Que dira-t-il, lui, peau de naufrage
Ou douleur avec la porte close,
Douleur face à douleur,
N’attendant pas non plus d’amour ?
L’amour s’en vient, s’en va, regarde ;
L’amour s’en vient, s’en va,
Sans faire l’aumône aux nuages mutilés,
Ses vêtements sont des haillons de terre,
Et lui il ne sait pas, il ne saura jamais plus rien.
Inutile aujourd’hui de passer la main sur l’automne.
***
Carne de mar
Dentro de breves días será otoño en Virginia,
Cuando los cazadores, la mirada de lluvia,
Vuelven a su tierra nativa, el árbol que no olvida,
Corderos de apariencia terrible,
Dentro de breves días será otoño en Virginia.
Sí, los cuerpos estrechamente enlazados,
Los labios en la llave más íntima,
c Qué dirá él, hecho piel de naufragio
O dolor con la puerta cerrada,
Dolor frente a dolor,
Sin esperar amor tampoco ?
El amor viene y va, mira;
El amor viene y va,
Sin dar limosna a nubes mutiladas,
Por vestidos harapos de tierra,
Y él no sabe, nunca sabrá más nada.
Ahora inútil pasar la mano sobre otoño .
(Luis Cernuda)
Recueil: Un fleuve, un amour
Traduction: Jacques Ancet
Editions: Fata Morgana
La jeunesse sans escorte de nuages,
Les murs, volonté de tempêtes,
La lampe comme un éventail dedans ou dehors,
Disent éloquemment ce qu’on n’ignore pas,
Ce qu’un beau jour faiblement
On abandonne devant la mort même.
Os écrasé par la pierre des rêves,
Que faire, privés d’issue
Autre que le pont jeté par l’éclair
Pour unir deux mensonges,
Mensonge de vie ou mensonge de chair ?
Nous ne savons que sculpter des biographies
Sur des musiques hostiles ;
Nous ne savons que compter affirmations
Ou négations, chevelure de nuit ;
Nous ne savons qu’invoquer tels des enfants le froid
De peur de nous en aller seuls à l’ombre du temps.
***
Drama o puerta cerrada
La juventud sin escolta de nubes,
Los muros, voluntad de tempestades,
La lámpara, como abanico fuera o dentro,
Dicen con elocuencia aquello no ignorado,
Aquello que algún día débilmente
Ante la muerte misma se abandona.
Hueso aplastado por la piedra de sueños,
e Qué hacer, desprovistos de salida,
Si no es sobre puente tendido por el rayo
Para unir dos mentiras,
Mentira de vivir o mentira de carne ?
Sólo sabemos esculpir biografías
En músicas hostiles;
Sólo sabemos contar afirmaciones
O negaciones, cabellera de noche ;
Sólo sabemos invocar como niños al frío
Por miedo de irnos solos a la sombra del tiempo.
(Luis Cernuda)
Recueil: Un fleuve, un amour
Traduction: Jacques Ancet
Editions: Fata Morgana
La rage de la mort, les corps torturés,
La révolution, éventail en mains,
Impuissance du puissant, faim de l’assoiffé,
Doute aux mains de doute et aux pieds de doute ;
La tristesse, qui bouge ses colliers
Pour divertir un peu tant de vieillards ;
Tout cela parmi des tombes comme des astres,
Des luxures comme des lunes ;
La mort, la passion dans les chevelures,
Somnolent aussi minuscules qu’un arbre,
Somnolent aussi petites ou aussi grandes
Qu’un arbre poussé jusqu’à toucher le sol.
Aujourd’hui pourtant il est fatigué aussi.
***
Duerme, muchacho
La rabia de la muerte, los cuerpos torturados,
La revolución, abanico en la mano,
Impotencia del poderoso, hambre del sediento,
Duda con manos de duda y pies de duda;
La tristeza, agitando sus collares
Para alegrar un poco tantos viejos;
Todo unido entre tumbas como estrellas,
Entre lujurias como lunas;
La muerte, la pasión en los cabellos,
Dormitan tan minúsculas como un árbol,
Dormitan tan pequeñas o tan grandes
Cómo un árbol crecido hasta llegar al suelo.
Hoy sin embargo está también cansado.
(Luis Cernuda)
Recueil: Un fleuve, un amour
Traduction: Jacques Ancet
Editions: Fata Morgana
Une vérité est couleur de cendre,
Une autre vérité est couleur de planète ;
Mais toutes les vérités, du sol jusqu’au sol,
Ne valent la vérité sans couleur de vérité,
La vérité qui ne sait comment l’homme souvent s’incarne dans la neige.
Quant au mensonge, il suffit de lui dire « j’aime »
Pour que pousse entre les pierres
Sa fleur, qui pour des feuilles montre des baisers
Des épines au lieu d’épines.
La vérité, le mensonge,
Comme des lèvres bleues,
L’une dit, l’autre dit ;
Mais jamais vérités ou mensonges ne prononcent leur torve secret ;
Vérités ou mensonges
Sont oiseaux qui émigrent à la mort des yeux.
***
Dejadme solo
Una verdad es color de ceniza,
Otra verdad es color de planeta;
Mas todas las verdades, desde el suelo hasta el suelo,
No valen la verdad sin color de verdades,
La verdad ignorante de cómo el hombre suele encarnarse
en la nieve.
En cuanto a la mentira, basta decirle « quiero »
Para que brote entre las piedras
Su flor, que en vez de hojas luce besos,
Espinas en lugar de espinas.
La verdad, la mentira,
Como labios azules,
Una dice, otra dice;
Pero nunca pronuncian verdades o mentiras su secreto
torcido;
Verdades o mentiras
Son pájaros que emigran cuando los ojos mueren.
(Luis Cernuda)
Recueil: Un fleuve, un amour
Traduction: Jacques Ancet
Editions: Fata Morgana