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QUIA HORTULANUS ESSET (Marguerite Yourcenar)

Posted by arbrealettres sur 30 avril 2022



Illustration: Salvadore Dali    
    
QUIA HORTULANUS ESSET

Je suis l’ouvrier du silence,
L’au-delà des gestes humains,
L’obole qui contrebalance
L’or des Césars entre vos mains.

Je suis l’innocence de l’aube
Et l’oeuf fragile au fond du nid;
Les replis usés de ma robe
Ont la largeur de l’infini.

Je suis plus vendu qu’un esclave,
Et, plus qu’un pauvre, abandonné;
Je suis l’eau céleste qui lave
Le sang que pour vous j’ai donné.

Les lys et les agneaux, mes frères,
Sont comme moi sans défenseur;
Je revêts tous ceux qui pleurèrent
D’une cuirasse de douceur.

Peu m’importe que l’on me nie :
Je suis l’obscur et l’insulté
Semant sa sueur d’agonie
Aux sillons du futur été.

Je suis la neige qui prépare
La lente éclosion des fleurs;
Deux bras ouverts, vivante barre,
Diamètre de vos douleurs.

La rose à mes côtés relève
Son visage innocent et beau;
Le bois mort s’humecte de sève;
Et la Madeleine au tombeau,

Moite encor des larmes versées,
Reconnaît, dieu qui sanglota,
Le jardinier aux mains percées
Sous l’arbre noir du Golgotha.

(Marguerite Yourcenar)

 

Recueil: Les charités d’Alcippe
Traduction:
Editions: Gallimard

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Madeleine hurlait (Anna Akhmatova)

Posted by arbrealettres sur 22 mars 2019



Illustration: Jean-Georges Cornélius
    
Madeleine hurlait, sanglotait,
Le disciple favori devenait pierre,
Mais personne n’osa regarder
Là où muette se dressait la Mère.

(Anna Akhmatova)

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A la recherche du temps perdu (Marcel Proust)

Posted by arbrealettres sur 31 août 2018



 

madeleine

Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher n’existait plus pour moi,
quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé.
Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai.

Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulées dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques.
Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé
où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine.

Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis,
attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi.
Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause.
Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire,
de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi.

J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel.
D’où avait pu me venir cette puissante joie ?

Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature.
D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ?

Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde.
Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer.
Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi.

Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment,
avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter
et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif.

Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité.
Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ;
quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien.

Chercher ? pas seulement : créer.
Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière.

(Marcel Proust)

 

 

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SAINTE MADELEINE (René Guy Cadou)

Posted by arbrealettres sur 10 janvier 2018



 

Illustration: Philippe de Champaigne
    
SAINTE MADELEINE

N’ai jamais vu telle servante
Avoir le coeur si près du ventre

Disait Simon le métayer
A ses amis les bons fermiers

Par les deux bouts brûle chandelle
Au lendemain d’être pucelle

De quatorze ans si j’en avais
Me maigrirait tous mes valets

Mais quand revint finie la guerre
Le fils occis devant l’Yser

A peine entré dans la maison
Les siens tombés en pâmoison

A ses genoux la Madeleine
Comme une eau pure de fontaine

Se répandit et fit si bien
jeune homme à lui revint

sont trompés tous sur ton compte
Relève-toi fille de comte

En vérité je te le dis
Ton amour mène au Paradis.

(René Guy Cadou)

 

Recueil: Poésie la vie entière
Traduction:
Editions: Seghers

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Attiré par la robe rouge (Marie-Claire Bancquart)

Posted by arbrealettres sur 22 mai 2017




    
Attiré par la robe rouge d’une inconnue
mon regard porte au fond d’une boutique obscure
qui vend aiguilles, passementeries,
fourbis désuets de mercière.

Je voudrais à mon tour
pénétrer dans cette ombre, parler à la passante
de bolducs, de gros-grains.
ensuite ? Salon de thé pour toutes deux, madeleines,
menues confidences.

Mais des autobus couinent, la rue
dresse un barrage contre la dame de mes voeux.

J’ai perdu peut-être
une rencontre doucement surannée, une amie ?

(Marie-Claire Bancquart)

 

Recueil: Terre Energumène
Editions: Le Castor Astral

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