J’allais dans le verger où les framboises au soleil
chantent sous l’azur à cause des mouches à miel.
C’est d’un âge très jeune que je vous parle.
Près des montagnes je suis né, prés des montagnes.
Et je sens bien maintenant que dans mon âme
il y a de la neige, des torrents couleur de givre
et de grands pics cassés où il y a des oiseaux
de proie qui planent dans un air qui rend ivre,
dans un vent qui fouette les neiges et les eaux.
Oui, je sens bien que je suis comme les montagnes.
Ma tristesse a la couleur des gentianes qui y croissent.
Je dus avoir, dans ma famille, des herborisateurs
naïfs, avec des boîtes couleur d’insecte vert,
qui, par les après-midi d’horrible chaleur,
s’enfonçaient, dans l’ombre glacée des forêts,
à la recherche d’échantillons précieux
qu’ils n’eussent point échangés pour les vieux
trésors des magiciens des Bagdads merveilleuses
où les jets d’eau ont des fraîcheurs endormeuses.
Mon amour a la tendresse d’un arc-en-ciel
après une pluie d’avril où chante le soleil.
Pourquoi ai-je l’existence que j’ai ?… N’étais-je fait
pour vivre sur les sommets, dans l’éparpillement
de neige des troupeaux, avec un haut bâton,
à l’heure où on est grandi par la paix du jour qui tombe ?
Tout ce qui apparaît n’existe pas vraiment
de la manière dont nous le percevons.
Ce sont simplement des images vides.
Nous sommes autant abusés sur leur mode d’existence véritable
qu’une personne trompée par les tours d’un magicien.
Je suis le cuisinier d’un feu de poésie,
Magicien tournant dans la marmite d’or
Le coeur purifié des paroles choisies
Avec le piment noir et pourpre de la Mort.
Je suis le capitaine d’un prince plus fort
Que tous les conquérants des Indes ou d’Asie,
Chuchotant tout à coup aux oreilles saisies
Le mot de passe impérieux, de port en port.
Par le monde mon seul adversaire est l’ennui;
Pour le mettre en déroute il n’est que sérénades :
Le caprice arlequin en bondissant me suit.
Bien déluré d’ailleurs qui dira d’où je suis,
Car chasseur kurde ou guitariste de Grenade,
J’enferme des oiseaux dans un cercle de nuit.
Par l’appel souriant de sa claire étendue
Et les feux agités de ses miroirs dansants,
La mer, magicienne éblouissante et nue,
Eveille aux grands espoirs les meurs adolescents.
Pour tenter de la fuir leur effort est stérile ;
Les moins aventureux deviennent ses amants,
Et, dès lors, un regret éternel les exile,
Car l’on ne guérit point de ses embrassements.
C’est elle, la première, en ouvrant sa ceinture
D’écume, qui m’offrit son amour dangereux
Dont mon âme a gardé pour toujours la brûlure
Et dont j’ai conservé le reflet dans mes yeux.
Je ne crois à rien à personne
sinon au petit magicien des bals d’enfants d’autrefois
le prestidigitateur miteux et blême
au visage ridé sous le fard.
Son haut-de-forme posé à l’envers sur un guéridon
il le recouvre d’un foulard rouge
et soudain
il le retire et voyez ce qu’il sort du chapeau :
un oeuf un lapin un drapeau
un oiseau ma vie et la vôtre et les
morts il les cache dans la coulisse
pour un piètre
SALAIRE.
(Jean Tardieu)
Recueil: L’accent grave et l’accent aigu
Traduction:
Editions: Gallimard
[Refrain]
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Les comédiens ont installé leurs tréteaux
Ils ont dressé leur estrade et tendu des calicots
Les comédiens ont parcouru les faubourgs
Ils ont donné la parade à grand renfort de tambour
Devant l’église une roulotte peinte en vert
Avec les chaises d’un théâtre à ciel ouvert
Et derrière eux comme un cortège en folie
Ils drainent tout le pays les comédiens
[Refrain]
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Si vous voulez voir confondus les coquins
Dans une histoire un peu triste où tout s’arrange à la fin
Si vous aimez voir trembler les amoureux
Vous lamenter sur Baptiste ou rire avec les heureux
Poussez la toile et entrez donc vous installer
Sous les étoiles où le rideau va se lever
Quand les trois coups retentirent dans la nuit
Ils vont renaître à la vie, les comédiens
[Refrain]
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Les comédiens ont démonté leurs tréteaux
Ils ont ôté leur estrade et plié les calicots
Ils laisseront au fond du cœur de chacun
Un peu de la sérénade et du bonheur d’Arlequin
Demain matin quand le soleil va se lever
Ils seront loin et nous croirons avoir rêvé
Mais pour l’instant ils traversent dans la nuit
D’autres villages endormis les comédiens
[Refrain]
Viens voir les comédiens
Les musiciens
Les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Les musiciens
Les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Les musiciens
Les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Voir les musiciens
Voir les magiciens qui arrivent
Viens voir les comédiens
Les musiciens
Les magiciens…
Un rêve, un rêve,
Un rêve sinon rien
Un rêve qui élève
Qui enivre, qui délivre
Un rêve, pour aller plus loin
Donnez-nous un rêve
Et nous soulèverons le monde
Le rêve d’un rêve
Et nous le chanterons à la ronde
Celui du semeur qui prie pour sa moisson
Ou de l’homme confiant qui construit sa maison
Celui des braves gens qui disent encore bonjour
Et de l’enfant qui rit au bonheur qui l’entoure
Celui de l’ami Pierre, celui de Thérésa
Dans la même bonté Paris et Calcutta
Celui de celles et ceux
Qui cherchent et cherchent encore
Pour rallumer des vies
En réparant les corps
Et celui de John
Si bien imaginé
Celui que personne
N’a encore exaucé
Un rêve, le rêve de ne pas tout gâcher
Le rêve de n’pas tout fiche en l’air
Pour ne pas que la terre redevienne un désert
Sans rêve et sans lumière
Donnez-nous un rêve
Et nous soulèverons le monde
Le rêve d’un rêve
Et nous le chanterons à la ronde
Celui des marins qui ont vaincu leurs peurs
Qui ont défié la mer l’immensité au coeur
Les premiers fous volants,
Ces fiers enfants d’Icare
Jubilants en suspens
Entre le vide et l’histoire
Et celui de tous ceux
Qui inventent du soleil
D’une couleur, d’une note,
D’une image ou d’un mot
Artistes et magiciens
Qui entrouvrent le ciel
Frissons d’éternité
Si chers à Cyrano
Un rêve d’amour
Et de fraternité
Plus fort que les discours
Et les mots frelatés
Celui de Martin,
Celui de Nelson
La couleur de leur peau
Portée comme une couronne
Et celui de John
Si bien imaginé
Celui que personne
N’a encore exaucé
C’est moi le pitre des étoiles
Le magicien de ma p’tite vie
Mais qui nous força
D’entrer en piste
Qui ordonna le saut de la mort
En piste
Tout dans le son et la chanson
Je cabriole et je gambade
Aussi libre qu’un bouffon
Je cahote, je cavalcade
En piste
Je suis le saltimbanque de mes vertiges
J’offre du cirque à ma p’tite vie
À ma p’tite vie
Mais qui décréta notre entrée en piste
Qui ordonnera notre saut de la mort