Une rose d’un mois d’avril
Sous une étoile qui regarde
Éveilla, malice ou mégarde,
mon désir pas encor viril.
C’est ta bouche au rose grésil
Qui fut pour ton page, Hildegarde,
Une rose d’un mois d’avril
Sous une étoile qui regarde.
J’ai connu les deuils, le péril,
Depuis, et l’angoisse hagarde !
mais qu’importe, puisque je garde
Fraîche en mon vieux coeur puéril
Une rose d’un mois d’avril !
Le vent n’arrête pas de me faire des malices
Il pose sur la page un tout petit insecte
dessiné si fin avec des yeux si microscopiques
des couleurs si pâles dans les verts étouffés
et des gris si transparents que je perds dix minutes
à le regarder Il reste d’abord immobile comme médusé
puis se met en route pour traverser la feuille
et je ne sais plus du tout comment commençait le poème
que je m’étais décidé à me mettre à écrire
Je vais chercher le manuel d’entomologie
pour essayer de percer à jour l’identité de mon insecte
qui est probablement un hétéroptère le berytines minor
Je n’en suis pas sûr cependant Il faudrait vérifier
mais le vent embrouille les pages et je n’arrive pas
à trouver son portrait dans les planches en couleurs
J’essaie de me souvenir de l’amorce du poème
Il y avait au début l’odeur du seringa
et le goût que doit avoir une certaine couleur
laiteuse et vive couleur du jour juste avant le soleil couchant
(un goût d’amande amère et de sorbet au citron)
Mais le vent fait tomber de l’arbre au-dessus de ma tête
les premières feuilles mortes de l’année
des feuilles de cerisier roussies par la canicule
Les feuilles bousculent le poème qui reprenait forme
et voilà mon poème éparpillé et défeuillé qui s’en va
Il faut se résigner et changer de sujet
Je vais écrire un poème qui commencera ainsi
Le vent n’arrête pas de me faire des niches
(Claude Roy)
Recueil: Claude Roy un poète
Traduction:
Editions: Gallimard Jeunesse
Boîtes à malice ou boîte à sel
Boîte à huile et boîte à ficelle
Baguier, trousse ou boîtillon
Buste, canastre ou serron
Castre, cassette, carton
Coffret, drageoir, esquipot
Droguier, fourniment, fourreau
Carré, coutelière ou barse
Galon, giberne et grimace
Utricule ou vésicule
Pyxide ou boîte à pilules
Boîte à poudre d’escampette
Boîte à outils, à gâteaux
Boîte à onglet, boîte à lettres
Tabagie, boîte saunière
Boîte avant ou boîte arrière
De vitesses, de lenteur
Boîte à prendre les souris
Tiroir, layette ou trémie
Boîte à buter les facteurs
(Boris Vian)
(Boris
Recueil: Cantilènes en gelée
Traduction:
Editions: Le Livre de poche
Le singe descend de l’homme.
C’est un homme sans cravate,
sans chaussures, sans varices,
sans polices, sans malice,
sorte d’homme à quatre pattes
qui n’a pas mangé la pomme.
Rends-moi mes yeux, qui s’égarèrent
Trop longtemps, quand sur toi restèrent :
Mais y eurent telles leçons
De tromperie
Et félonie
Qu’en est leur vue
Toute perdue
Par ta faute : garde-les donc.
Et rends-moi mon coeur sans malice,
Que méchants pensers ne ternissent;
Mais si lui enseigna le tien
A faire liesse
De la tendresse
Et simagrée
De foi jurée
Garde-le, car il n’est point mien.
Rends-moi pourtant mon coeur, ma vue,
Que tes ruses me soient connues,
Et que je rie, et sois comblé
Si, languissante,
Tu te tourmentes
Pour créature
Qui n’en a cure,
Ou perfide autant que tu l’es.
***
THE MESSAGE
Send home my long strayd eyes to mee,
Which (Oh) too long have dwelt on thee;
Yet since there they have learn’d such ill,
Such forc’dfashions,
And false passions,
That they be
Made by thee
Fit for no good sight, keep them still.
Send home my harmlesse heart againe,
Which no unworthy thought could stain;
But if it be taught by thine
To make jestings
Of protestings,
And crosse both
Word and oath,
Keepe it, for then ’tis none of mine.
Yet send me back my heart and eyes,
That I may know, and see thy lyes,
And may laugh and jay, when thou
Art in anguish
And dont languish
For some one
That will none,
Or prove as false as thou art now.
(John Donne)
Recueil: Poèmes
Traduction: J.Fuzier et Y. Denis
Editions: Gallimard
Délicate créature :
Je souhaite que ma voix
Ne trouble pas le sortilège
Orangé de cette forêt,
Ton élément naturel,
Par ses troncs obscurs
Élevée jusqu’au ciel.
Je voudrais, en cette
Soirée translucide,
Dense comme une grappe,
Sur toi laisser une empreinte, une forme,
Jouer des branches et des feuilles,
Toi, dans le vent hésitant.
Arôme diffus, tu erres
Du pas gris des songes
Et te perds dans la brume
Que l’étang exhale,
Pensée amusée
D’un dieu amoureux.
Tu inspires l’air tout entier
Par ta magie s’épanouit,
Comme une fleur, librement,
Le désir de l’homme
Et ce repos souverain
Qui soulage la vie.
Toujours incertaine, tel l’écho
De quelque lèvre, au loin,
D’aulnes en aulnes
A la blancheur nordique,
Vibre ta svelte musique
Et dans un feu soupire.
L’amour pèse-t-il donc
Sur ton corps invisible ?
Et ses tricheries obscures
Sur le monde, par toi nous
Rappellent-elles, désir éternel,
Combien nous sommes éphémères ?
Souris, parle-moi, chante,
Si tu es bien cette extase
Entraînant les feuilles ardentes,
Dépouilles de ta seule couronne,
Avec une passion insatiable,
A se révéler dans la mort.
Sais-tu mourir aussi, mourir
Comme la beauté humaine,
Fils subtil de la forêt ?
Tu t’apaises sur la mousse,
La brume te fait taire,
Un nuage vient sculpter,
Tel un iris de nacre légère,
L’ennui que tu portes aux jours.
Je crois encore voir tes yeux,
Leur malice sereine,
Au delà des cimes nues,
Dans l’air profond
Et déjà glacé, alors que la nuit
Impérieuse se lève.
(Luis Cernuda)
Recueil: Les nuages
Traduction: Anthony Bellanger
Editions: Fata Morgana
Chant des oiseaux à midi
Ce pépiement
N’est certes pas méchant.
Ils chantent sans penser à nous
Et ils sont aussi nombreux que la semence d’Abraham.
Ils ont leur propre vie
Et voler est pour eux chose normale.
Certains sont oiseaux rares et d’autres vulgaires
Mais toute aile est grâce.
Leur coeur n’est jamais lourd
Même en piquant un ver.
Peut-être sont-ils simplement insouciants.
Les cieux sont leur royaume
De jour et de nuit.
Et lorsqu’ils touchent une branche
Elle est leur aussi.
Ce pépiement est dénué de malice
Et avec le temps il paraît même
Plein de compassion.
(Dalia Ravikovitch)
Recueil: Anthologie de la poésie en hébreu moderne
Traduction: J. Milbauer
Editions: Gallimard