La ville écrase la forêt
pour y installer son décor
sans songer au bruit que ferait
le chant de tous les oiseaux morts
On cimente les paysages
on bétonne les horizons
Nous voici arrivés à l’âge de raison
Le petit sentier de l’école
est une autoroute à six voies
qui mène à la piste d’envol
où les Boeing hurlent de joie
Il y a du goudron sur la plage
et du gas-oil sur le gazon
Nous voici arrivés à l’âge de raison
On a piétiné les ballades
et les refrains de nos printemps
on en a fait des marmelades
pour les vieillards de dix-sept ans
qui font sauter les pucelages
avec des trognons de chanson
Nous voici arrivés à l’âge de raison
Les décibels nous assassinent
les scooters nous bouffent le coeur
et la télé dans les cuisines
nous explique notre bonheur
Quand on veut rêver, les nuages
ont la forme de champignons
Nous voici arrivés à l’âge de raison
Rien à faire petit bonhomme
mets ta tête sous l’oreiller
Grand-mère a bouffé une pomme
et c’est à nous de la payer
Tiens-toi tranquille reste sage
enfoui au creux de ta maison
et laisse, laisse passer l’âge de raison
1
En effeuillant au soleil couchant
Une fleur des champs
La blanche marguerite
J’imagine un pompier pas méchant
Ou d’un soldat dans sa guérite
Nous irions dans un beau jardin
Comme un prince avec sa princesse
Et de minuit jusqu’au matin
Nous serions tout miel et caresse.
Refrain
Je suis rêveuse et fragile
La brutalité
Me blesse et me tourne la bile
La douceur c’est ma qualité
J’aime les fleurs et les mots tendres
Et les songes bleus
Parfois je sens mon cœur se fendre
En guettant un amoureux.
2
Je suis pareille aux sveltes iris
Pareille au grand lys
Pareille aux fraises mûres
Mon coeur est doux d’esprit délicat
Je suis une faible nature
L’amour trouble mon estomac
Mais quand je rêve aux aventures
Ma chair frémit, j’en suis gaga
Faut prendre ma température.
3
Hélas hélas j’ai ce soir cent ans
Un rêve épatant
Me semble aujourd’hui fade
Je veux quelqu’un vivant pour coucher
Je voudrais le marquis de Sade
Ou bien un gros garçon boucher
Et qu’il me mette en marmelade
Qui m’étreigne et fasse loucher
Et que je ne sois plus en rade.
(Robert Desnos)
Recueil: Les Voix intérieures
Traduction:
Editions: L’Arganier