Nulle Vierge à l’Enfant ne pourrait se mesurer
à cette image de la tendresse maternelle
pour un fils qu’elle devrait bientôt oublier.
L’air était lourd d’odeurs
de diarrhée d’enfants non lavés
aux côtes délavées et aux derrières
décharnés qui avancent d’un pas laborieux
traînés par des ventres vides et gonflés. Tant
de mères avaient cessé depuis longtemps
de prodiguer leurs soins, mais pas celle-ci; elle arborait
un sourire fantôme entre ses dents
et dans ses yeux le fantôme de l’orgueil
d’une mère tandis qu’elle peignait telle la touffe de cheveux
couleur rouille qui restait sur son crâne et puis –
dans ses yeux un chant – elle a commencé à les
séparer avec soin… Dans une autre vie ça
aurait été un peu banal
un acte sans conséquence avant son
petit-déjeuner et l’école; mais en cet instant
son geste était de fleurir
une tombe minuscule
(Chinua Achebe)
Traduit de l’anglais par Frieda Ekotto, &ware Sou! Brother, Heinemann, 1971.
Recueil: 120 nuances d’Afrique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Voici le Soleil
Qui fait tendre la poitrine des vierges
Qui fait sourire sur les bancs verts les vieillards
Qui réveillerait les morts sous une terre maternelle.
J’entends le bruit des canons — est-ce d’Irun?
On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat Inconnu.
Vous mes frères obscurs, personne ne vous nomme.
On promet cinq cent mille de vos enfants à la gloire des
futurs morts, on les remercie d’avance futurs morts
obscurs
Die Schwarze schande !
Écoutez-moi, Tirailleurs sénégalais, dans la solitude de la terre noire et de la mort
Dans votre solitude sans yeux sans oreilles, plus que dans ma peau sombre au fond de la Province
Sans même la chaleur de vos camarades couchés tout contre vous, comme jadis dans la tranchée jadis dans les palabres du village
Écoutez-moi, Tirailleurs à la peau noire, bien que sans oreilles et sans yeux dans votre triple enceinte de nuit.
Nous n’avons pas loué de pleureuses, pas même les larmes de vos femmes anciennes
— Elles ne se rappellent que vos grands coups de colère, préférant l’ardeur des vivants.
Les plaintes des pleureuses trop claires
Trop vite asséchées les joues de vos femmes, comme en saison sèche les torrents du Fouta
Les larmes les plus chaudes trop claires et trop vite bues au coin des lèvres oublieuses.
Nous vous apportons, écoutez-nous, nous qui épelions vos noms dans les mois que vous mouriez
Nous, dans ces jours de peur sans mémoire, vous apportons l’amitié de vos camarades d’âge.
Ah ! puissé-je un jour d’une voix couleur de braise, puissé-je chanter
L’amitié des camarades fervente comme des entrailles et délicate, forte comme des tendons.
Écoutez-nous, Morts étendus dans l’eau au profond des plaines du Nord et de l’Est.
Recevez ce sol rouge, sous le soleil d’été ce sol rougi du sang des blanches hosties
Recevez le salut de vos camarades noirs, Tirailleurs sénégalais
MORTS POUR LA RÉPUBLIQUE !
Tours, 1938.
(Léopold Sédar Senghor)
Recueil: Anthologie Poésie africaine six poètes d Afrique francophone
Traduction:
Editions: Points
Je me lèverai et j’irai vers toi,
Traversant les nuits d’insomnie, franchissant
La ligne incandescente des étoiles.
Je sais que tu es loin,
Mais que par toi
tout sera retrouvé.
Je me lèverai et j’irai vers toi,
Enjambant l’abîme d’un pas résolu, ignorant
Toutes distances qui séparent.
Je sais que tu es proche,
Que je dois te chercher
au plus intime de moi.
J’irai vers toi, sûr de te retrouver,
Car je n’oublie point une scène de jadis:
Après une longue fugue, je suis revenu au logis,
L’ombre maternelle s’est retournée, a dit:
« Te voilà! », j’ai répondu: « Me voici! »,
et j’ai fondu en larmes.
(François Cheng)
Recueil: La vraie gloire est ici
Editions: Gallimard
Non, frère d’outre-mer
Surtout pas de nom
Je ne suis pas le fils
Du vent et des nuages
Je suis le fils de la fange
De la fange stérile et rouge
Sables, montagnes et pierres
Je suis le fils de la terre
Maternelle
Silence, oubli, mépris
Je suis l’enfant des douleurs
Éternelles
Non, frère, je ne suis pas
Je ne suis plus
Le Seigneur du désert
Mais l’esclave
Des horizons nus
(Rhissa Rhossey)
Recueil: 120 nuances d’Afrique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Le même cartable de cuir
Prix d’un mois de travail
Les mêmes baisers furtifs
Au bord de la route,
Le même vélo historique et quotidien
Tous les trois, la marche en avant
Au goût d’appréhension,
Les camarades qui accrochent leurs yeux
Aux souliers de la grande soeur
A la blouse lavée et raccommodée
Le chef serrant une poignée de main de traître,
Mais le soir, une nourriture
Réchauffée,
Savoureuse.
Maternelle,
Amoureuse,
Une communion solidaire
Après,
Un partage du livre :
Les hommes auront la force d’être ;
Il faut comprendre,
Rappelle la voix fatiguée
Et forte du Père.
Tu commenças de naître à ton propre destin
Par sa nuit nuptiale, en ta mère adorée,
Étroitesse et touffeur du ventre vénéré
D’où, doré de désir, en ce monde tu vins
Pour aimer la splendeur parfaite de son sein,
Sa tiède plénitude – ô tournesols si tendres,
Soucoupes qui du ciel pour toi semblent descendre
À ta langue portant le nectar le plus fin.
Par le lait maternel tu devins grand et beau.
D’une tête plus haut que ta mère, et plus haut
Que ces filles au bal à ta danse soumises,
Et tu aimes chacune, et te plaît l’éventail
De leur robe attirant l’odeur et le nectar
Des soucoupes du ciel qui te furent promises.
(Many-Leib)
Recueil: Anthologie de la poésie yiddish Le miroir d’un peuple
Traduction:
Editions: Gallimard
Il y avait des femmes, grandes et maternelles.
Mystère de leurs jupes douces sur mes bras nus.
Et le soleil ! Les guêpes, prisonnières du couchant,
Glissaient parmi les peines anciennes de la vitre,
Traversaient le losange que chaque été reforme,
Immerge dans la crête transparente des bois.
Un fleuve qui éclate sans troubler mon sommeil
Et s’allonge sans bruit sur le plâtre. Des surprises
Dans les lauriers mouillés. Et puis de ferroviaires
Aventures, au petit jour, tandis que brûlent
Le dernier visage, la dernière porte.