Le jour soulève le couvercle
D’une boîte à musique
Entre l’aube et le soir
S’animent les sujets
Fiables mécaniques
Que remonte la nuit
Une main invisible
(Franck Bouysse)
Recueil: Fenêtre sur Terre
Traduction:
Editions: Phébus
Combien de temps, tête sempiternelle,
Te faudra-t-il penser et repenser,
Tel l’aiguilleur reclus dans sa tourelle,
Guetteur raidi du train qui va passer ?
Au roulement des rapides idées
Ouvrant ou non les disques lumineux,
Combien de temps, leviers vertigineux,
Dois-je mouvoir vos tiges recoudées?
Combien de temps?
Combien de temps, radoteuse cervelle,
Dois-je sentir ta roue en moi tourner,
Virer au vent et voleter ton aile,
Et sous ta meule un grain dur s’enfourner?
Combien de temps, machine tyrannique,
De ton tiquant, de ton taquant moulin,
Où toujours entre et d’où sort un sac plein,
Me faudra-t-il servir la mécanique?
Combien de temps?
Combien de temps,
Dans la guérite où je
Me faudra-t-il garder
Tenace Esprit qui ne
nocturne sentinelle,
dois m’enfermer,
ta citadelle,
veux désarmer?
Le poing toujours sur le pommeau du glaive,
Prêt à jeter l’anxieux Qui va là,
Combien de temps, dans le trou que voilà,
Me faudra-t-il attendre la relève?
Combien de temps?
(André Berry)
Recueil: Poèmes involontaires suivi du Petit Ecclésiaste
Traduction:
Editions: René Julliard
J’ai un goût de larmes.
Je suis accompagnée par un orgue et aussi par une flûte douce.
La flûte en spirale. Et je suis très tango également.
Je suis désaccordée, que puis-je faire? Je suis née gauche.
Et affamée.
J’ai l’impression que quelqu’un vit ma vie,
que ce qui se passe n’a rien à voir avec moi,
il y a un ressort mécanique quelque part en moi.
Je veux tout simplement : l’impossible. Voir Dieu.
J’entends le bruit du vent dans les feuilles et je réponds : oui !
Il y a autour de moi tellement de mouvements que je les ai pensés : la mort m’attend;
Mon mouvement le plus pur est celui de la mort
(Clarice Lispector)
Recueil: Un souffle de vie
Traduction: Jacques Thiériot & Teresa Thiériot
Editions: Des femmes
Près d’une maison de soleil et de cheveux blancs
une forêt se découvre des facultés de tendresse
et un esprit sceptique
Où est le voyageur demande-t-elle
Le voyageur forêt se demande de quoi demain sera fait
Il est malade et nu
Il demande des pastilles et on lui apporte des herbes folles
Il est célèbre comme la mécanique
Il demande son chien
et c’est un assassin qui vient venger une offense
La main de l’un est sur l’épaule de l’autre
C’est ici qu’intervient l’angoisse une très belle femme en
manteau de vison
Est-elle nue sous son manteau
Est-elle belle sous son manteau
Est-elle voluptueuse sous son manteau
Oui oui oui et oui
Elle est tout ce que vous voudrez
elle est le plaisir tout le plaisir l’unique plaisir
celui que les enfants attendent au bord de la forêt
celui que la forêt attend auprès de la maison
Un fakir part à la recherche de la pierre philosophale,
celle qui convertit le plomb en or.
Il prend les chemins de tous les exils,
passant d’un lieu à l’autre afin de trouver cette pierre,
l’une de ces présences à peine aperçues dont la poésie tire sa fulguration.
Pour se simplifier la tâche, il s’est passé à la taille une ceinture de cuivre et,
selon qu’il va, chaque fois qu’il voit une pierre qui pourrait être celle qu’il cherche,
il s’en saisit et la frotte contre son ventre : hélas, rien ne se passe.
Les journées s’écoulent, et les années.
Il fait toujours le même geste d’une manière de plus en plus mécanique :
chaque fois qu’il trouve une pierre susceptible d’être celle qu’il quête,
il la prend, la frotte contre sa ceinture, puis la jette et continue sa route.
Car à quoi bon ?
Finalement, il désespère.
Puis un jour, par hasard, il regarde sa ceinture.
Elle brille, elle étincelle, elle flambe.
À quel moment le cuivre s’est-il métamorphosé ?
Et lui-même, où donc et quand a-t-il rencontré la pierre ?
Il ne le sait pas et sans doute ne le saura-t-il jamais.
C’est ainsi.
La couverture s’écarte.
C’est une femme.
Un squelette de femme.
Elle est nue.
On voit les côtes et les os iliaques.
Elle remonte la couverture sur ses épaules,
continue à danser.
Une danse de mécanique.
Un squelette de femme qui danse.
Ses pieds sont petits,
maigres et nus
dans la neige.
Dans un journal à fascicules
J´ai lu en lettres majuscules
Qu´on ne peut vivre sans calcul
En ce siècle où les automates
Sont les grands rivaux des primates
Qu´on ne peut plus vivre sans maths
Comme d´ailleurs depuis toujours
Quel que soit l´homme et ses recours
On ne peut vivre sans amour
Moi qui tiens fermement à vivre
Et qui suis lucide autant qu´ivre
J´ai uni le lit et le livre
J´ai rencontré au point critique
La femme la plus érotique
Une Vénus mathématique
Vive la nouvelle Vénus mathématique!
Au bal de l´Hôtel Terminus
Je vis soudain cette Vénus
Qui embrasa mes cosinus
C´était la folle nuit du rythme
Au bras d´un jeune sybarite
Elle exhibait ses logarithmes
C´était pour moi un jour de bol
La voilà qui me carambole
D´un grand sourire en hyperbole
C´était la grande nuit du rut
Le temps de pousser un contre-ut
Je l´attaquai comme une brute
Grâce à son triangle et son pis
Aussi rond que le nombre Pi
Elle augmenta mon entropie
Vive la nouvelle Vénus mathématique!
Et moi, très vite, j´adorai
Cette enfant qui suivait de près
De toute science les progrès
Les manuels, les opuscules
Les courbes, les tests, les calculs
Lui tenaient lieu de crépuscules
Au saint nom des mathématiques
Elle appliqua ses statistiques
À nos étreintes frénétiques
Au diable les gens qui attifent
Leur passion de préservatifs
Ou de retraits intempestifs
Bientôt, nous réglâmes tous nos
Exercices abdominaux
Selon la méthode Ogino
Vive la nouvelle Vénus mathématique
Et la Vénus aux équations
Me fit goûter des sensations
D´une nouvelle dimension
Les entités humanoïdes
Aux formes hyperboloïdes
Charment les spermatozoïdes
Dans mon vieux grenier en spirale
Chaque soir, quel concert de râles
Quand je frôlais son intégrale
Elle avait uni sans histoire
La mécanique ondulatoire
Et les positions giratoires
Mes caresses venaient en troupe
Selon la théorie des groupes
Pour réunir jambes et croupes
Vive la nouvelle Vénus mathématique
Hélas, un jour, un jour funeste
Elle me fit passer un test
Qui lui démontra sans conteste
En comparant des numéros
Que j´étais un pauvre zéro
Elle prit la tangente au trot
Avec ses courbes inconnues
Dans l´espace discontinu
Elle s´en alla toute nue
Vive la nouvelle Vénus mathématique!
Au ras de l’eau
un vol de cygnes
remonte le fleuve
et le lourd battement mécanique de leurs ailes
a fait taire les cris des enfants
jouant sur l’autre rive