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LES BARRIÈRES CÉLESTES (Jaroslav Seifert)

Posted by arbrealettres sur 12 mars 2023



Illustration: Ron Mueck
    
LES BARRIÈRES CÉLESTES

Quelques secondes avant de mourir
la mère tourna son visage vers nous
et d’une voix rauque s’écria :
Il n’y a rien !
Puis la voûte du silence s’éleva sur sa bouche.

Dans quel abîme se sont répandus
les grains de son chapelet
cent fois embrassés,
où sont tombés les mots de toutes ses prières
et le bruissement des chansons
qu’elle chantait depuis l’enfance ?
Que sont devenues la peur et l’angoisse
devant ses actes les plus menus ?
Ils portent les noms des péchés
sans être meilleurs ou pires
que les autres.

Quelle obscurité a-t-elle aperçue
dans cette cruelle seconde,
où, du talon, nous repoussons le sol
pour retomber aussitôt sur lui ?

e sortis sur le balcon
et de la chaise branlante de ma mère
je regardai quelque part,
dans les hauteurs célestes.
Durant toute notre longue vie
elles ne cessent de lorgner vers nos fenêtres,
elles n’ordonnent rien,
elles ne demandent rien
et, si vous voulez, elles
sont d’une beauté indicible.
Et nous, nous essayons de les acheter
par un grain d’encens par un grain du chapelet,
par des mots, par une larme !

Et à la fin
nous voulons soulever leurs barrières lumineuses
par notre dernier soupir,
celui qui, de tous nos gémissements,
est le plus vain.

(Jaroslav Seifert)

Recueil: Les danseuses passaient près d’ici
Traduction: Petr Kral et Jan Rubes
Editions: Actes Sud

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LES FILLES DES GOBES (André Pieyre de Mandiargues)

Posted by arbrealettres sur 9 mars 2023



 

Kristine Kvitka [1280x768]

LES FILLES DES GOBES

Dans un de ces jours-là qui sont pâles et gris
Comme les flancs humides de la craie
Dans le jour gris d’une marée de novembre
Qui attire très loin le bord bruissant de l’eau
Un homme inquiet regarde le ciel noir
Entre les découpures de la crête de marne
Au-dessus de la crête le ciel sombre où passent
Des voiliers d’oies sauvages en route vers le sud.

Il faut descendre encore un peu parmi les éboulis
Aller sur le chemin des ramasseurs d’épaves
De l’autre côté d’un tas rocheux où le pied glisse
Passer un cailloutis où des charognes pourrissent
Pour la joie des crabes verts à marée haute
Là-bas se trouve une grève secrète
Murée de blocs précipités jadis
Solitaire entre toutes les plages de ce rivage désolé.

Nous vîmes là dans un matin de fin d’automne
Trois filles de la mer qui dansaient tristement
Pâles aussi couronnées de varech
Nues comme la craie soumise à l’érosion.

Leurs cheveux ondulaient sur leurs épaules maigres
Comme les laminaires flottant aux creux des Haumes
Leurs ventres plats remuaient des croûtes de sable
Avec des mousses marines rouges et roses.

La plus belle portait un long collier d’or
Toutes trois apportaient le grand froid de la mort.

Trois filles nues battues du vent du nord
Le sel brillait au bout de leurs menus seins gris
Leurs pieds dans l’eau faisaient un clapotis
Monotone. Et la mort habitait leurs yeux clairs.

Froides filles accrues aux trous de la falaise
En quelque vieux nid de pygargue
Elles se paissent de moules crues et d’algues
Pêchées à mer basse
L’iode seul court dans leurs veines.

Quand le vent chasse la brume du matin
Déroulée comme un suaire en lisière du ciel
Quand le vent du nord hérisse de glaçons
Les rets blonds des parcs qui sèchent sur les pieux
Les filles des falaises sortent de leurs cavernes
Dans un tourbillon de plumes blanches.

Aux cris des guillemots et des grèbes
Les filles des falaises dansent devant les gobes.

(André Pieyre de Mandiargues)

Illustration: Kristine Kvitka

 

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Dans le moulin de ma solitude (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 30 novembre 2022



Dans le moulin de ma solitude, vous entriez comme l’aurore,
vous avanciez comme le feu.
Vous alliez dans mon âme comme un fleuve en crue.
Et vos rives inondaient toutes mes terres.
Quand je rentrais en moi, je n’y retrouverais rien :
là où tout était sombre, un grand soleil tournait.
Là où tout était mort, une petite source dansait.
Une femme si menue qui prenait tant de place : je n’en revenais pas.
Il n’y a pas de connaissance en-dehors de l’Amour.
Il n’y a dans l’amour que de l’inconnaissable.

(Christian Bobin)

Illustration

 

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Tu n’est pas très grande (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 26 novembre 2022



Mere-theresa [800x600]

Tu n’est pas très grande, on pourrait presque dire que tu es menue
et il sort de toi, de ta présence, de ta voix, de tes yeux,
une puissance enveloppante, une bienveillance de fond.

(Christian Bobin)

 

 

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A la Santé (Guillaume Apollinaire)

Posted by arbrealettres sur 1 novembre 2022




Illustration: Vincent Van Gogh
    
A la Santé

I

Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu

Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu Adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles

II

Non je ne me sens plus là
Moi-même
Je suis le quinze de la
Onzième

Le soleil filtre à travers
Les vitres
Ses rayons font sur mes vers
Les pitres

Et dansent sur le papier
J’écoute
Quelqu’un qui frappe du pied
La voûte

III

Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène

Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
Avec le clefs qu’il fait tinter
Que le geôlier aille et revienne
Dans la cellule d’à coté
On y fait couler la fontaine

IV

Que je m’ennuie entre ces murs tout nus
Et peint de couleurs pâles
Une mouche sur le papier à pas menus
Parcourt mes lignes inégales

Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur
Toi qui me l’as donnée
Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur
Le bruit de ma chaise enchainée

Et tour ces pauvres coeurs battant dans la prison
L’Amour qui m’accompagne
Prends en pitié surtout ma débile raison
Et ce désespoir qui la gagne

V

Que lentement passent les heures
Comme passe un enterrement

Tu pleureras l’heure ou tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures

VI

J’écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu’un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison

Le jour s’en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison

(Guillaume Apollinaire)

Recueil: La Liberté en poésie
Traduction:
Editions: Folio junior

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Tuez (Michel Besnier)

Posted by arbrealettres sur 29 août 2022



Illustration: Henri Galeron
    
Tuez
Dépouillez
Videz
Coupez
Enflammez
Fendez la peau du cou
Enlacez les pattes
Cordez les ailes
Pilez les foies
Hachez menu
Faites sauter
Faites rôtir
Supprimez la tête
Laissez refroidir

– La cuisine c’est la guerre –
Oui Chef

(Michel Besnier)

 

Recueil: Cuisine au beurre noir
Traduction:
Editions : Møtus

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APRÈS NOTRE PREMIÈRE RENCONTRE (Rainer-Maria Rilke)

Posted by arbrealettres sur 9 juin 2022



Illustration: Etienne Adolphe Piot
    
APRÈS NOTRE PREMIÈRE RENCONTRE (4 janvier 1893)

Petits yeux, clairs et bleus
dents si fines et menues,
lèvres roses, belles boucles,
menottes si petites ;
rire de clochette
prompt conquérant !
Si je te loue encore
ce sera encore trop peu.
Être si merveilleux,
ai-je le choix,
comment te nommerai-je ? —
Idéal !

(Rainer-Maria Rilke)

Recueil:
Traduction:
Editions:

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Pensée d’une nuit en voyage (Du Fu)

Posted by arbrealettres sur 20 avril 2020



Illustration: Nora Auric
    
Pensée d’une nuit en voyage

Rive aux herbes menues. Brise légère
Barque au mât vacillant, seule dans la nuit
S’ouvre la plaine aux étoiles qui descendent
Surgit la lune, soulevant les flots du fleuve

L’homme laisse-t-il un nom par ses seuls écrits?
Vieux et malade, que le mandarin s’efface !
Errant, errant, à quoi puis-je ressembler
– Une mouette des sables entre terre et ciel

(Du Fu)

 

Recueil: L’Ecriture poétique chinoise
Traduction: François Cheng
Editions: du Seuil

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FRÈRES AVEUGLES (Philippe Soupault)

Posted by arbrealettres sur 1 avril 2020




    
FRÈRES AVEUGLES

Pensez à tous ceux qui voient
vous tous qui ne voyez pas
où vont-ils se laisser conduire
ceux qui regardent leur bout de nez
par le petit bout d’une lorgnette
Pensez aussi à ceux qui louchent
à ceux qui toujours louchent vers l’or
vers la mer leur pied ou la mort
à ceux qui trébuchent chaque matin
au pied du mur au pied d’un lit
en pensant sans cesse au lendemain
à l’avenir peut-être à la lune au destin
à tout le menu fretin
ce sont ceux qui veillent au grain
Mais ils ne voient pas les étoiles
parce qu’ils ne lèvent pas les yeux
ceux qui croient voir à qui mieux mieux
et qui n’osent pas crier gare
Pensez aux borgnes sans vergogne
qui pleurent d’un oeil mélancolique
en se plaignant des moustiques
des éléphants de la colique
Pensez à tous ceux qui regardent
en ouvrant des yeux comme des ventres
et qui ne voient pas qu’ils sont laids
qu’ils sont trop gros ou maigrelets
qu’ils sont enfin ce qu’ils sont
Pensez à ceux qui voient la nuit
et qui se battent à coup de cauchemars
contre scrupules et remords
Pensez à ceux qui jours et nuits
voient peut-être la mort en face
Pensez à ceux qui se voient
et savent que c’est la dernière fois

(Philippe Soupault)

 

Recueil: Poèmes et poésies
Traduction:
Editions: Grasset

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Rondeau de la grenouille (Jacques Roubaud)

Posted by arbrealettres sur 3 février 2020




    
Rondeau de la grenouille

Un beau soir d’été la verte grenouille
Reçoit pour dîner sur son nénuphar
Des amis, madame et monsieur Canard
Et monsieur Mulot. Menu : ratatouille.

Monsieur Mulot vient un peu en retard
Il craint de tomber dans l’eau :
Ça vous mouille
Même un soir d’été

Le nénuphar bouge. Il crie :
« ouille ! ouille ! ouille ! »
« Mais n’aie donc pas peur ! » lui dit
la grenouille
« Mange du dessert ! » disent les canards
Le repas fini il est déjà tard
On va dormir dans l’herbe qui chatouille
Au beau soir d’été

(Jacques Roubaud)

 

Recueil: Rondeaux poésies
Traduction:
Editions: Gallimard

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