Toujours ce poids qui t’attache à la terre,
Ce pied de plomb tirant sur le genou,
Et cette tête à ton tronc peu légère,
Mal emmanchée à ton douloureux cou;
Toujours le fiel dans cette bouche amère,
Des yeux piquants l’âcre larme qui sourd,
La cire épaisse au creux du tympan sourd;
Du gros cerveau que la tempe resserre
Toujours ce poids!
Toujours ces dents dont l’ivoire s’altère,
Ce crin hirsute en guerre avec le pou,
Toujours ce ventre enflant en demi-sphère
La pommaison de son grotesque chou.
A sa grinçante et peineuse charnière
Toujours ce bras qui pend débile et gourd,
Cette main moite où toute crasse accourt;
Du sang, de l’os, du muscle et du viscère
Toujours ce poids!
Nul réconfort au fond de ta misère
Que de presser un être encor plus mou,
Encor plus creux : tel lard en souricière,
Offrant l’appât de son funeste trou.
Lors sans bonnet sur ton occiput glabre,
Sans gant le carpe et le fémur sans bas,
En toute paix par les luneux sabbats
Tu branleras le tarse au bal macabre.
Courage encor!
(André Berry)
Recueil: Poèmes involontaires suivi du Petit Ecclésiaste
Traduction:
Editions: René Julliard
Si maman retirait ses boucles d’oreille
Je lui mettrais des boucles de cerises
Des cerises rouges comme le soleil
Des soleils tout rouges sur les oreilles.
Quand je reviendrai de l’église
Où j’aurai juré de n’être plus jamais gourmand,
Vite, j’irai mordre les cerises
Sur les oreilles de maman.
Et surtout
Quand le monsieur au chapeau mou
Que je n’aime pas du tout
Viendra lui faire de l’oeil à maman
Avec sa caisse à boniments’
Et rira pour montrer ses dents,
Je prendrai toutes les fois
Les noyaux entre mes doigts
Les noyaux de cerise pleins de sang
Et j’appuierai sans qu’on me voie.
Mors, bien retranché dans mon incognito
Ils partiront comme des bombes, les noyaux
Et taperont juste dans l’oeil
Du monsieur qui fait de l’oeil.
Je hais les haies
Qui sont des murs.
Je hais les haies
Et les mûriers
Qui font la haie
Le long des murs.
Je hais les haies
Qui sont de houx.
Je hais les haies
Qu’elles soient de mûres
Qu’elles soient de houx !
Je hais les murs
Qu’ils soient en dur
Qu’ils soient en mou !
Je hais les haies
Qui nous emmurent.
Je hais les murs
Qui sont en nous.
Quoi! toujours toi, quand rien de moi ne t’aime,
De ma personne indétrônable roi,
Ô monotone et tenace moi-même,
Gui parasite au sein d’un meilleur Moi!
Traînant partout tes humeurs inégales,
Tes muscles mous et tes nerfs anxieux,
Et ton cœur sec et tes sens vicieux,
Tes viles soifs, tes grossières fringales,
Quoi! toujours toi!
Quoi! toujours toi, toujours avide et vide,
Tenté d’agir, vautré sur le tapis,
Bouffi mais creux, arrogant mais pavide,
Menteur, jaloux, glouton, paillard et pis!
Jusques à quand faut-il que je t’endure,
Plat compagnon à mes pas attaché,
Fâcheux démon en mon ange caché,
Suppôt d’orgueil, d’envie et de luxure?
Quoi! toujours toi!
J’ai beau vouloir te noyer dans les veilles,
Dans le travail, le plaisir et le vin :
Sous mon habit toujours tu te réveilles
Aussi présent, aussi banal et vain.
Hôte indiscret, en moi tu fais demeure;
Toujours chassé tu ramènes toujours
Tes bas désirs et tes pauvres amours,
Et pas un être en qui te perdre une heure…
Quoi! toujours toi!
(André Berry)
Recueil: Poèmes involontaires suivi du Petit Ecclésiaste
Traduction:
Editions: René Julliard
Il dormait un Sommeil
plein de liqueurs tièdes
d’humeurs mouvantes, fluides
de molles couleurs
— écoutant comme dans la Terre
le son éloigné, plan, du
Sang continuel coulant,
écoutant comme un mur.