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LES FILLES DES GOBES (André Pieyre de Mandiargues)

Posted by arbrealettres sur 9 mars 2023



 

Kristine Kvitka [1280x768]

LES FILLES DES GOBES

Dans un de ces jours-là qui sont pâles et gris
Comme les flancs humides de la craie
Dans le jour gris d’une marée de novembre
Qui attire très loin le bord bruissant de l’eau
Un homme inquiet regarde le ciel noir
Entre les découpures de la crête de marne
Au-dessus de la crête le ciel sombre où passent
Des voiliers d’oies sauvages en route vers le sud.

Il faut descendre encore un peu parmi les éboulis
Aller sur le chemin des ramasseurs d’épaves
De l’autre côté d’un tas rocheux où le pied glisse
Passer un cailloutis où des charognes pourrissent
Pour la joie des crabes verts à marée haute
Là-bas se trouve une grève secrète
Murée de blocs précipités jadis
Solitaire entre toutes les plages de ce rivage désolé.

Nous vîmes là dans un matin de fin d’automne
Trois filles de la mer qui dansaient tristement
Pâles aussi couronnées de varech
Nues comme la craie soumise à l’érosion.

Leurs cheveux ondulaient sur leurs épaules maigres
Comme les laminaires flottant aux creux des Haumes
Leurs ventres plats remuaient des croûtes de sable
Avec des mousses marines rouges et roses.

La plus belle portait un long collier d’or
Toutes trois apportaient le grand froid de la mort.

Trois filles nues battues du vent du nord
Le sel brillait au bout de leurs menus seins gris
Leurs pieds dans l’eau faisaient un clapotis
Monotone. Et la mort habitait leurs yeux clairs.

Froides filles accrues aux trous de la falaise
En quelque vieux nid de pygargue
Elles se paissent de moules crues et d’algues
Pêchées à mer basse
L’iode seul court dans leurs veines.

Quand le vent chasse la brume du matin
Déroulée comme un suaire en lisière du ciel
Quand le vent du nord hérisse de glaçons
Les rets blonds des parcs qui sèchent sur les pieux
Les filles des falaises sortent de leurs cavernes
Dans un tourbillon de plumes blanches.

Aux cris des guillemots et des grèbes
Les filles des falaises dansent devant les gobes.

(André Pieyre de Mandiargues)

Illustration: Kristine Kvitka

 

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CHOSES (Gabriela Mistral)

Posted by arbrealettres sur 26 février 2023



Gabriela Mistral
    
CHOSES
A Max Daireaux.

J’aime les choses jamais eues,
avec celles que je n’ai plus.

Je palpe une eau silencieuse,
étale sur des prés frileux,
frissonnant sans la moindre brise,
dans un clos qui fut mon enclos.

Je la vois comme la voyais,
une étrange pensée me vient
et je joue, lente, avec cette eau,
comme avec poisson ou mystère.

Je pense au lieu où j’ai laissé
des pas joyeux que je n’ai plus
et sur le seuil, vois une plaie,
pleine de mousse et de silence.

Je cherche un vers que j’ai perdu
et que m’avait dit à sept ans
une femme faisant le pain,
dont je vois la bouche bénie.

Un parfum défait en rafales
m’apporte bonheur quand il vient,
si ténu qu’il n’est pas parfum,
et c’est l’odeur des amandiers.

Il redonne enfance à mes sens,
je lui cherche un nom et ne trouve
et flaire l’air et les villages,
en quête d’amandiers absents.

J’entends tout près une rivière;
je l’entends depuis quarante ans :
c’est le murmure de mon sang,
ou quelque rythme à moi donné;

ou bien l’Elqui de mon enfance,
que je remonte et passe à gué,
jamais perdu, coeur contre coeur,
nous allons comme deux enfants.

Lorsque je rêve de mes Andes,
j’avance par des défilés
où me parvient un sifflement,
presque une conjuration.

Je vois à ras de Pacifique
mon archipel violet sombre,
avec l’île qui m’a laissé
une âcre odeur d’alcyon mort.

Un dos, un dos grave et paisible
au bout du rêve que je fais
marque la fin de mon chemin;
je m’y repose quand j’arrive.

Tronc d’arbre mort ou bien mon père
est ce vague dos couleur cendre;
je ne l’interroge ni trouble,
je me couche à côté et dors.

J’aime une pierre d’Oaxaca
ou Guatemala; j’en approche;
fixe et rouge, elle me ressemble;
la crevasse en expire un souffle.

Dans son sommeil, je la vois nue,
et ne sais pourquoi la retourne.
Je ne l’ai pas eue peut-être :
c’est mon sépulcre que je vois.

(Gabriela Mistral)

Recueil: Poèmes choisis Prix Nobel de littérature 1945
Editions: Rombaldi

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Les Trois Marins De Groix (Anonyme)

Posted by arbrealettres sur 4 février 2023




    
Les Trois Marins De Groix

Nous étions trois marins de Groix, Ah!
Embarqués sur le saint François

REFRAIN : Il vente, il vente,
C’est l’appel de la mer qui nous tourmente.

Le mousse est allé prendre un ris
Un paquet de mer l’aura pris.

On n’a retrouvé que son chapeau
son garde pipe son couteau.

Sa pauvre maman s’en est allée
Prier à sainte Anne d’Auray.

Sainte Anne, rendez moi mon garçon

Il était jeune, il était blond.

Et sainte Anne lui répondit :
Tu le verras en paradis.

(Anonyme)

 

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L’art des nids (Corinne Albaut)

Posted by arbrealettres sur 30 janvier 2023



Illustration: Catherine Fichaux
    
L’art des nids

Pour faire un nid secret,
Choisir un coin touffu,
Dans un arbre feuillu.
Pour faire un nid parfait,
Tresser quelques brindilles
Volées dans la charmille.
Pour faire un nid douillet,
Le tapisser de mousse
Et de plumes bien douces.

(Corinne Albaut)

Recueil: Comptines des secrets de la Forêt
Traduction:
Editions: Actes Sud Junior

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UNE VISITE MANQUÉE AU JARDIN (Yè Shào Weng)

Posted by arbrealettres sur 21 janvier 2023



Illustration: Dai Dunbang
    
UNE VISITE MANQUÉE AU JARDIN

Sans doute on a craint que mes pas ne marquent la mousse verte
Je toquai à la porte rustique longtemps, sans qu’elle s’ouvrît.
La beauté du printemps qui emplit le jardin ne peut rester enclose,
Un rameau d’abricotier s’est échappé des murs.

***

(Yè Shào Weng) (vers 1200)

Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise

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SUR L’AIR D’EN ENFONÇANT LES LIGNES ENNEMIES (Yàn Shu)

Posted by arbrealettres sur 21 janvier 2023



Illustration: Dai Dunbang
    
SUR L’AIR D’EN ENFONÇANT LES LIGNES ENNEMIES

Quand les hirondelles reviennent, c’est Sacrifice Nouveau,
Quand les fleurs de poiriers sont tombées, arrive Pure Lumière.
Au dessus du bassin, la mousse verte – trois ou quatre plaques,
Tout au fond du feuillage, un loriot jaune – un ou deux cris.
Aux jours qui s’allongent, le duvet volant s’allège.

Avec son charmant sourire, ma voisine du côté est me tient compagnie ;
Effeuillant les mûriers dans la sente, elle vient à ma rencontre :
Elle s’étonnait la nuit dernière d’un rêve de printemps étrange et beau,
Or voici qu’elle a été la meilleure au jeu des herbes ce matin ;
Son sourire illumine ses deux joues.

***

(Yàn Shu) (991-1055)

Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise

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Rwanda (Alain Boudet)

Posted by arbrealettres sur 31 octobre 2022




    
Rwanda

Encore un enfant
qui s’écroule

Encore mille enfants
émiettés par la guerre

Leurs yeux n’ont vu que l’incroyable
que l’innommable quotidien

Terre engraissée des longs massacres
où les corps n’ont aucun repos
que la mort portée par les fièvres

Terre abreuvée
des larmes rouges de l’innocence
exsangue et nue

Il en faudra
des nuits de sources des nuits lavées
sans hurlements
pour cicatriser les regards
blessés d’horreurs et de misère

Il en faudra des nuits sans peur
des nuits de mousse et de douceur
pour bercer les gorges à vif
et l’écorchure de leurs yeux

Il en faudra
du temps
pour les réconcilier avec l’enfance

(Alain Boudet)

Recueil: La révolte des poètes
Traduction:
Editions: Livre de poche Jeunesse

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J’ai vécu sans le savoir (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 9 octobre 2022




    
J’ai vécu sans le savoir
Comme l’herbe pousse
Le matin, le jour, le soir
Tournaient sur la mousse.

(Marie Noël)

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Sachons toujours nous souvenir (Luc Dietrich)

Posted by arbrealettres sur 23 septembre 2022



 

Pour gagner le verger aux arbres toujours verts
Aux fleurs fraîches et neuves, aux herbes courageuses
Au ruisseau non souillé coulant entre les mousses
C’est debout qu’il faut vivre dans la force du monde
La chevelure au vent et le coeur en éveil.

Il faut marcher encore dans les herbes brûlées
Où nous avons senti la beauté de la route
Il faut garder toujours cette fleur de fraisier
Dernière de cet automne mais pour nous la première.

Sachons toujours nous souvenir que le mot le plus beau
Sera toi sur mes lèvres, sera tien dans ton coeur.

(Luc Dietrich)

Illustration: Evgeni Gordiets

 

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OH ENFANTS (Margaret Atwood)

Posted by arbrealettres sur 20 août 2022



Illustration
    
OH ENFANTS

Oh enfants, allez-vous grandir dans un monde sans oiseaux ?
Y aura-t-il des grillons, là où vous êtes ?
Y aura-t-il des asters ?
Des palourdes, au minimum.
Peut-être pas des palourdes.

Nous savons qu’il y aura des vagues.
Pas besoin de beaucoup de vie pour celles-là.
Une brise, une tempête, un cyclone.
Des ondulations, aussi. Des pierres.
Les pierres sont une consolation.

Il y aura des couchers de soleil, tant qu’il y aura de la poussière.
Il y aura de la poussière.

Oh enfants, allez-vous grandir dans un monde sans chansons ?
Sans pins, sans mousses ?

une grotte scellée avec un conduit d’oxygène,
jusqu’à ce qu’il y ait une panne de courant ?
Vos yeux s’éteindront-ils
comme les yeux blancs des poissons sans soleil ?
Et là-dedans, quel voeu ferez-vous ?

Oh enfants, allez-vous grandir dans un monde sans glace ?
Sans souris, sans lichens ?

Oh enfants, allez-vous grandir ?

***

OH CHILDREN

Oh children, will you grow up in a world without birds?
Will there be crickets, where you are?
Will there be asters?
Clams, at a minimum.
Maybe not clams.

We know there will be waves.
Not much life needed for those.
A breeze, a storm, a cyclone.
Ripples, as well.
Stones.
Stones are consoling.
There will be sunsets, as long as there is dust.
There will be dust.

Oh children, will you grow up in a world without songs?
Without pines, without mosses?
Will you spend your life in a cave, a sealed cave with an oxygen line, until there’s a power failure?
Will your eyes blank out like the eggwhite eyes of sunless fish?
In there, what will you wish for?
Oh children, will you grow up in a world without ice?
Without mice, without lichens?
Oh children, will you grow up?

(Margaret Atwood)

Recueil:Poèmes tardifs
Traduction: Christine Évain & Bruno Doucey
Editions: Pavillons

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