Dans un de ces jours-là qui sont pâles et gris
Comme les flancs humides de la craie
Dans le jour gris d’une marée de novembre
Qui attire très loin le bord bruissant de l’eau
Un homme inquiet regarde le ciel noir
Entre les découpures de la crête de marne
Au-dessus de la crête le ciel sombre où passent
Des voiliers d’oies sauvages en route vers le sud.
Il faut descendre encore un peu parmi les éboulis
Aller sur le chemin des ramasseurs d’épaves
De l’autre côté d’un tas rocheux où le pied glisse
Passer un cailloutis où des charognes pourrissent
Pour la joie des crabes verts à marée haute
Là-bas se trouve une grève secrète
Murée de blocs précipités jadis
Solitaire entre toutes les plages de ce rivage désolé.
Nous vîmes là dans un matin de fin d’automne
Trois filles de la mer qui dansaient tristement
Pâles aussi couronnées de varech
Nues comme la craie soumise à l’érosion.
Leurs cheveux ondulaient sur leurs épaules maigres
Comme les laminaires flottant aux creux des Haumes
Leurs ventres plats remuaient des croûtes de sable
Avec des mousses marines rouges et roses.
La plus belle portait un long collier d’or
Toutes trois apportaient le grand froid de la mort.
Trois filles nues battues du vent du nord
Le sel brillait au bout de leurs menus seins gris
Leurs pieds dans l’eau faisaient un clapotis
Monotone. Et la mort habitait leurs yeux clairs.
Froides filles accrues aux trous de la falaise
En quelque vieux nid de pygargue
Elles se paissent de moules crues et d’algues
Pêchées à mer basse
L’iode seul court dans leurs veines.
Quand le vent chasse la brume du matin
Déroulée comme un suaire en lisière du ciel
Quand le vent du nord hérisse de glaçons
Les rets blonds des parcs qui sèchent sur les pieux
Les filles des falaises sortent de leurs cavernes
Dans un tourbillon de plumes blanches.
Aux cris des guillemots et des grèbes
Les filles des falaises dansent devant les gobes.
Pour faire un nid secret,
Choisir un coin touffu,
Dans un arbre feuillu.
Pour faire un nid parfait,
Tresser quelques brindilles
Volées dans la charmille.
Pour faire un nid douillet,
Le tapisser de mousse
Et de plumes bien douces.
(Corinne Albaut)
Recueil: Comptines des secrets de la Forêt
Traduction:
Editions: Actes Sud Junior
Sans doute on a craint que mes pas ne marquent la mousse verte
Je toquai à la porte rustique longtemps, sans qu’elle s’ouvrît.
La beauté du printemps qui emplit le jardin ne peut rester enclose,
Un rameau d’abricotier s’est échappé des murs.
***
(Yè Shào Weng) (vers 1200)
Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise
Quand les hirondelles reviennent, c’est Sacrifice Nouveau,
Quand les fleurs de poiriers sont tombées, arrive Pure Lumière.
Au dessus du bassin, la mousse verte – trois ou quatre plaques,
Tout au fond du feuillage, un loriot jaune – un ou deux cris.
Aux jours qui s’allongent, le duvet volant s’allège.
Avec son charmant sourire, ma voisine du côté est me tient compagnie ;
Effeuillant les mûriers dans la sente, elle vient à ma rencontre :
Elle s’étonnait la nuit dernière d’un rêve de printemps étrange et beau,
Or voici qu’elle a été la meilleure au jeu des herbes ce matin ;
Son sourire illumine ses deux joues.
***
(Yàn Shu) (991-1055)
Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise
Pour gagner le verger aux arbres toujours verts
Aux fleurs fraîches et neuves, aux herbes courageuses
Au ruisseau non souillé coulant entre les mousses
C’est debout qu’il faut vivre dans la force du monde
La chevelure au vent et le coeur en éveil.
Il faut marcher encore dans les herbes brûlées
Où nous avons senti la beauté de la route
Il faut garder toujours cette fleur de fraisier
Dernière de cet automne mais pour nous la première.
Sachons toujours nous souvenir que le mot le plus beau
Sera toi sur mes lèvres, sera tien dans ton coeur.
Oh enfants, allez-vous grandir dans un monde sans oiseaux ?
Y aura-t-il des grillons, là où vous êtes ?
Y aura-t-il des asters ?
Des palourdes, au minimum.
Peut-être pas des palourdes.
Nous savons qu’il y aura des vagues.
Pas besoin de beaucoup de vie pour celles-là.
Une brise, une tempête, un cyclone.
Des ondulations, aussi. Des pierres.
Les pierres sont une consolation.
Il y aura des couchers de soleil, tant qu’il y aura de la poussière.
Il y aura de la poussière.
Oh enfants, allez-vous grandir dans un monde sans chansons ?
Sans pins, sans mousses ?
une grotte scellée avec un conduit d’oxygène,
jusqu’à ce qu’il y ait une panne de courant ?
Vos yeux s’éteindront-ils
comme les yeux blancs des poissons sans soleil ?
Et là-dedans, quel voeu ferez-vous ?
Oh enfants, allez-vous grandir dans un monde sans glace ?
Sans souris, sans lichens ?
Oh enfants, allez-vous grandir ?
***
OH CHILDREN
Oh children, will you grow up in a world without birds?
Will there be crickets, where you are?
Will there be asters?
Clams, at a minimum.
Maybe not clams.
We know there will be waves.
Not much life needed for those.
A breeze, a storm, a cyclone.
Ripples, as well.
Stones.
Stones are consoling.
There will be sunsets, as long as there is dust.
There will be dust.
Oh children, will you grow up in a world without songs?
Without pines, without mosses?
Will you spend your life in a cave, a sealed cave with an oxygen line, until there’s a power failure?
Will your eyes blank out like the eggwhite eyes of sunless fish?
In there, what will you wish for?
Oh children, will you grow up in a world without ice?
Without mice, without lichens?
Oh children, will you grow up?
(Margaret Atwood)
Recueil:Poèmes tardifs
Traduction: Christine Évain & Bruno Doucey
Editions: Pavillons