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« Verte, si verte l’herbe qui aborde la rivière… » (Les Dix-Neuf Poèmes anciens des Han)

Posted by arbrealettres sur 3 février 2024



Illustration: Zheng Jian
    
« Verte, si verte l’herbe qui aborde la rivière… »

Verte, si verte l’herbe qui aborde la rivière
Amples, si amples se déploient les saules du jardin
Belle, si belle cette femme qui se tient en haut des marches
Claire et brillante, elle apparaît dans la fenêtre
Charmant, si charmant son visage poudré
Fines, si fines ses mains blanches qui se découvrent
Autrefois chanteuse, elle ornait la maison de musique
La voilà aujourd’hui à un petit qui délaisse son foyer
Comment se résoudre à voir encore son lit inoccupé ?

Le banquet remplit le jour d’échos hilares
Et les joies délicieuses épuisent encore nos mots.
Comment dire cette merveille que le luth accentue ?
Son chant m’amène au voisinage céleste,
Le génie musical embrase l’écoute de ceux qui s’attardent
Et c’est d’un seul coeur que nous portons l’élan de nos souhaits
Mais la fête entamée garde encore une pensée silencieuse.
Les jours des hommes tourbillonnent puis se dispersent.
Si peu de temps pour jouir du beau séjour !
Pourquoi ne pas laisser ses ambitions galoper ?
Pour être ainsi le premier arrivé aux commandes du monde
Pourquoi rester pauvre et ignoré,
Enlisé dans les marais aigres du ressentiment !

(Les Dix-Neuf Poèmes anciens des Han)
(Ier siècle apr. J.-C.)

Recueil: Classiques de la poésie chinoise
Traduction: Alexis Lavis
Editions: Presses du Châtelet

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DANSE (Marie Noël)

Posted by arbrealettres sur 22 janvier 2024




    
DANSE

Dansons la Capucine…
Que le bonheur est doux !
J’en vois chez la voisine
Mais ce n’est pas pour nous.

Mes vers, dansons la ronde,
Mes vers jeunes et fous,
Je n’ai plus rien au monde
Que le plaisir de vous.

Ma peine solitaire
Crie à remplir le soir.
Chantons, faisons-la taire,
Dansons dans mon coeur noir.

Dansons, tonton, tontaine,
Chantons un air vermeil
Qui vous prend et vous mène
D’un saut en plein soleil.

Dans mon coeur, hors du monde,
Voici le mois de Mai !…
— Dansons une seconde
Comme si c’était vrai ! —

En moi l’azur se lève
Loin de mon sort obscur,
— Vite dansons en rêve
Comme si c’était sûr ! —

Dansons, chansons légères,
En rond. Donnez vos mains,
Cueillons les passagères
Musiques des chemins.

Entrez tous dans la danse,
Jours tendres, jeunes mois,
Enlacez en cadence
Vos souffles à ma voix.

Mars, entre ! Je t’attrape,
Espiègle ! Vert cabri
Qui de l’hiver t’échappes,
Trop las d’être à l’abri.

Entrez, Avril la folle
Qui rit entre ses pleurs,
Mai dont le coeur s’envole
Dans le pollen des fleurs ;

Entrez ! Sur la pelouse,
Dansez, mois gais, mois purs…
Mais le reste des douze
Est trop vieux ou trop mûr…

Entrez, les enfantines
Minutes du matin
Qui tournez argentines
Au fond d’un vieux jardin ;

Entrez, naïves heures,
Vos nattes dans le dos…
Mais va-t’en, toi qui pleures,
Jeunesse, le coeur gros.

Entrez, les téméraires
Espoirs, d’un saut trop prompt,
Comme des petits frères
Qui se cognent le front ;

Entre, timide joie,
Comme avec sa douceur,
Son col frêle qui ploie,
Une petite soeur ;

Entrez, cousins, cousines,
Jeux, cris, rires légers ;
Entrez, voisins, voisines,
Plaisirs, beaux étrangers.

Sautons dans l’herbe brune
Ou rose avec le vent,
Et sautons dans la lune
Si nous passons devant !

Si quelqu’un nous rencontre,
Giroflé, Girofla,
Dans la lune et nous montre
Qu’il faut sortir de là ;

Si ce garde champêtre
Interroge nos chants,
Gai ! Nous l’enverrons paître
Le trèfle de ses champs.

Si quelque effroi circule
Dans l’ombre tout à coup,
Menons au crépuscule
La ronde au nez du loup.

Dansons ! Si la fortune
Nous rejoint par ici,
Dansons ! De l’importune,
Qui de nous a souci ?

Si la gloire elle-même
Rit à côté de nous,
Dansons, mes vers, je n’aime
Que courir après vous.

Mais si l’amour qui passe
Nous surprend à baller…
Chut ! Laissez-le de grâce
À mi-voix me parler.

(Marie Noël)

 

Recueil: Les Chansons et les Heures / Le Rosaire des joies
Editions: Gallimard

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LA JEUNE FILLE AUTRICHIENNE (Ron Padgett)

Posted by arbrealettres sur 16 janvier 2024




    
LA JEUNE FILLE AUTRICHIENNE

J’aimerais avoir les cheveux blonds
et être une jeune fille, dans une ferme, en Autriche,

au dix-neuvième siècle, un jour ensoleillé,
avec des joues roses et des yeux bleus, exactement

comme sur ces images nazies avec des filles de ferme en pleine santé.
Mais mes arrière-petits-enfants seront-ils

des monstres? Dans ce cas je n’en aurai pas.
Je vais aller traire la vache et dire à Hans

et aux autres de ne pas poser leurs sales mitaines sur moi.
Je remplirai mes soirées avec la musique triste

de Schubert et la triste poésie de Heine.
Ce sera tellement beau.

(Ron Padgett)

 

Recueil: On ne sait jamais
Traduction: Claire Guillot
Editions: Joca Seria

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La tourterelle et la fauvette (Jean-Pierre Claris de Florian)

Posted by arbrealettres sur 10 janvier 2024



Illustration: Grandville
    
La tourterelle et la fauvette

Une fauvette jeune et belle
S’amusait à chanter tant que durait le jour ;
Sa voisine la tourterelle
Ne voulait, ne savait rien faire que l’amour.

Je plains bien votre erreur, dit-elle à la fauvette ;
Vous perdez vos plus beaux moments :
Il n’est qu’un seul plaisir, c’est d’avoir des amants.
Dites-moi, s’il vous plaît, quelle est la chansonnette

Qui peut valoir un doux baiser.
Je me garderais bien d’oser
Les comparer, répondit la chanteuse :
Mais je ne suis point malheureuse,

J’ai mis mon bonheur dans mes chants.
À ce discours, la tourterelle
En se moquant s’éloigna d’elle.
Sans se revoir elles furent dix ans.

Après ce long espace, un beau jour de printemps,
Dans la même forêt elles se rencontrèrent.
L’âge avait bien un peu dérangé leurs attraits ;
Longtemps elles se regardèrent

Avant que de pouvoir se remettre leurs traits.
Enfin la fauvette polie
S’avance la première :
eh ! Bon jour, mon amie,
Comment vous portez-vous ? Comment vont les amants ?
– Ah ! Ne m’en parlez pas, ma chère :
J’ai tout perdu, plaisirs, amis, beaux ans ;

Tout a passé comme une ombre légère.
J’ai cru que le bonheur était d’aimer, de plaire…
Ô souvenir cruel ! ô regrets superflus !
J’aime encore, on ne m’aime plus.

J’ai moins perdu que vous, répondit la chanteuse :
Cependant je suis vieille et je n’ai plus de voix ;
Mais j’aime la musique, et suis encore heureuse
Lorsque le rossignol fait retentir ces bois.

La beauté, ce présent céleste,
Ne peut sans les talents échapper à l’ennui :
La beauté passe, un talent reste,
On en jouit même en autrui.

(Jean-Pierre Claris de Florian)

 

Recueil: Fables
Traduction:
Editions:

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Vitalité (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 23 décembre 2023



Illustration: Ira Mitchell-Kirk
    
Vitalité

Ce jour-là
Tout ravivait l’espérance

Était-ce cette musique intime
Venue on ne sait d’où ?
Ou cette bouffonnerie joyeuse
Qui s’empare parfois de nos coeurs
Transformant chaque ride en rire
Chaque broussaille en horizon ?

Était-ce un écho
Qui comble soudain l’appel ?
Un rayon qui transperce les mailles ?
Une présence qui écarte les barreaux ?
Était-ce l’oiseau tenace
Balayant de ses ailes nos laborieux chagrins ?

Ce jour-là la vie
Fendit ses écorces
Pour s’ébattre sans entraves
Dans tout l’espace du corps.

(Andrée Chedid)

Recueil: Andrée Chedid Poèmes
Editions: Flammarion

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Les Gitans (Paul Henri Lezac)

Posted by arbrealettres sur 3 décembre 2023


gitans

A l’écart de nos portes closes,
Chez nous un beau jour ils se posent.
Sous leurs doigts, en apothéose,
Fleurie d épines et de roses,
Issue des rythmes andalous
La musique jaillit d’un coup
Du fond des temps, d’on ne sait où.
Efflanqués et maigres, ces loups
A jamais enfuis de nos cages
Généreux et fous et sauvages
Sans possessions et sans bagages
Eux, libres enfants des rois mages
Par leurs regards incandescents,
Leurs sortilèges envoûtants
Nous parlent de leur peuple errant
C’est le temps, le chant des gitans,
Tantôt sombre, et tantôt clair!
Parlant la langue de leurs pères
Il a franchi les monts, les mers
Embrasant les coeurs et la chair.

(Paul Henri Lezac)

Textes de Prisonniers: lecercledespoetesdetenus

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BEAUTÉ AMÈRE (Tahar Ben Jelloun)

Posted by arbrealettres sur 25 novembre 2023




    
BEAUTÉ AMÈRE

1

Vivre: habiter la lumière de l’enfance
Résister: ne jamais s’habituer à la douleur du monde.

2

Quand des souvenirs prennent feu
C’est la mémoire qui met de l’ordre
Dans un corps céleste
Encombré de poussière et de larmes.

3

Si la musique est le chant de l’âme
La peinture est jubilation de l’amour.

4

Si la beauté est amère
Il ne faut pas l’injurier
Ne s’en prendre qu’à la forêt
Qui dévore l’enfance.

5

Si l’amour est triste
Il ne faut pas geindre
Mais jeter sur lui des pots de couleurs
Vives et heureuses
De l’eau de source et des épices.

6

Si l’âme creuse un mauvais sillon
Il ne faut pas hurler
Aller devant un miroir
Lire dans les yeux
la trahison osée
Le champ de la dignité dévastée.

(Tahar Ben Jelloun)

Recueil: Douleur et lumière du monde
Editions: Gallimard

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Il n’y a pas que les mots (Tahar Ben Jelloun)

Posted by arbrealettres sur 25 novembre 2023




    
Il n’y a pas que les mots pour donner de la poésie
Le silence de l’être aimé qui sait qu’il ne sera pas quitté
Les notes de musique qui fendent ce silence
Des bras ouverts et des larmes de joie
Une jeune femme qui allaite et une enfant qui joue au cerceau
Un rayon de soleil sur le visage ridé
Sur des mains tachées par le temps
Un regard une promesse une rencontre
Une volonté de résister à la médiocrité des hommes
Et quelques gestes gratuits
Un sourire un don une écoute
Une clef pour ouvrir toutes les portes
Qui mènent vers les jardins où il fait bon se perdre.

(Tahar Ben Jelloun)

Recueil: Douleur et lumière du monde
Editions: Gallimard

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Il faut apprendre (Tahar Ben Jelloun)

Posted by arbrealettres sur 24 novembre 2023




    
Il faut apprendre
À notre regard
À éclairer la vie
Au moment où elle s’éloigne
Et pâlit
À la ramener
Entre nos mains émues
Afin que la musique de la terre
Et du vent
Annonce
Plus qu’une saison d’euphorie.

(Tahar Ben Jelloun)

Recueil: Douleur et lumière du monde
Editions: Gallimard

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Toi qui viens (Tahar Ben Jelloun)

Posted by arbrealettres sur 24 novembre 2023



Illustration: Christiane Guicheteau
    
1

Toi qui viens
Donne-moi le sens des choses
La direction des vents
Le nom de ce que je ne connais pas
La couleur de l’espérance
La plénitude de l’amour
Et la présence
Donne-moi ce que tu as
Car je suis ce que je peux.

2

Toi qui es né à l’aube
Dis-moi la beauté du monde
Je sais la douleur et l’absence
Alors dis-moi ce qui fait chemin
Ce qui rend l’homme meilleur
Ce qui se dresse devant toi
Que tu sois enfance ou vieillesse
Tu as le sens caché de la lumière.

3

Toi qui habites dans un buisson
Dis-moi ce que l’arbre te raconte
Ce que la mer fait de nos solitudes
Et la terre de nos morts
Sais-tu que
La cendre se mêle au sable
Aux eaux usées
Aux pierres creuses
Alors parle.

4

Toi que je ne connais pas
Je devine la forme de tes illusions
Je soulève le tissu en soie
Que des mains heureuses ont posé sur le temps
Dis-moi la plénitude de l’Esprit
Raconte-moi
Ce que deviennent les souvenirs
Épuisés par la nostalgie
On me dit
Un peu de brume rosée sur les feuilles
Vapeur ou musique du vent dans les arbres
Les souvenirs se reposent dans une grotte
Plus les ans passent plus nous les cherchons à l’aveugle
Sous la poussière.

(Tahar Ben Jelloun)

Recueil: Douleur et lumière du monde
Editions: Gallimard

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