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Poésie

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JE SUIS VERTICALE (Sylvia Plath)

Posted by arbrealettres sur 23 mai 2023




    
JE SUIS VERTICALE

Mais je voudrais être horizontale.
Je ne suis pas un arbre dont les racines en terre
Absorbent les minéraux et l’amour maternel
Pour qu’à chaque mars je brille de toutes mes feuilles,
Je ne suis pas non plus la beauté d’un massif
Suscitant des Oh et des Ah et grimée de couleurs vives,
Ignorant que bientôt je perdrai mes pétales.
Comparés à moi, un arbre est immortel
Et une fleur assez petite, mais plus saisissante,
Et il me manque la longévité de l’un, l’audace de l’autre.

Ce soir, dans la lumière infinitésimale des étoiles,
Les arbres et les fleurs ont répandu leur fraîche odeur.
Je marche parmi eux, mais aucun d’eux n’y prête attention.
Parfois je pense que lorsque je suis endormie
Je dois leur ressembler à la perfection —
Pensées devenues vagues..
Ce sera plus naturel pour moi, de reposer.

Alors le ciel et moi converseront à coeur ouvert,
Et je serai utile quand je reposerai définitivement:
Alors peut-être les arbres pourront-ils me toucher,
et les fleurs m’accorder du temps.

(Sylvia Plath)

Recueil: Quelqu’un plus tard se souviendra de nous
Traduction: Françoise Morvan et Valérie Rouzeau
Editions: Gallimard

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LA SOLITUDE… (Sandrine Faivre)

Posted by arbrealettres sur 16 mai 2023




    
LA SOLITUDE…

La solitude ,
Cet état étrange ,
Ce phénomène réel ,
Irréel à la fois ,
Lucide et …
Quelquefois translucide ,
Epanouie je suis le jour ,
Transit je demeure à la nuit ,
Telle une métamorphose ,
Tout comme le papillon ,
Le papillon de nuit …
La solitude ,
Cet état qui a fait de moi ,
Un être étrange ,
Froid, glacial ,
Un personnage introverti ,
Démuni d’expression, de sensation .
La solitude ,
Celle-ci me ronge ,
Celle qui tue le monde .
Souriante je suis le jour ,
Vulnérable à la nuit je suis …
La solitude ,
Cet état naturel ,
Dans lequel j’ai fondé ma vie ,
Ce tunnel infini ,
Dans lequel, je l’espère ,
Je verrai la lumière ,
La lueur du jour ,
Tel un soleil ,
Synonyme de bonheur ,
D’utopie, de désir ,
Ce désir fugace ,
Qui illuminera mon coeur ,
Ce jour ou je me dirai ,
A quand un moment de solitude ?
La solitude …

(Sandrine Faivre)

Recueil: Le Damier 6
Editions: France Europe

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Dieu en soit loué, je ne suis pas bon (Fernando Pessoa)

Posted by arbrealettres sur 9 avril 2023



Illustration: ArbreaPhotos

    
Dieu en soit loué, je ne suis pas bon,
Et j’ai l’égoïsme naturel des fleurs
Et des cours d’eau qui suivent leur chemin
Préoccupés sans le savoir
D’une seule chose: fleurir ou suivre leur cours.
Voilà bien l’unique mission au monde,
C’est-à-dire — exister dans la clarté,
Et savoir le faire sans y penser.

(Fernando Pessoa)

Recueil: Poèmes païens
Traduction: du Portugais par M. Chandeigne , P. Quillier et M. A. Camara Manuel
Editions: Points

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NOUVELLES FRAÎCHES (René Guy Cadou)

Posted by arbrealettres sur 28 décembre 2022




    
NOUVELLES FRAÎCHES

Souvenirs de la mer
Le grand panneau du fond découpé par l’éclair
La vague abandonnée aux démons du parterre
La fumée des étoiles
Aux ras des flots le lustre éteint
Les voyageuses du matin
Plus haut que nous la robe ouverte

Le regard bleu
Les mouches vertes
Une heure après
L’espace blanc
Le beau gaillard est à l’avant
Ses mains mesurent l’entourage
Le vent se lève
Une autre page

Il est trop tôt pour s’attarder
Le monde va par coups de dés
L’étrave blesse les paupières
Creuse la route la lumière
Aucun regret des passeports
C’est l’aventure naturelle
Et plus nouvelle que la mort.

(René Guy Cadou)

 

Recueil: René Guy Cadou Poésie la vie entière oeuvres poétiques complètes
Traduction:
Editions: Seghers

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Quand on est amoureux (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 29 novembre 2022



  Illustration
    
Quand on est amoureux
on met une seule personne
jolie de préférence
bien au centre du monde
Et quand on aime
d’un amour de personne
on met le monde
au coeur du monde
Bien sûr on n’est jamais à l’abri
d’une rechute
mais quand même quelle douceur
d’aller partout
avec l’insouciance de ce saint
qui entrant dans le château du roi
enlevait son manteau et l’accrochait à
un rayon de soleil
continuant d’avancer impassible
comme si ce geste
était le geste le plus naturel du monde
Oui quel bonheur d’aller ainsi
aimant et ne retenant rien
de ce qu’on aime

Vivre Nella
Vivre respirer chanter
comme si l’on n’y était
plus
pour personne

(Christian Bobin)

 

Recueil: La Vie Passante
Editions: Fata Morgana

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Je voudrais parfois entrer dans une maison au hasard (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 26 novembre 2022




Je voudrais parfois entrer dans une maison au hasard,
m’asseoir dans la cuisine et demander aux habitants
de quoi ils ont peur, ce qu’ils espèrent
et s’ils comprennent quelque chose à notre présence commune sur terre.
On m’a assez dressé pour que je retienne cet élan
qui pourtant me semble le plus naturel du monde.

(Christian Bobin)

 

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Il y a des âmes (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 26 novembre 2022



Il y a des âmes dans lesquelles Dieu vit sans qu’elles s’en aperçoivent.
Rien ne laisse deviner cette présence surnaturelle,
sinon le grand naturel qu’elle inspire aux gestes et aux paroles de ceux qu’elle habite.

(Christian Bobin)

 

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La belle vieille (François Maynard)

Posted by arbrealettres sur 10 octobre 2022



Illustration: Christelle Fontenoy 
    

La belle vieille

Cloris, que dans mon temps j’ai si longtemps servie
Et que ma passion montre à tout l’univers,
Ne veux-tu pas changer le destin de ma vie
Et donner de beaux jours à mes derniers hivers ?

N’oppose plus ton deuil au bonheur où j’aspire.
Ton visage est-il fait pour demeurer voilé ?
Sors de ta nuit funèbre, et permets que j’admire
Les divines clartés des yeux qui m’ont brûlé.

Où s’enfuit ta prudence acquise et naturelle ?
Qu’est-ce que ton esprit a fait de sa vigueur ?
La folle vanité de paraître fidèle
Aux cendres d’un jaloux, m’expose à ta rigueur.

Eusses-tu fait le voeu d’un éternel veuvage
Pour l’honneur du mari que ton lit a perdu
Et trouvé des Césars dans ton haut parentage,
Ton amour est un bien qui m’est justement dû.

Qu’on a vu revenir de malheurs et de joies,
Qu’on a vu trébucher de peuples et de rois,
Qu’on a pleuré d’Hectors, qu’on a brûlé de Troies
Depuis que mon courage a fléchi sous tes lois !

Ce n’est pas d’aujourd’hui que je suis ta conquête,
Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris,
Et j’ai fidèlement aimé ta belle tête
Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.

C’est de tes jeunes yeux que mon ardeur est née ;
C’est de leurs premiers traits que je fus abattu ;
Mais tant que tu brûlas du flambeau d’hyménée,
Mon amour se cacha pour plaire à ta vertu.

Je sais de quel respect il faut que je t’honore
Et mes ressentiments ne l’ont pas violé.
Si quelquefois j’ai dit le soin qui me dévore,
C’est à des confidents qui n’ont jamais parlé.

Pour adoucir l’aigreur des peines que j’endure
Je me plains aux rochers et demande conseil
A ces vieilles forêts dont l’épaisse verdure
Fait de si belles nuits en dépit du soleil.

L’âme pleine d’amour et de mélancolie
Et couché sur des fleurs et sous des orangers,
J’ai montré ma blessure aux deux mers d’Italie
Et fait dire ton nom aux échos étrangers.

Ce fleuve impérieux à qui tout fit hommage
Et dont Neptune même endure le mépris,
A su qu’en mon esprit j’adorais ton image
Au lieu de chercher Rome en ses vastes débris.

Cloris, la passion que mon coeur t’a jurée
Ne trouve point d’exemple aux siècles les plus vieux.
Amour et la nature admirent la durée
Du feu de mes désirs et du feu de tes yeux.

La beauté qui te suit depuis ton premier âge
Au déclin de tes jours ne veut pas te laisser,
Et le temps, orgueilleux d’avoir fait ton visage,
En conserve l’éclat et craint de l’effacer.

Regarde sans frayeur la fin de toutes choses,
Consulte le miroir avec des yeux contents.
On ne voit point tomber ni tes lys, ni tes roses,
Et l’hiver de ta vie est ton second printemps.

Pour moi, je cède aux ans ; et ma tête chenue
M’apprend qu’il faut quitter les hommes et le jour.
Mon sang se refroidit ; ma force diminue
Et je serais sans feu si j’étais sans amour.

C’est dans peu de matins que je croîtrai le nombre
De ceux à qui la Parque a ravi la clarté !
Oh ! qu’on oira souvent les plaintes de mon ombre
Accuser tes mépris de m’avoir maltraité !

Que feras-tu, Cloris, pour honorer ma cendre ?
Pourras-tu sans regret ouïr parler de moi ?
Et le mort que tu plains te pourra-t-il défendre
De blâmer ta rigueur et de louer ma foi ?

Si je voyais la fin de l’âge qui te reste,
Ma raison tomberait sous l’excès de mon deuil ;
Je pleurerais sans cesse un malheur si funeste
Et ferais jour et nuit l’amour à ton cercueil !

(François Maynard)

 

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Jean-Daniel (Charles-Ferdinand Ramuz)

Posted by arbrealettres sur 6 mars 2022



Illustration: Marfa Indoukaeva
    
Jean-Daniel

I

Ce jour-là, quand je t’ai vue,
j’étais comme quand on regarde le soleil;
j’avais un grand feu dans la tête,
je ne savais plus ce que je faisais,
j’allais tout de travers comme un qui a trop bu,
et mes mains tremblaient.

Je suis allé tout seul par le sentier des bois,
je croyais te voir marcher devant moi,
et je te parlais,
mais tu ne me répondais pas.

J’avais peur de te voir, j’avais peur de t’entendre,
j’avais peur du bruit de tes pieds dans l’herbe,
j’avais peur de ton rire dans les branches;
Et je me disais: «Tu es fou,
ah! si on te voyait, comme on se moquerait de toi! »
Ça ne servait à rien du tout.

Et, quand je suis rentré, c’était minuit passé,
mais je n’ai pas pu m’endormir.
Et le lendemain, en soignant mes bêtes,
je répétais ton nom, je disais: « Marianne… »
Les bêtes tournaient la tête pour entendre;
je me fâchais, je leur criais: « Ça vous regarde?
allons, tranquilles, eh! Comtesse, eh! la Rousse… »
et je les prenais par les cornes.

Ça a duré ainsi trois jours
et puis je n’ai plus eu la force.
Il a fallu que je la revoie.
Elle est venue, elle a passé,
elle n’a pas pris garde à moi.

II

Les amoureux, c’est pour les filles
comme un écureuil dans un arbre;
elles s’amusent à le voir grimper:
sitôt qu’il est loin, il est oublié.
Elles ne pensent qu’à des bagues,
à des chapeaux, à des colliers;
qu’est-ce que çа leur fait qu’on souffre?
sitôt qu’on est loin, on est oublié.

C’est des miroirs à alouettes,
ça brille à distance, mais, quand on est près,
ça n’est plus rien que des morceaux de verre.
Il faut être bien fou pour leur courir après.

Ces filles, c’est comme des poupées
faites avec des ficelles et du carton;
ça a des joues en porcelaine,
ça a le ventre plein de son.

Mais on a beau dire et beau faire,
on n’y peut rien:
quand on est pris, c’est qu’on l’est bien.

III

Je lui demandé pardon dans mes pensées
de l’avoir ainsi méprisée.
Je sais qu’elle est douce et qu’elle a bon coeur.

Je sais qu’elle ne me connaît pas
et qu’il serait bien étonnant
qu’elle eût fait attention à moi
puisqu’elle ne me connaît pas.

Seulement il est dur d’être seul quand on aime.
On est comme fou, on se met en colère,
on pleure, on rit, sans savoir pourquoi.
On n’est pas juste quelquefois,
tant on a mal au coeur qui aime.

Mon coeur a mal, et moi je suis
comme un oiseau qui s’est envolé
et qui ne peut plus se poser,
et qui se sent bien fatigué
loin de son nid.

IV

Elle vit avec sa mère qui est vieille.
Elle l’aide à tenir le ménage.
Elle lave la vaisselle,
elle fait le dîner et les savonnages,
elle travaille du matin au soir:
il n’y a pas beaucoup de filles
qui font comme elle leur devoir.

Quand elle coud, ses doigts vont vite
comme au jeu de pigeon vole,
sa tête se penche sous la lampe,
sous la lampe sa tête se penche,
elle est appliquée et vaillante.

Elle laisse passer les jours
sans regret du temps qui s’en va,
ayant bien employé ses heures.
Le temps s’en va, elle demeure;
et sa vie est comme un ruisseau
qui coule d’un cours bien régulier,
sous les frênes et les noisetiers,
avec les oiseaux qui viennent y boire
et l’ombre errante vers le soir
des arbres noirs sur le ciel rose.

Et les mois et les mois viendront:
quand sera-t-elle comme elle est,
bonne et gaie, à coudre et à faire la cuisine,
dans une maison qui serait à nous,
dans une maison qui serait notre maison?

V

Car, moi, je suis pauvre et sa mère est riche.
Elle a une ferme et des champs,
elle a de l’argent
tout plein son armoire.

Elle a des chevaux, des boeufs et des vaches,
deux domestiques toute l’année,
des ouvriers quand l’ouvrage est pressant;
sa grange est pleine, ses étames de même;
et elle veut un gendre qui soit riche comme elle.

Il faudrait sans doute qu’on vienne
et qu’on lui dise: «Donnez-moi
votre fille, j’ai du bien
autant que vous;
j’ai comme vous des prés, des vaches et des bois,
alors c’est à égalité, n’est-ce pas ? »
Mais qu’on aime sa fille, elle n’y pense même pas.

Elle aura pour gendre un coureur d’auberges,
une espèce de beau parleur
qui fait briller ses écus
pour qu’on sache qu’il a de quoi…
Et je n’ai que mon amour, moi.

Seulement aussi amenez-m’en un
qui travaille davantage,
qui boude moins à l’ouvrage,
qui se lève de plus grand matin.

Je dis que des bons bras, c’est de l’argent comptant;
et je porterais des montagnes,
si on me disait: C’est pour Marianne.

VI

Quand le jour est mort, une lampe brille.
C’est la lampe, la petite lampe
que tu as à ta fenêtre,
Marianne, par les temps noirs,
pour les pauvres gens qui sont sur les routes.

On n’a plus peur; on voit de loin la lampe, on dit:
« C’est la lampe de Marianne,
elle est à coudre dans sa chambre avec sa mère »;
et on va vers la lumière,
parce qu’on sait que la porte s’ouvrira.

C’est comme une étoile, celle
qui guidait les bergers dans la nuit de Noël
et ils ont été amenés par elle
dans l’étable chaude où était la crèche
entre le boeuf et l’âne.

Là où la lampe brille, là aussi il fait chaud.
Celui qui vient pousse la porte et dit bonsoir.
On ne voit pas ses yeux sous son grand chapeau.
Sa moustache est givrée, il se fait déjà tard,
et il tient à la main un gros bâton d’épine.

Moi, je suis comme un papillon de nuit
qui tourne autour de la lumière.
Je me glisse le long des murs comme un voleur
pour te voir par la fenêtre.

Je n’ose pas entrer; je n’ose pas heurter;
je regarde de loin
le linge que tu tiens.
Je reste ainsi longtemps sans bouger de mon coin,
les yeux tendus vers toi,
mais c’est mon coeur qui va pour moi.

Il va vers toi, il se tient bien tranquille;
il est dans l’ombre de tes rideaux
il est dans l’aiguille qui brille,
il est dans le fil que tu casses
de temps en temps entre tes dents.

A quoi songes-tu? Sais-tu que je suis là?
Quand je te vois rêver, je pense que c’est à moi;
je ris ensuite de ma sottise.
Mais j’attends quand même
et sans savoir quoi,
jusqu’à ce que ta lampe s’éteigne.

VII

Le dimanche matin, elle va à l’église.
Le clocher a l’air d’un peu se pencher
pour mieux voir les fleurs dans les prés
comme ferait une petite fille
qui cueille un bouquet en chantant;
et la cloche dans le clocher
sonne d’abord un long moment.

Les femmes passent deux par deux;
elles sont en noir par respect pour le bon Dieu,
elles ont leur psautier dans la main.

Les hommes attendent qu’elles soient entrées
devant le porche en causant du beau temps,
du prix du bétail, des travaux des champs;
et il y a tant d’oiseaux dans les haies
que les branches se balancent
comme quand il fait du vent.

Alors, elle aussi, elle vient, elle a des gants blancs,
une robe bleue, un chapeau de paille;
elle traverse la place,
elle entre, je ne la vois plus.

La cloche se tait, le sonneur descend,
ses gros souliers dans l’escalier
font un bruit comme quand on bat en grange;
les gens dans l’église attendent en silence;
le pasteur, avec sa robe noire,
son chapeau de soie et son rabat blanc,
approche d’un air grave dans l’ombre des arbres.
Et je me sens si seul que je voudrais pleurer…

Je serais sur le banc, assis à côté d’elle;
quand elle chanterait, j’écouterais sa voix
et elle pencherait la tête pour prier.

VIII

Comme tu es jolie sur le petit sentier,
où tu vas, portant ton panier
avec le pain et le café
pour les quatre-heures.
L’ombre des cerisiers glisse sur tes épaules,
il fait chaud, les gens se reposent,
assis dans l’herbe, tout en causant,
et, te voyant venir, ils disent:

« Voilà Marianne avec son panier. »
Ils sont contents, parce qu’ils ont faim,
ayant travaillé qu’ils n’en peuvent plus
et le foin qui sèche sent fort au soleil.

Ils te disent: «Vous avez fait
la paresseuse! »
Tu dis: « Mais non, il n’est pas quatre heures. »
Un des ouvriers regarde à sa montre,
il dit: « Que si! il est quatre heures et cinq! »
Et tout le monde
éclate de rire sans savoir pourquoi.

C’est peut-être que le café
est meilleur quand tu le verses.
Tu fais plaisir à regarder
avec ton gros jupon d’indienne;
tu fais plaisir avec cette façon que tu as
de sourire en tendant la miche
et d’avoir soin qu’on soit toujours servi.

IX

Elle est venue un soir pour la première fois.
Il faisait nuit, elle est venue sans bruit.
Je regardais partout, je ne voyais personne
et j’entendais mon coeur battre dans le silence.
Mais, quand je l’ai vue, j’ai eu presque peur
et j’aurais voulu me sauver.

Elle venait entre les saules,
elle allait lentement, est-ce qu’elle avait peur aussi ?
Ou bien est-ce que c’était de l’ombre ?

Je suis allé vers elle, je lui ai dit bonjour.
« Alors, comme ça, ça va bien? »
« Oui, merci. » Nous n’avons plus su que dire.
Il y avait un arbre, l’étang était tout près,
le vent a passé dans les roseaux
et j’ai senti sa main trembler.
« Écoute, est-ce qu’on fait un petit tour? »
« On nous verrait, non, j’aime mieux… »
« On pourrait s’asseoir. » « Ce n’est pas la peine. »
J’ai voulu parler, mais je n’ai pas pu
et elle était déjà partie.

X

Elle m’a dit: «J’ai bien senti
tout de suite
que tu serais mon bon ami
N’est-ce pas? la première fois
qu’on se voit,
on ne s’aime pas,
pour bien dire, encore,
mais çа vient tout tranquillement
avec le temps.
Parce que, tu sais, ma mère est bien bonne
et je l’aime bien aussi,
mais ce n’est pas tout dans la vie.
On peut travailler du matin au soir
et être bien sage, çа n’empêche pas
qu’on pense parfois à des choses.

On se dit: «Il y en a qui ont des enfants,
il y en a qui se sont fait
des trousseaux d’une beauté
qu’on ne peut pas s’imaginer,
et on rêve à se marier
quand même. »

Elle m’a dit: «Je t’aime tellement
qu’il me faudrait bien venir à cent ans
pour t’aimer jusqu’au bout
et que je ne sais pas si j’y arriverais. »
Elle m’a dit: «Et toi, est-ce que tu m’aimes autant? »
« Ah! lui ai-je dit, qu’est-ce que tu penses? »
Et je lui ai serré la main
tellement fort qu’elle a crié.

XI

J’ai été au soleil et je pensais à toi.
Tu es toujours avec moi,
comme avant, mais avec un sourire,
à présent que je sais que, moi aussi, je vais
à tes côtés dans ta pensée.

Des oiseaux tombaient des branches,
l’herbe était fleurie, les foins mûrissaient;
j’avais ma faux, j’ai fauché,
ma faux allait toute seule.

Je suis revenu chercher la charrette,
j’ai chargé mon herbe; la roue grinçait
comme quand tu chantes pour le plaisir
ou pour te tenir compagnie.

Et puis le soir venu, j’ai pensé : « Que fait-elle? »
Je m’étais assis sur un banc,
j’avais mis mes mains dans mes poches;
je fumais ma pipe, je te voyais venir;
et tu étais dans la fumée
comme un de ces anges avec des ailes bleues
qui sont dans les livres.

XII

Je ne sais pas pourquoi
d’autres fois je suis triste
et je n’ai de coeur à rien faire.
Il faudrait faucher, il faudrait semer,
mais je dis: «Tant pis!» qu’il pleuve ou qu’il grêle,
ça m’est bien égal.
C’est ainsi quelquefois sans raison,
à cause d’une manière qu’elle a eue de me parler,
à cause d’un air qu’elle a eu de me regarder,
à cause de son rire,
à cause de sa voix qui était changée et de ses yeux
qui se sont baissés devant les miens,
comme si elle me cachait quelque chose.

Et pourtant je suis heureux quand même.
Je l’accuse à tort parce que je l’aime.
C’est pour me faire mal, et puis je me repens.
J’ai honte de moi, je me dis: «Tout va bien»;
et le bonheur me revient
comme quand la lune sort
de derrière un gros nuage.

XIII

Si ta mère savait pourtant que nous nous aimons,
et que le soir je viens t’accompagner
jusque tout près de la maison,
si elle savait que nous nous fréquentons
et que, cette fois, c’est pour de bon,
que dirait-elle ?

Elle qui a un front ridé,
des mains noires toutes tremblantes,
elle qui ne se souvient plus
de sa jeunesse;
elle qui a oublié le temps où elle allait danser,
et qui ne sait plus ce que c’est
tout le bonheur qu’on a d’aimer,
ta mère, qu’est-ce qu’elle penserait?

Nous ne parlons pas de ces choses
pour ne pas gâter notre bonheur;
nous nous regardons seulement
pour nous redonner du courage.
Car nous ne faisons rien de mal,
n’est-ce pas? il est naturel
d’être amoureux comme nous sommes;
ils ont tous été comme nous.
Et je dis: «Vois-tu, il faudra s’aimer d’autant plus,
d’autant plus fort, d’autant plus doux;
alors peut-être que ta mère aura pitié,
et elle nous laissera nous aimer. »

XIV

Marianne a pleuré, il faisait du soleil,
la cuisine était rose.
Ses larmes coulaient sur ses joues.
Elle a pris son mouchoir, elle a pleuré dedans,
elle s’est assise, n’ayant plus de force.

«Est-ce que c’est vrai que tu l’aimes tant? »
Marianne n’a rien répondu.
«J’aurais voulu pour toi quelqu’un d’autre. »

Marianne a secoué la tête.
«J’ai la raison que tu n’as pas,
j’ai connu la vie, je suis vieille.
Il n’y a pas que l’amour,
l’amour est beau, mais l’amour passe,
tandis que l’argent, ça dure une vie
et qu’on en laisse à ses enfants.»

Marianne a pleuré si fort
qu’on l’entendait depuis dehors.

« Mais maintenant que je t’ai dit ce que je pensais,
je ne voudrais pas te faire de la peine.
Prends ton amoureux si tu l’aimes… »

Marianne a levé la tête
et elle a cessé de pleurer.
« Je crois que c’est un bon garçon,
il aura soin de la maison,
il ne boit pas, il est sérieux,
eh bien, puisque tu le veux,
mariez-vous et soyez heureux. »

Elle a embrassé sa mère sur le front,
elle l’a prise par le cou:
«Tu permettras que je te l’amène?…
Tu verras que j’avais raison. »

XV

Le jour de notre noce, j’y pense tout le temps,
il fera un soleil comme on n’a jamais vu;
il fera bon aller en char
à cause du vent frais qui vous souffle au visage,
quand la bonne jument va trottant sur la route
et qu’on claque du fouet pour qu’elle aille plus fort.
On lui donnera de l’avoine,
en veux-tu, en voilà;
on l’étrillera bien qu’elle ait l’air d’un cheval
comme ceux de la ville;
et trotte! et tu auras ton voile qui s’envole,

et tu souriras au travers
parce qu’il aura l’air
de faire signe aux arbres
comme quand on agite un mouchoir au départ.

On se regardera, on dira: « On s’en va,
on commence le grand voyage;
heureusement qu’il n’y a pas
des océans à traverser. »
Et quand nous serons arrivés,
la cloche sonnera, la porte s’ouvrira,
l’orgue se mettra à jouer;
tu diras oui, je dirai oui;
et nos voix trembleront un peu
et hésiteront à cause du monde
et parce qu’on n’aime à se dire ces choses
que tout doucement à l’oreille.

XVI

Notre maison est blanche, elle est sous les noyers,
ta mère tricote près de la fenêtre;
iI fait chaud, on va moissonner,
mais, comme les foins sont rentrés,
on a un moment pour se reposer.

Tu mets les verres sur la table pour le dîner.
Du rucher, je te vois passer dans la cuisine,
et ta chanson me vient parmi
le bourdonnement des abeilles.

Ta mère s’est levée, elle a mis son tricot
et ses aiguilles dans la corbeille;
elle a l’air heureux de vivre avec nous,
nous sommes heureux de vivre avec elle.

Ne sommes-nous pas heureux de nous aimer,
d’être ensemble, de travailler,
de voir mûrir les foins, les moissons se dorer,
et, plus tard, vers l’automne,
les arbres plus lourds du poids de leurs fruits
jusqu’à terre se pencher?

Tu vas dans la maison, faisant un petit bruit,
et, du matin au soir, c’est toi qui veilles à tout;
pendant que, moi, je vais faucher
et que les chars rentrent grinçants,
hauts et carrés,
comme des petites maisons roulantes.

VII

Un jour je te verrai venir un peu plus lasse
et lourde d’un fardeau que tu n’as pas connu,
tandis que s’épaissit ta taille,
marchant dans le jardin où les roses fleurissent
et je t’aimerai encore un peu plus.

Je songe que tu portes deux vies
et qu’il me faut donc t’aimer doublement
pour toi-même et puis pour celui
qui va naître de tes souffrances.

Je sens que j’ai grandi vers de nouveaux aspects
d’où le monde paraît avec des tristesses,
mais missi avec des joies accrues en nombre;

et, quand je sens ta main s’appuyer sur mon bras,
et l’ombre de ton front se poser sur ma joue,
il me semble avancer sûrement avec toi
vers la réalisation d’une promesse.

XVIII

L’enfant que nous aurons ne nous quittera pas.
Il grandira dans la campagne.
Il sera paysan comme nous.
Il portera la blouse comme son père a fait,
et, comme son père, il traira les vaches;
il fera les moissons, il fera les regains,
il fauchera les foins;
il étendra peu à peu son domaine;
et, lorsque nous serons trop vieux,
quand l’heure du repos sera pour nous venue,
il nous remplacera, maître de la maison.

Il aimera comme nous avons aimé;
les jeux de nos petits-enfants
entoureront notre vieillesse.

Ce sera une après-midi de beau temps;
je serai assis au soleil,
j’aurai joint les mains sur ma canne,
il fera clair sur la campagne;
et toi, utile encore avec tes vieilles mains,
tu iras et viendras, tout près, dans le jardin,
nous acheminant ainsi ensemble
vers l’autre repos, qui est sans fin.

Nos derniers jours seront paisibles,
nous aurons fait ce que nous devions faire;
il y a une tranquillité qui vient,
une grande paix descend sur la terre.

Nous nous parlerons du passé:
te souviens-tu du jour où tu avais pleuré,
te souviens-tu du jour de nos noces?
on avait sonné les deux cloches
qu’on voyait bouger en haut du clocher.

Te souviens-tu du temps des cerises
et on se faisait avec des boucles d’oreilles,
et du vieux prunier qu’on secouait
pour en faire tomber les prunes?

Le cadet des garçons arrive alors et dit:
«Grand’mère, la poule chante,
elle a fait l’oeuf. »
«Va voir dans la paille, mon ami.»
Et nous sourions de le voir qui court
tant qu’il peut, à travers la cour,
sur ses grosses jambes trop courtes.

(Charles-Ferdinand Ramuz)

Recueil: Le Petit Village
Traduction:
Editions: Héros-Limite

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Sur la plage abaissée la vague meurt (Fernando Pessoa)

Posted by arbrealettres sur 19 février 2022




Illustration: ArbreaPhotos
    
Sur la plage abaissée la vague
Meurt et se défait en crissant.
Je regarde: rien ne m’arrive
Quе d’être en train de voir la mer.

La mer, dit-on, prie par cantiques,
La vague est dentelle et velours,
Mais les poètes romantiques
Ont déjà vendu tout cela.

Ainsi devant la mer réelle
Et les vagues telles qu’ici,
Je trouve tout très naturel.
Des vers ? Un autre les fera…

(Fernando Pessoa)

Recueil: Oeuvres poétiques
Traduction:
Editions: Gallimard

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