Au pied de mon lit,
une Vierge négresse fut mise par ma mère.
Et j’aime cette Vierge
d’une religion un peu italienne.
Virgo Lauretana, debout dans un fond d’or,
qui me faites penser à mille fruits de mer
que l’on vend sur des quais
où pas un souffle d’air n’émeut les pavillons
qui lourdement s’endorment,
Virgo Lauretana, vous savez qu’en ces heures
où je ne me sens pas digne d’être aimé d’elle,
c’est vous dont le parfum me rafraîchit le coeur.
(Francis Jammes)
Recueil: Clairières dans le Ciel
Traduction:
Editions: Gallimard
Y avait dans la gorge à Jimmy
Tant de soleil à trois cents balles
Du blues, du rêve et du whisky
Tout comme dans les bars de Pigalle
Dieu est nègre!
C´est à la une des quotidiens
Ça fait du tort aux diplomates
Jimmy l´a vu au p´tit matin
Avec un saxo dans les pattes
Dieu est nègre!
Armstrong est reçu chez le président
Il y est allé sans sa trompette
Depuis qu´il est entré là-dedans
C´est plus du blues, c´est la tempête
Dieu est nègre!
Ça fait du bruit dans le monde entier
À faire danser tous les cimetières
Les orgues à Saint-Germain-des-Prés
En perdent le souffle et la prière
Dieu est nègre!
Il a des p´tits cheveux d´argent
Qui font au ciel comme des mirages
Et dans sa gorge y a du plain-chant
Comme dans les bars du Moyen Âge
Dieu est nègre!
Et dans la gorge à mon Jimmy
Y a du soleil à trois cents balles
Du blues, du rêve et du whisky
Comme dans les bars de Pigalle
Dieu est nègre!
Et dans l´aube grise et toute glacée
Jimmy s´endort dans l´ caniveau
En jouant d´ la trompette bouchée
Dans sa bouteille de Jéricho
Pauvre et maigre!
Ma mère m’a mis au monde en un coin du Sud cruel
Et je suis noir. Mais mon âme, elle est blanche, vous savez !
Le petit Anglais est blanc. Blanc comme un ange du ciel.
Moi, je suis noir. Comme si la lumière avait manqué.
Au pied d’un arbre accroupie, ma mère m’a enseigné
En guettant à l’horizon la chaleureuse clarté.
Elle m’ouvrait ses genoux, me serrait et m’embrassait
Puis, le doigt vers l’orient, soudain elle me disait:
Vois s’élever le soleil! Dieu est la-bas. Et c’est lui
Qui sur le monde répand la chaleur et la lumière.
Et les arbres et les fleurs, et les hommes et les bêtes
Reçoivent l’espoir de l’aube et la joie du plein midi.
Si nous avons, ici-bas, pour quelque temps vu le jour,
C’est pour apprendre â subir les chauds rayons de l’Amour.
Nous ne sommes rien de plus, corps bronzés, visages sombres
Que nuages dans le ciel ou, dans les bois, un peu d’ombre.
Lorsque nos âmes sauront supporter cette chaleur,
Les nuages auront fui et nous entendrons Sa voix:
« Mon bien aimé, sors du bois des ombres ; réjouis-toi
Près de ma tente dorée, comme les agneaux sans peur ».
Oui, voila ce que ma mère en m’embrassant me disait
Et je me disais ceci, en pensant au jeune Anglais :
Moi noir, lui blanc, le nuage est le même pour nous deux,
Et tous deux jouerons de même autour des tentes de Dieu.
Moi je l’ombragerai, pour que la chaleur ne l’accable
Jusqu’à ce qu’en Notre Père il prenne un repos joyeux.
Debout, je caresserai l’argent fin de ses cheveux
Et i1 voudra bien m’aimer car je serai son semblable.
Où est le compartiment des nègres
Sur ce manège,
Monsieur, parce que je veux monter ?
Là-bas dans le Sud d’où je viens
Les Blancs et les gens de couleur
Ne peuvent pas s’asseoir côte à côte.
Là-bas dans le Sud dans le train
Y a une voiture pour les nègres.
Dans l’autobus on nous met à l’arrière,
Mais y a pas d’arrière
Dans un manège!
Où est donc le cheval
Pour le gamin qu’est noir ?
***
Merry-Go-Round
(Colored child at carnival)
Where is the Jim Crow section
On this merry-go-round,
Mister, cause I want to ride?
Down South where I come from
White and colored
Can’t sit side by side.
Down South on the train
There’s a Jim Crow car.
On the bus we’re put in the back-
But there ain’t no back
To a merry-go-round!
Where’s the horse
For a kid that’s black?
Je ne veux pas choisir
entre ceux qui vécurent
dans l’imagerie des frontons
et ceux qui s’illuminent en révolte
drapés de couleurs arrogantes.
Je ne veux pas choisir
entre ceux qui condamnent
et ceux qui sont condamnés
car ne sont-ils pas tour à tour
innocents et coupables ?
victimes et bourreaux ?
Je ne veux pas choisir entre les vérités
façonnées d’illusions étant nées du langage.
Je ne veux pas trancher du juste et de l’injuste.
Je ne sais plus ce qui est bien
ce qui est mal
dans les fornications de l’orgueil
et du désir de vaincre.
La victoire a toujours raison.
le ne voudrais connaître
que la vérité du sang
et son poids de honte dans l’absurde,
son poids d’impuissance,
son poids de désespoir.
Je me sens nègre et chinois
mongol et breton.
La couleur des drapeaux
toujours outrée
me rend aveugle.
Je me veux libéré des couleurs
et de leurs frontières.
Les hommes
je les porte en moi dans mon sang
dressés les uns contre les autres en appétit.
Englués inutilisables des connaissances,
Vieillards méprisants de l’élite,
et Vous les jeunes loups la haine aux dents
réjouissez-vous !
la vermine fera de vous tous des égaux.
Et vous voici fourmis ailées lancées
à la conquête de l’espace
décrété terre des hommes !
Bravo !
la Lune était un croissant pour votre faim
mangez-la !
La Terre n’en restera pas moins un caillou
perdu dans l’univers hydrocéphale.
Infinitésimal grouillement dans l’infini
que lui veux-tu ?
Ambitieuses machinations de l’ombre
au détriment de la lumière,
dénigrements organisés,
verbiages peinturlurés du Mensonge,
équilibres de bulles de savon,
masques qui flambent d’être masques,
maladies honteuses du Bonheur,
je vous déteste, Politiques !
Je ne veux pas choisir entre vos uniformes,
vos religions utilitaires,
vos imageries combatives,
vos justices nourries de vengeances.
Dans l’absurdité des confrontations
un soldat vaut un soldat
et tous les dieux se ressemblent.
La Justice est un ciel que vous profanez.
Je ne veux pas choisir
entre le contremaître condamné par sa réussite
à n’être plus revendicateur en France
et l’ouvrier de Léningrad
qui devint commissaire du peuple en Ukraine.
Je ne veux pas choisir entre les tribus
les peuples
les langues
les façons de vivre.
La Droite, la Gauche, le Centre.
Je veux rester libre de vivre
à la lumière de mon coeur
seul s’il le faut
et les mains vides
rêvant à l’Humanité sauvée des langages.