… si parler le poème
est une manière de vivre /
alors / j’ai bien vécu
le temps de tous les mots
sédentaires et nomades
dont j’ai forgé le sens
jusqu’au dire infini
du pain et de la boue /
des arbres et des grands vents /
des noces à jamais vives
des îles et de l’ailleurs /
à ma passion rebelle
à tout agenouillement /
mes bruyants soliloques
au nom des petites terres
et de la mienne en propre /
j’ai joint le tressaillement
des choses de la vie /
mais aussi de la mort /
si Dieu est une question /
peu importe la réponse /
l’éternité s’épelle /
elle ne s’écrit que peu.
(Edouard J. Maunick)
Recueil: Bris de vers Les émeutiers du XXè siècle
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Descendait
des émirs nomades
s’est suicidé
parce qu’avait
plus de Patrie
Aimait la France
changea de nom
Il fut Marcel
mais pas Français
savait plus vivre
sous la tente des siens
où l’on écoute
la cantilène du Coran
en buvant du café
Et ne savait
pas délivrer
la chanson
de son abandon
Je l’ai suivi
avec la patronne de l’hôtel
où nous vivions
à Paris
au numéro 5 de la Rue des Carmes
une ruelle en pente les murs fanés
Il repose
au cimetière d’Ivry
un faubourg qui semble
éternellement
dans une journée
où s’en va la foire
Et peut-être suis-je seul
à savoir encore
qu’il a vécu
***
In memoria
Si chiamava
Moammed Sceab
Discendente
di emiri di nomadi
suicida
perché non aveva più
Patria
Amò la Francia
e mutò nome
Fu Marcel
ma non era Francese
e non sapeva più
vivere
nella tenda dei suoi
dove si ascolta la cantilena
del Corano
gustando un caffè
E non sapeva
sciogliere
il canto
del suo abbandono
L’ho accompagnato
insieme alla padrona dell’albergo
dove abitavamo
a Parigi
dal numero 5 della rue des Carmes
appassito vicolo in discesa
Riposa
nel camposanto d’Ivry
sobborgo che pare
sempre
in una giornata
di una
decomposta fiera
E forse io solo
so ancora
che visse
(Giuseppe Ungaretti)
Recueil: Vie d’un homme Poésie 1914-1970
Traduction:
Editions: Gallimard
Je n’ai pas fini d’espérer
infatigable comme une araignée vigilante
je guette pour les retenir
dans ma toile quotidienne
les joies du soir et du matin
qui filent à toute vitesse
Tant pis pour les chagrins et les douleurs
et les emmerdements
qui passent lentement
et qui s’accrochent
Oui mais voilà
je sais que je dois chaque jour
chaque heure
m’avancer vers cette falaise
et vers ce grand trou sans fond
je me retourne souvent
et j’aperçois très loin
le brouillard de ma naissance
Je suis le nomade qui marche la nuit
et qui attend le jour et l’oubli
(Philippe Soupault)
Recueil: Poèmes et Poésies
Traduction:
Editions: Grasset
Sortir de sa nuit
après une croissance imparfaite
se réveiller l’âme décolorée
ébouriffée.
Peut-on être nomade du temps ?
Peut-on être
d’une vie à une autre
passant ?
Silence des morts rebelles
qui renforcent les nœuds.
Silence de la vie
au hasard fixée
ou plantée telle une épine
indurée en nos rêves
irritant nos fougues.
Qui peut nous retenir
contre le vertige du dedans
si large si vide ?
Ceux à mi-chemin
arrêtés fébriles
comme des vagues poursuivies
ceux avec leurs mots lourds
tout fripés de tendresse
balancés à contre-temps
ceux boutefeux par désespoir
incendiaires
exacerbés d’espérance
ceux musiciens des songes
qui tâtonnent sans répit
lézardés jusqu’à la moelle
ceux que nulle main n’a guidés
qui s’épuisent à rassembler
leurs brisures
ceux qui mordent à bouche pleine
les pensées fauves
les passions sans remontée
ceux qui n’ont plus de frontières
et qui implosent chargés de sang
et de brûlures…
Qui peut emmurer
le vertige au-dedans
qui peut sceller notre cœur
pour qu’il cesse de s’affoler
pour un souffle d’air
ou d’ange distrait ?
L’expérience du désert a été, pour moi, dominante.
Entre ciel et sable, entre le Tout et le Rien,
la question est brûlante.
Elle brûle et ne se consume pas.
Elle brûle pour elle-même, dans le vide.
L’expérience du désert, c’est aussi l’écoute, l’extrême écoute
(…)
J’ai, comme le nomade son désert,
essayé de circonscrire le territoire de blancheur de la page ;
d’en faire mon véritable lieu ;
comme, de son côté, le Juif qui, depuis des millénaires,
du désert de son livre, a fait le sien ;
un désert où la parole, profane ou sacrée, humaine ou divine
a rencontré le silence pour se faire vocable ;
c’est-à-dire parole silencieuse de Dieu et ultime parole de l’homme.
Le désert est bien plus qu’une pratique du silence et de l’écoute.
Il est une ouverture éternelle.
L’ouverture de toute écriture,
celle que l’écrivain a, pour fonction, de préserver.
Des hommes marchent
des nomades des promeneurs solitaires
ils lissent sous leur pas la terre comme un galet
D’autres hommes allument des bougies
posent des suppliques sous trois cailloux
(Marie Huot)
Recueil: Récits librement inspirés de ma vie d’oiseau
Traduction:
Editions: Le temps qu’il fait
Nomade —
jusqu’à ce que nulle part, fleurissant
dans la prison de ta bouche, devienne
tout lieu où tu es : tu
as lu la fable
qui était écrite dans les yeux
des dés : (c’était
le mot-météore, griffonné par la lumière
entre nous, cependant que nous, à la fin,
n’avions aucune preuve, ne
pouvions pas produire
la pierre). Les dés
maintenant reconnaissent ton nom. Comme pour dire,
où que tu sois
le désert est avec toi. Comme,
où que tu partes, le désert
est nouveau,
est en marche avec toi.
Ce sont vos bagages
Qui font nos voyages
Nous restons toujours
Dans le lit des jours
L’âme sédentaire
Rivée à la terre
N’y échappe point
Nous n’allons pas loin
Le bonheur
Voyage toujours à pied
Le bonheur
Dort au fond d’un vieux soulier
Planètes permises
Faites vos valises
Rien n’est plus ailleurs
Que l’intérieur
Entre neige et pluie
J’ai cherché ma Vie
Des siècles des mois
Elle était chez moi
Le bonheur
Voyage toujours à pied
Le bonheur
Dort au fond d’un vieux soulier
Seule à sa fenêtre
A regarder naître
D’octobre en avril
Les fleurs du grésil
Vivante d’attendre
La flamme est à vendre
Me voici songeur
Pauvre voyageur…
Le bonheur
Voyage toujours à pied
Le bonheur
Dort au fond d’un vieux soulier
Était-ce une femme
Était-ce ton âme
En tous ses atours
Guettant ton retour
Et ce coeur nomade
Qui bat la chamade
Au moindre départ
Est-il en retard ?
Le bonheur
Voyage toujours à pied
Le bonheur
Dort au fond d’un vieux soulier
Amour est mon guide
J’arrive mains vides
J’arrive de nuit
Mûri comme un fruit
Tombé des étoiles
J’arrive à la voile
Le coeur en danger
Comme un étranger
Le bonheur
Voyage toujours à pied
Le bonheur
Dort au fond de ton soulier