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Poésie

Posts Tagged ‘obscène’

MIROIR (Nuno Jùdice)

Posted by arbrealettres sur 2 février 2021



Illustration: Christiane Rabasse
    
MIROIR

L’évidence du blanc est aussi obscène
que l’été littoral de l’adolescence.
La chaux coagulée dans les bassins attire
les mouches que le soir n’effraie pas.
Avec un manche à balai, je les repousse
vers le fond, encore vivantes, et je les vois
disparaître dans la matière immaculée. Parfois,
lors de ces fins de journée, le vent se lève,
agite les branches des amandiers où
les fruits commencent à sécher; ici et là, les
feuilles voltigent. L’eau de la chaux acquiert
une transparence inattendue, et
un visage surgit dans son miroir : toi,
que le temps a emportée il y a longtemps, tu me regardes,
de nouveau, comme si tu n’avais jamais
cessé de le faire.

(Nuno Jùdice)

 

Recueil: Un chant dans l’épaisseur du temps suivi de méditation sur des ruines
Traduction: Michel Chandeigne
Editions: Gallimard

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CIRQUE KLUDSKY, PLACE 461 (Srecko Kosovel)

Posted by arbrealettres sur 28 février 2020



 

Rose Reine, la trapeziste d'Anges

CIRQUE KLUDSKY, PLACE 461

Cirque.
Galerie.
Place n° 461.
La colombine
Se déshabille, se déshabille.
Tous regardent.
Nul ne voit
Qu’elle se tient par les dents.
Elle s’élève. Déjà sous le faîte.
Commentaires égrillards.
Rire obscène.
Maintenant elle jette le dernier voile.
Eux, ils la regardent,
Ils mordent des yeux
Son corps tendre.
Ils battent des mains.
Elle a de belles cuisses.
Des seins onduleux.
Ils battent des mains,
Se gaussent
De son mal
Et l’outragent.
Voyez : l’animal
Applaudit l’homme.
d’homme est animal.
L’animal est homme.
La soupape saute.
Les lions se déchaînent.

(Srecko Kosovel)

Illustration

 

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Litanies de mon triste cœur (Jules Laforgue)

Posted by arbrealettres sur 18 août 2018



Litanies de mon triste cœur

Mon coeur repu de tout est un vieux corbillard
Que traînent au néant des chevaux de brouillard.

Prométhée et vautour, châtiment et blasphème,
Mon coeur est un cancer qui se ronge lui-même.

Mon coeur est un bourdon qui tinte chaque jour
Le glas d’un dernier rêve en allé sans retour.

Mon coeur est un gourmet blasé par l’espérance
Qui trouve tout hélas! plus fade qu’un lait rance.

Mon coeur est un noyé vidé d’âme et d’espoirs
Qu’étreint la pieuvre Spleen en ses mille suçoirs.

Mon coeur est une horloge oubliée à demeure
Qui bien que je sois mort s’obstine à sonner l’heure.

Mon coeur est un ivrogne altéré bien que saoûl
De ce vin noir qu’on nomme universel dégoût.

Mon coeur est un terreau tiède, gras, et fétide
Où poussent des fleurs d’or malsaines et splendides!

Mon coeur est un cercueil où j’ai couché mes morts…
Taisez-vous, airs jadis chantés, lointains accords!

Mon cœur est un tyran morne et puissant d’Asie,
Qui de rêves sanglants en vain se rassasie.

Mon coeur est un infâme et louche lupanar
Que hantent nuit et jour d’obscènes cauchemars.

C’est un feu d’artifice enfin qu’avant la fête
Ont à jamais trempé l’averse et la tempête.

Mon coeur…. Ah! pourquoi donc ai-je un coeur? Ah! pourquoi
Ma vie et l’Univers? la Nature et la Loi ?

(Jules Laforgue)


Illustration: Pierre Paul Rubens

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LILAS (Charles Cros)

Posted by arbrealettres sur 14 février 2018




    
LILAS

Ma maîtresse me fait des scènes.
Paradis fleuri de lilas
Je viens humer tes odeurs saines.

Les moribonds disent : Hélas!
Les vieux disent des mots obscènes
Pour couvrir le bruit de leurs glas.

Dans le bois de pins et de chênes
Les obus jettent leurs éclats.
Victoire? Défaite? Phalènes.

Pluie améthyste les lilas,
Sans souci d’ambitions vaines,
Offrent aux plus gueux leurs galas.

La mer, les montagnes, les plaines,
Tout est oublié. Je suis las,
Las de la bêtise et des haines.

Mais mon coeur renaît aux lilas.

(Charles Cros)

 

Recueil: Le Collier de griffes
Traduction:
Editions: Gallimard

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Un poème obscène (Robert Creeley)

Posted by arbrealettres sur 9 février 2018



Illustration: Albert Lichten
    
Un poème obscène

La fille en bikini, ma
femme, la dame — elle s’assoit sur
les rochers, à croupetons
derrière un obstacle pointu.

Calamars, cannelloni —
la fille du pêcheur.
La nuit, un ressac monotone
au long des plages

et légère à marée basse
sur les rochers
doucereuse onduleuse
elle revient.

(Robert Creeley)

 

 

Recueil: Le sortilège
Traduction: Stéphane Bouquet
Editions: Nous

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Ma dame,je vais vous toucher (Edward Estlin Cummings)

Posted by arbrealettres sur 2 février 2018



    

Ma dame,je vais vous toucher de mon esprit.
Vous toucher et toucher et toucher
jusqu’à ce que vous m’accordiez
un soudain sourire,timidement obscène

(ma dame je vais
vous toucher de mon esprit.)Vous
toucher,c’est tout,

légèrement et vous deviendrez tout à fait
avec une infinie facilité

le poème que je n’écris pas.

***

Lady,i will touch you with my mind.
Touch you and touch and touch
until you give
me suddenly a smile,shyly obscene

(lady i will
touch you with my mind.)Touch
you,that is all,

lightly and you utterly will become
with infinite ease

the poem which i do not write.

(Edward Estlin Cummings)

 

Recueil: Erotiques
Traduction: Jacques Demarcq
Editions: Seghers

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Chanson des trois éléphants rouges (Edmond Jabès)

Posted by arbrealettres sur 12 octobre 2016



Trois éléphants rouges rient
Au seuil d’une librairie.

Trois éléphants et la rue
Une perle et la charrue.

Entrez, fous et médecins,
On gracie les assassins.

Trois éléphants et trois marches
De plain-pied dans la débâcle.

Et, putains aux yeux de verre,
Trois cent mille réverbères,

Entrez, violeurs et saints,
On fête les assassins.

Trois éléphants rouges pleurent
Au bas de notre demeure.

Trois éléphants, l’avenue
Et, belle, une fille nue.

Entrez, vieux metteurs en scène.
Trois beaux éléphants obscènes.

Trois éléphants de la nuit
Un cœur tendre et leur ennui.

Entrez, menuisiers de cendres,
J’ai du bois à en revendre.

Il se prépare un grand feu
Pour les pierres et les cheveux.

Entrez, pauvres et monarques,
Tireurs de frondes et d’arcs

Tireuses de cartes, moites
Dans le vent et dans les boîtes.

Soirées de miel et d’orgies
Pour le sol et les bougies.

Entrez, bonnes fées et faunes,
Ogre, satyres aphones

Jours d’été striés de plumes
Qu’une seule abeille allume

Trois éléphants sur un banc,
Un aigle et le matin blanc.

(Edmond Jabès)

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Putain d’amour (Louis Chedid)

Posted by arbrealettres sur 10 avril 2016



Putain d’amour qui nous délaisse après nous avoir tant aimé
Putain d’amour qui fusille après avoir bien ensorcelé
Putain d’amour coulée de lave sur l’obscène des illusions
Putain d’amour comme une épave
Putain d’amour

Putain d’amour qui lacère après avoir tant caressé
Qui mord qui griffe qui marque aux fers
Putain d’amour défiguré

Putain d’amour qui parlemente
Voudrait bien trouver les mots

Les circonstances atténuantes
Putain d’amour, procurez-moi une arme blanche
Que j’étripe ce sale dimanche
Où l’amour qui transformait tout
Est devenu celui qui rend fou…

Putain d’amour qui se lamente
Se prosterne et supplie
Pour qu’on le laisse encore en vie
Mais c’est déjà fini…
Putain d’amour
Putain d’amour
Putain d’amour

(Louis Chedid)

Illustration: ArbreaPhotos

 

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ON N’A PAS LE DROIT DE CRIER (Jean Rousselot)

Posted by arbrealettres sur 21 mars 2016



ON N’A PAS LE DROIT DE CRIER

I
On n’a pas le droit de crier
Sous l’immense préau du monde,
Entre les murs pâles de haine
Où l’homme est un paraphe obscène.

On n’a pas le droit de crier ;
Tous les vivants sont verrouillés,
Personne ne connaît personne.

On n’a pas le droit de crier,
De demander pourquoi, d’oser
Regarder les femmes mouillées,
Donner du feu aux cigarettes
Au bout desquelles gît un homme
Dans la litière de ses peines.

On n’a pas le droit de crier,
De cracher rouge, de saigner ;
Tout est trop propre et, dans les chambres,
On cache les agonisants
Qui pourraient salir le pavé :
Pas de balayeur pour les gens,
Mais une trappe dérobée
Dans un coin de la conscience…

II

Partout c’est le même silence
D’hôpital, où, le coeur feutré,
Chacun, sur des rails invisibles,
S’enfonce à petites journées
Comme un lombric dans un cadavre.
Personne ne connaît personne
Dans les usines, dans les gares
Où s’époumone un seul forçat,
Où brûle une seule effigie
Que nul ne songe à regarder.
Tous les vivants sont verrouillés,
Toutes les femmes sous vitrine
Et, si parfois tu te souviens
D’avoir existé sur la terre,
Tu mords tes lèvres, tu renonces.

Ce fut toujours ainsi, crois-moi :
Des graffiti que la pluie lave
Sur les murs aveugles du temps…
Tu n’as pas besoin de crier
Puisque tu n’as que des semblables,

Tu n’as pas besoin de crier
Puisqu’ils sont la bouche et l’oreille,
Puisqu’ils se taisent, puisqu’ils ont
Accepté de vivre leur mort
Sous le domino de la vie.

(Jean Rousselot)

Illustration: Brendan Monroe

 

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Se loger au fond du corps (Jacques Izoard)

Posted by arbrealettres sur 25 décembre 2015



Enfance à eau, à air, à ombre…
Et se loger au fond du corps
pour ne pas perdre vigueur
et pour cacher à tous
l’obscène évidence.

(Jacques Izoard)

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