L’évidence du blanc est aussi obscène
que l’été littoral de l’adolescence.
La chaux coagulée dans les bassins attire
les mouches que le soir n’effraie pas.
Avec un manche à balai, je les repousse
vers le fond, encore vivantes, et je les vois
disparaître dans la matière immaculée. Parfois,
lors de ces fins de journée, le vent se lève,
agite les branches des amandiers où
les fruits commencent à sécher; ici et là, les
feuilles voltigent. L’eau de la chaux acquiert
une transparence inattendue, et
un visage surgit dans son miroir : toi,
que le temps a emportée il y a longtemps, tu me regardes,
de nouveau, comme si tu n’avais jamais
cessé de le faire.
(Nuno Jùdice)
Recueil: Un chant dans l’épaisseur du temps suivi de méditation sur des ruines
Traduction: Michel Chandeigne
Editions: Gallimard
Cirque.
Galerie.
Place n° 461.
La colombine
Se déshabille, se déshabille.
Tous regardent.
Nul ne voit
Qu’elle se tient par les dents.
Elle s’élève. Déjà sous le faîte.
Commentaires égrillards.
Rire obscène.
Maintenant elle jette le dernier voile.
Eux, ils la regardent,
Ils mordent des yeux
Son corps tendre.
Ils battent des mains.
Elle a de belles cuisses.
Des seins onduleux.
Ils battent des mains,
Se gaussent
De son mal
Et l’outragent.
Voyez : l’animal
Applaudit l’homme.
d’homme est animal.
L’animal est homme.
La soupape saute.
Les lions se déchaînent.
Putain d’amour qui nous délaisse après nous avoir tant aimé
Putain d’amour qui fusille après avoir bien ensorcelé
Putain d’amour coulée de lave sur l’obscène des illusions
Putain d’amour comme une épave
Putain d’amour
Putain d’amour qui lacère après avoir tant caressé
Qui mord qui griffe qui marque aux fers
Putain d’amour défiguré
Putain d’amour qui parlemente
Voudrait bien trouver les mots
Les circonstances atténuantes
Putain d’amour, procurez-moi une arme blanche
Que j’étripe ce sale dimanche
Où l’amour qui transformait tout
Est devenu celui qui rend fou…
Putain d’amour qui se lamente
Se prosterne et supplie
Pour qu’on le laisse encore en vie
Mais c’est déjà fini…
Putain d’amour
Putain d’amour
Putain d’amour
I
On n’a pas le droit de crier
Sous l’immense préau du monde,
Entre les murs pâles de haine
Où l’homme est un paraphe obscène.
On n’a pas le droit de crier ;
Tous les vivants sont verrouillés,
Personne ne connaît personne.
On n’a pas le droit de crier,
De demander pourquoi, d’oser
Regarder les femmes mouillées,
Donner du feu aux cigarettes
Au bout desquelles gît un homme
Dans la litière de ses peines.
On n’a pas le droit de crier,
De cracher rouge, de saigner ;
Tout est trop propre et, dans les chambres,
On cache les agonisants
Qui pourraient salir le pavé :
Pas de balayeur pour les gens,
Mais une trappe dérobée
Dans un coin de la conscience…
II
Partout c’est le même silence
D’hôpital, où, le coeur feutré,
Chacun, sur des rails invisibles,
S’enfonce à petites journées
Comme un lombric dans un cadavre.
Personne ne connaît personne
Dans les usines, dans les gares
Où s’époumone un seul forçat,
Où brûle une seule effigie
Que nul ne songe à regarder.
Tous les vivants sont verrouillés,
Toutes les femmes sous vitrine
Et, si parfois tu te souviens
D’avoir existé sur la terre,
Tu mords tes lèvres, tu renonces.
Ce fut toujours ainsi, crois-moi :
Des graffiti que la pluie lave
Sur les murs aveugles du temps…
Tu n’as pas besoin de crier
Puisque tu n’as que des semblables,
Tu n’as pas besoin de crier
Puisqu’ils sont la bouche et l’oreille,
Puisqu’ils se taisent, puisqu’ils ont
Accepté de vivre leur mort
Sous le domino de la vie.