J’aurai beaucoup trop chaud peut-être
Il fera sombre, que m’importe
Je n’ouvrirai pas la fenêtre
Et laisserai fermée ma porte
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs
Votre parfum Sur L’oreiller
Laissez-moi deviner
Ces subtiles odeurs
Et promener mon nez
Parfait inquisiteur
Il y a des fleurs en vous
Que je ne connais pas
Et que gardent jaloux
Les replis de mes draps
Oh, la si fragile prison!
Il suffirait d’un peu de vent
Pour que les chères émanations
Quittent ma vie et mon divan
Tenez, voici, j’ai découvert
Dissimulées sous l’évidence
De votre Chanel ordinaire
De plus secrètes fulgurances
Il me faudrait les retenir
Pour donner corps à l’éphémère
Recomposer votre élixir
Pour en habiller mes chimères
Sans doute il y eut des rois
Pour vous fêter enfant
En vous disant « Reçois
Et la myrrhe et l’encens »
Les fées de la légende
Penchées sur le berceau
Ont fleuri de lavande
Vos yeux et votre peau
J’ai deviné tous vos effets
Ici l’empreinte du jasmin
Par là la trace de l’oeillet
Et là le soupçon de benjoin
Je pourrais dire ton enfance
Elle est dans l’essence des choses
Je sais le parfum des vacances
Dans les jardins couverts de roses
Une grand-mère aux confitures
Un bon goûter dans la besace
Piquantes ronces, douces mûres
L’enfance est un parfum tenace
Tout ce sucre c’est vous
Tout ce sucre et ce miel
Le doux du roudoudou
L’amande au caramel
Les filles à la vanille
Les garçons au citron
L’été sous la charmille
Et l’hiver aux marrons
Je reprendrais bien volontiers
Des mignardises que tu recèles
Pour retrouver dans mon soulier
Ma mandarine de Noël
Voici qu’au milieu des bouquets
De douces fleurs et de bonbons
S’offre à mon nez soudain inquiet
Une troublante exhalaison
C’est l’odeur animale
De l’humaine condition
De la sueur et du sale
Et du mauvais coton
Et voici qu’ils affleurent
L’effluve du trépas
L’odeur d’un corps qui meurt
Entre ses derniers draps
Avant que le Temps souverain
Et sa cruelle taquinerie
N’emportent votre amour ou le mien
Vers d’autres cieux ou d’autres lits
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs
Toute votre âme Sur L’oreiller
(Juliette)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON
Les oeillets du corset
jettent leurs reflets
des persiennes fermées
protègent un monde
dont l’illusion
s’effondrera.
L’heure a le goût de son temps.
Allumez donc les lampes
entend-on, voyons
c’est la nuit.
Mon bien-aimé au visage brun,
à la bouche souriante, aux yeux ivres,
au front étoilé, et à l’allure gracieuse
mon bien-aimé au désir fougueux
est l’oeillet des joies,
l’apogée de la jeunesse,
l’ivre à longueur de temps,
ses cheveux sont doux,
autour de ses lèvres humides
— comme une colonie de fourmis
aux abords d’une source
le temps a essayé de représenter la beauté
et il a créé des fleurs variées dans le vaste paradis
puis intimidé devant Lui
il les a vite cachées dans les bourgeons
les langues des bougies ont rivalisé
avec les lumières de la pureté
dans la bouche du bien-aimé,
alors sa peine fut la brûlure
les lumières de la pureté, ô voeu de l’oeil !
En elles je hume la quintessence de la vie
Dans le jardin, sucré d’oeillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates
Chancellent de rosée et de sève pourvus,
Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé,
Mon coeur se dressera comme le coq qui chante
Insatiablement vers le soleil levé.
L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis,
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi ;
La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le destin de la vigne et du froment enclos…
Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement,
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement,
Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.
Et la maison avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Éparse lourdement autour des buissons verts ;
Mon coeur, indifférent et doux, aura la pente
Du feuillage flexible et plat des haricots
Sur qui l’eau de la nuit se dépose et serpente
Et coule sans troubler son rêve et son repos.
Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume,
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,
Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.
Je n’aurai pas d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma soeur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été,
Je serai si sensible et si jointe à la terre
Que je pourrai penser avoir connu la mort,
Et me mêler, vivante, au reposant mystère
Qui nourrit et fleurit les plantes par les corps.
Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils
Et que mon coeur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil…
(Anna de Noailles)
Recueil: Poésie au féminin
Traduction:
Editions: Folio
L’époque dont les mères ont parlé
n’a pas trouvé l’accès de nos alcôves,
et tout y est resté lisse et clair. Elles
nous disent qu’elles se brisèrent lors
d’une année fouaillée de tempête.
Nous ne savons pas : qu’est-ce que c’est la tempête ?
Nous habitons toujours dans les profondeurs de la tour,
et parfois, de loin seulement, nous entendons
dehors les forêts bruire dans le vent ;
une fois, une étoile étrangère
s’est arrêtée chez nous.
Et puis si nous sommes au jardin, nous
tremblons que cela ne commence, et
nous attendons jour après jour —
Mais il n’est nulle part un vent
qui voudrait nous plier.
***
Longtemps nous avons ri dans la
lumière, et chacune apportait à l’autre
des brassées d’oeillets et de résédas,
solennellement, comme à une promise
et c’était devinette et réponse.
Puis avec le nom de la nuit,
lentement, le silence s’est étoilé.
Nous fûmes alors comme réveillées de tout, et
très éloignées l’une de l’autre :
nous avons appris le désir, qui rend triste,
comme une chanson…
***
Les filles, sur la pente du jardin,
ont ri longtemps,
et en chantant,
comme si elles avaient fait une longue marche,
se sont fatiguées.
Les filles à côté des cyprès
tremblent : l’heure
commence où elles ignorent
de qui seront toutes choses.
Ce que j’aime au printemps, je te veux dire, Mesme ;
J’aime à fleurer la rose, et l’oeillet, et le thym,
J’aime à faire des vers, et me lever matin
Pour, au chant des oiseaux, chanter celle que j’aime.
En été, dans un val, quand le chaud est extrême
J’aime à baiser sa bouche et toucher son tétin
Et sans faire autre effet, faire un petit festin
Non de chair, mais de fruit, de fraises et de cresme.
Quand l’automne s’approche et le froid vient vers nous
J’aime avec la chastaigne avoir de bon vin doux
Et assis près du feu, faire une chère lye.
En hiver, je ne puis sortir de la maison,
Si n’est au soir, masqué ; mais, en cette saison,
J’aime fort à coucher dans les bras de ma mie.
(Olivier de Magny)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
Pour faire tous les coeurs contents
Avril revient. C’est le printemps
Qui pleure, qui rit et barbotte,
Et qui, chargé de falbalas,
Nous offre ses premiers lilas
« Fleurissez-vous ! deux sous la botte ! »
Puis, comme un rêve parfumé,
Les petites roses de mai,
Et les dernières violettes,
Avec les frais muguets des bois,
Pareils à des chapeaux chinois
Qui feraient trembler leurs clochettes ;
Les seringas et les oeillets,
Points rouges, blancs et violets,
Fleurs en boutons et fleurs écloses,
Les bluets comme dans les blés,
Et les coquelicots mêlés
Aux résédas parmi les roses…
Car les jardins, les bois, les champs,
Qui connaissent bien nos penchants,
Ayant des fleurs, nous les envoient.
Ils en gardent toujours assez.
Nous marchons à pas trop pressés ;
Il est bon que nos yeux les voient.
Que le pavé soit sec ou gras,
Jonchant les charrettes à bras,
Déjà souffrantes et pâlies,
Elles embaument, voulant bien
Ne rien coûter ou presque rien,
Bien que nous les trouvions jolies.
Frêles, elles mourront demain
Dans l’eau d’un vase, ou dans la main
Distraite et blanche d’une femme,
Et, bienfaisantes pour chacun,
En rendant un dernier parfum,
Elles exhaleront leur âme.
C’est du vent de la mer que naissent ses pétales
Et puis … c’est le soleil qui peaufine son corps
En faisant miroiter, tels des feux de Bengale
De fabuleux cristaux s’offrant à ce décor.
Sous la chaleur d’été, le paludier s’affaire
Armé de son ételle, il sculpte les mulons
Pour en faire des cônes à des fins salutaires
Puis des « Monts Blancs » sublimes à la morte-saison.
Cette manne salée qui relève nos plats
Nous faisant des gourmets depuis la nuit des temps
Trouve toujours sa place à l’heure du repas
Sur la table du riche ou celle du manant I
Saupoudrant les bonnottes et sardines d’argent
Se cachant prestement au coeur de nos gâteaux
L’or blanc de la Vendée, battu par tous les vents
Est la belle alchimie de la sueur des eaux.
Jardin marécageux … parterres rectilignes
Irrigués çà et là par le flux des étiers …
Qu’il est beau cet Eden et cet effort si digne
De ce splendide geste auguste du saunier.
Lorsque le soir descend, les derniers feux du jour
Enflamment les psychés des mouettes rieuses
La sage salicorne errant aux alentours
Rougit comme un rubis et fait l’audacieuse !
Au milieu des oeillets, pousse une fleur de sel
Venue en un bouquet du fond des Océans
Pour former une gerbe d’épis solennels
Au gré des fantaisies de la Rose des Vents !…
Mignonne, allons-nous-en dans un pays de songe,
Joli, capricieux, absurde, comme vous,
Azuré d’impossible et fleuri de mensonge,
Où les arbres, les eaux et le ciel seront fous.
Regardez! Le soleil sort de chez sa maîtresse
En galant négligé du matin, pâli, las,
Tandis qu’à l’horizon traînant sa noire tresse
Elle lui jette au nez des bouquets de lilas.
Lilas de l’aube, blancs lilas semés de perles!
Mettez à votre front ce nimbe gracieux.
La diane déjà chante au gosier des merles.
Les feuilles au réveil s’ouvrent comme des yeux.
Le ruisseau qui gazouille a pour vous des cascades
De diamant ou bien des miroirs de cristal.
Les cailloux du sentier roulent des noix muscades,
Et l’écorce du bois est en bois de santal.
Le vent luxurieux sur vos lèvres dérobe
L’arôme des baisers et le vol des chansons,
Et le désir troublant qui dort sous votre robe
Fait courir un frisson d’amour dans les buissons.
Et sous vos pieds, vos mains, vos regards, votre haleine,
Tout va fleurir dans la forêt d’enchantement.
De fleurs aux mille noms pour que l’herbe soit pleine,
Fée, il vous suffit de m’aimer un moment.
L’héliotrope sombre embaumant la vanille,
L’aspérule aux relents de musc, le romarin,
La marjolaine en blanc qu’on nomme la gentille,
La sauge qui dans l’air met un souffle marin,
L’encens du basilic, la myrrhe des glycines,
L’œillet qui sent le poivre et l’anis plein de miel,
La gueule ouverte rouge et or des capucines,
Le bleu myosotis, gouttelette de ciel,
La mauve, le muguet, les lis, les violettes,
Le chèvrefeuille avec ses coraux blancs-rosés,
La lavande, l’iris, le thym, ces cassolettes,
Tous les pois de senteur, ces papillons posés,
La jacinthe, l’arum, l’ache, les amarantes.
Les clochetons ambrés des pAles liserons,
Les roses, firmament d’aurores odorantes,
Tout va s’épanouir quand nous nous baiserons .
Au printemps de nos cœurs tout se mêle et s’enivre.
Etreintes de parfums, de formes, de couleurs!
Notre baiser d’aveu, comme un clairon de cuivre,
Sonne la charge en rut aux batailles des fleurs.
Mignonne, nous voici noyés dans cette foule.
Tu n’y peux échapper, c’est en vain que tu cours.
Les fleurs aiment encor sous ton pied qui les foule.
Sous nos corps enlacés les fleurs aiment toujours.
Leur sang coule embaume du cœur de leurs calices.
Bu par les vents, pareils à des chiens maraudeurs.
Qui traînent dans l’air chaud saturé de délices
Des lambeaux de couleurs, de formes et d’odeurs.
Elles meurent d’aimer. Elles meurent, qu’importe?
Mort d’amour, ô le plus savoureux des trépas!
Et leur dernier soupir est un souffle qui porte
L’âpre besoin d’aimer à ceux qui n’aiment pas.
Mignonne, mourons comme ces fleurs qui s’aiment.
Donnons tout notre sang de désirs parfumé,
Et que les vents, grisés par nos baisers qu’ils sèment,
Aillent dire partout que nous avons aimé.
Qu’ils le disent au bois, au champ, à la ravine,
Le disent à la nuit et le disent au jour.
Qu’ils disent par sanglots notre extase divine
Au monde fatigué qui ne sait plus l’amour!
Qu’ils le disent au ciel, à la nature entière,
Qu’ils racontent que nous nous sommes épousés
Et que l’éternité de toute la matière
A fleuri ce jour-là dans un de nos baisers!