Si sous les eaux les icebergs étaient capables de chaleur
Nul ne grimacerait à leurs sommets dentés,
S’élevant et plongeant sur la houle
Ils pourraient signaler que tout est pour le mieux.
Mais dans les eaux obscures les icebergs sont froids,
Aussi froids à la base que blanchis à la crête,
Et ceux qui plongent pour en avoir la preuve
Peuvent ne trouver aucun indice qui change leur opinion.
Il n’y a pas de mots sous l’eau,
Pas davantage de locutions,
De phrases, excepté celle
Qui vous informe que votre vie est terminée
Et que ce dont vous avez joui
N’était que la neuvième ou la dixième partie;
Le reste, simple claque à ceux qui osèrent supposer
Les icebergs sous l’eau capables de chaleur.
***
Icebergs
If icebergs were warm below the water
One would not wince at their jagged tops,
Lifting and dipping on the swell
They still might signal all was well.
But icebergs are cold in the dark water,
Cold their base as white their crest,
And those who dive to check the fact
Can find no signal to retract.
There are no words below the water,
Let alone phrases, let alone
Sentences – except the one
Sentence that tells you life is done
And what you had of it was a mere
Ninth or tenth; the rest is sheer
Snub to those who dared suppose
Icebergs warm below the water.
(Louis MacNeice)
Traduction de Marie Etienne
Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers
I. L’omoplate II. de la nuit III. cherche son squelette
IV. Un poème est une affirmation V. d’apparence contradictoire VI. ou contraire à l’opinion reçue VII. qui déborde toutes les opinions
VIII. La part de vérité IX. d’un poème déborde X. de la vérité générale
XI. Toute conclusion d’un poème XII. est un poème lui-même XIII. qui déborde toute les conclusions XIV. et le poème lui-même XV. attaque la conclusion XVI. qui le déborde XVII. La posture du poète est XVIII. celle de l’oeil du cyclone XIX. Aucun poème n’est extérieur XX. à la chose qu’il décrit
XXI. À l’intérieur de l’oeil du cyclone XXII. rien ne se meut XXIII. et le poète peut observer le mouvement XXIV. violent des contradictions
XXV. Le seul danger pour le poète est de sortir XXVI. ou de traverser le cyclone XXVII. en sortant de l’oeil
XXVIII. Le travail d’un poète XXIX. consiste à revenir XXX. d’où il est venu
XXI. L’extrémité du centre XXII. sa propre disparition
Nous pouvons trouver dans la nature humaine trois causes principales de querelles :
premièrement, la rivalité ;
deuxièmement, la méfiance ;
troisièmement, la fierté.
La première de ces choses fait prendre l’offensive aux hommes en vue de leur profit.
La seconde, en vue de leur sécurité.
La troisième, en vue de leur réputation.
Dans le premier cas, ils usent de la violence
pour se rendre maîtres de la personne d’autres hommes, de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs biens.
Dans le second cas, pour défendre ces choses.
Dans le troisième cas, pour des bagatelles,
par exemple pour un mot, un sourire, une opinion qui diffère de la leur,
ou quelque autre signe de mésestime, que celle-ci porte directement sur eux-mêmes,
ou qu’elle rejaillisse sur eux, étant adressée à leur parenté, à leurs amis, à leur nation, à leur profession, à leur nom.
Il apparaît clairement par là qu’aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect,
ils sont dans cette condition qui se nomme guerre,
et cette guerre est guerre de chacun contre chacun.
Lorsque l’enfant était enfant,
Il marchait les bras ballants,
Il voulait que le ruisseau soit rivière
Et la rivière, fleuve,
Que cette flaque soit la mer.
Lorsque l’enfant était enfant,
Il ne savait pas qu’il était enfant,
Tout pour lui avait une âme
Et toutes les âmes étaient une.
Lorsque l’enfant était enfant,
Il n’avait d’opinion sur rien,
Il n’avait pas d’habitude
Il s’asseyait souvent en tailleur,
Démarrait en courant,
Avait une mèche rebelle,
Et ne faisait pas de mimes quand on le photographiait.
Lorsque l’enfant était enfant,
ce fut le temps des questions suivantes :
Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ?
Pourquoi suis-je ici et pourquoi … pas là ?
Quand commence le temps et où finit l’espace ?
La vie sous le soleil n’est pas qu’un rêve ?
Ce que je vois, entend et sens, n’est-ce pas…
simplement l’apparence d’un monde devant le monde ?
Le mal existe t-il vraiment
avec des gens qui sont vraiment les mauvais ?
Comment se fait-il que moi qui suis moi,
avant de le devenir je ne l’étais pas,
et qu’un jour moi… qui suis moi,
je ne serais plus ce moi que je suis ?
Lorsque l’enfant était enfant,
Les pommes et le pain suffisaient à le nourrir,
Et il en est toujours ainsi.
Lorsque l’enfant était enfant,
Les baies tombaient dans sa main comme seule tombent des baies,
Les noix fraîches lui irritaient la langue,
Et c’est toujours ainsi.
Sur chaque montagne,
il avait le désir d’une montagne encore plus haute,
Et dans chaque ville,
le désir d’une ville plus grande encore,
Et il en est toujours ainsi.
Dans l’arbre, il tendait les bras vers les cerises, exalté
Comme aujourd’hui encore,
Etait intimidé par les inconnus et il l’est toujours,
Il attendait la première neige et il l’attend toujours.
Lorsque l’enfant était enfant
il a lancé un bâton contre un arbre, comme une lance,
Et elle y vibre toujours.
***
Lied vom Kindsein – Song of Childhood – Peter Handke
Als das Kind Kind war,
ging es mit hängenden Armen,
wollte der Bach sei ein Fluß,
der Fluß sei ein Strom,
und diese Pfütze das Meer.
Als das Kind Kind war,
wußte es nicht, daß es Kind war,
alles war ihm beseelt,
und alle Seelen waren eins.
Als das Kind Kind war,
hatte es von nichts eine Meinung,
hatte keine Gewohnheit,
saß oft im Schneidersitz,
lief aus dem Stand,
hatte einen Wirbel im Haar
und machte kein Gesicht beim fotografieren.
Als das Kind Kind war,
war es die Zeit der folgenden Fragen :
Warum bin ich ich und warum nicht du ?
Warum bin ich hier und warum nicht dort ?
Wann begann die Zeit und wo endet der Raum ?
Ist das Leben unter der Sonne nicht bloß ein Traum ?
Ist was ich sehe und höre und rieche
nicht bloß der Schein einer Welt vor der Welt ?
Gibt es tatsächlich das Böse und Leute,
die wirklich die Bösen sind ?
Wie kann es sein, daß ich, der ich bin,
bevor ich wurde, nicht war,
und daß einmal ich, der ich bin,
nicht mehr der ich bin, sein werde ?
***
Song of Childhood
When the child was a child
It walked with its arms swinging,
wanted the brook to be a river,
the river to be a torrent,
and this puddle to be the sea.
When the child was a child,
it didn’t know that it was a child,
everything was soulful,
and all souls were one.
When the child was a child,
it had no opinion about anything,
had no habits,
it often sat cross-legged,
took off running,
had a cowlick in its hair,
and made no faces when photographed.
When the child was a child,
It was the time for these questions:
Why am I me, and why not you?
Why am I here, and why not there?
When did time begin, and where does space end?
Is life under the sun not just a dream?
Is what I see and hear and smell
not just an illusion of a world before the world?
Given the facts of evil and people.
does evil really exist?
How can it be that I, who I am,
didn’t exist before I came to be,
and that, someday, I, who I am,
will no longer be who I am?
When the child was a child,
It choked on spinach, on peas, on rice pudding,
and on steamed cauliflower,
and eats all of those now, and not just because it has to.
When the child was a child,
it awoke once in a strange bed,
and now does so again and again.
Many people, then, seemed beautiful,
and now only a few do, by sheer luck.
It had visualized a clear image of Paradise,
and now can at most guess,
could not conceive of nothingness,
and shudders today at the thought.
When the child was a child,
It played with enthusiasm,
and, now, has just as much excitement as then,
but only when it concerns its work.
When the child was a child,
It was enough for it to eat an apple, … bread,
And so it is even now.
When the child was a child,
Berries filled its hand as only berries do,
and do even now,
Fresh walnuts made its tongue raw,
and do even now,
it had, on every mountaintop,
the longing for a higher mountain yet,
and in every city,
the longing for an even greater city,
and that is still so,
It reached for cherries in topmost branches of trees
with an elation it still has today,
has a shyness in front of strangers,
and has that even now.
It awaited the first snow,
And waits that way even now.
When the child was a child,
It threw a stick like a lance against a tree,
And it quivers there still today.
Les parties lumière
et les parties noires
du vaste manoir
découpent en plein
milieu mon cœur.
Je suis l’un ou l’autre
mouvant caractère
selon la lumière
qu’en moi il infuse
ou qui se refuse.
Ange-de-splendeur,
petite crapule,
je n’ai pas contrôle
sur moi dans la cave
ou sur le balcon.
Serai-je les deux
à l’exact instant
où j’ouvre la porte,
encore hésitants,
et la porte et moi?
Le vaste manoir
de lumière-et-d’ombre
c’est lui qui décide
comme jugera
de moi l’opinion
des grands, sans appel
pour mon moi confus
dans l’indéfinie
tombée de la nuit.
(Carlos Drummond de Andrade)
Recueil: La machine du monde et autres poèmes
Traduction: Didier Lamaison et Claudia Poncioni
Editions: Gallimard