Qui vive parmi les écureuils de l’automne?
Vif-argent du corps, oriflamme ou feuillage,
Le souvenir de l’amour à l’avenir se confond.
Qui cherchez-vous? Quel être ou quel espace apaisé
De paysage en pays, de regards en étreintes?
Est-ce le fleuve ou les années à l’horizon?
Le monde est vieux mais sa lumière vient de naître
Comme naît dans la chair, dans le souffle et l’image
Un désir où l’aimée ressemble au matin vert.
Je suis d’Auvergne et de France et du
monde, mais je sais bien que je suis d’autre
part. Un dit l’Europe, un autre l’Occident
et l’on agite une absurde oriflamme.
Moi, citoyen du chêne et de la rose
ou patriote au coeur des primevères,
j’habite aussi des étoiles lointaines,
en Utopie où j’ai mille demeures,
l’igloo, la case, et la mer et la plaine,
pampas, toundras et neiges éternelles
car je suis né dans chacun de mes mots.
(Robert Sabatier)
Recueil: La cour couleurs Anthologie de poèmes contre le racisme
Traduction:
Editions: Rue du monde
Je le sais maintenant :
inutile pour apercevoir l’infini
de dénuder le bleu du ciel car l’infini est
une tour
une forteresse apatride
un phare inassouvi
un silo cerclé d’oriflammes
Je le sais maintenant :
inutile pour apercevoir l’infini
d’apprivoiser la Voie lactée car l’infini est
un parcours austère
une géométrie sans pitié
une rectitude hantée d’absence
Peut-être est-il aussi un mirador
surveillant les coulées d’étoiles entre les barbelés des galaxies ?
Mais alors qui veille en son extrémité, juste au-dessous des oriflammes,
et quel souffle les fait battre immobiles sous une éternité d’orage ?
(Jacques Lacarrière)
Recueil: A l’orée du pays fertile
Traduction:
Editions: Seghers
J’aime les gens qui doutent
Les gens qui trop écoutent
Leur cœur se balancer
J’aime les gens qui disent
Et qui se contredisent
Et sans se dénoncer
J’aime les gens qui tremblent
Que parfois ils nous semblent
Capables de juger
J’aime les gens qui passent
Moitié dans leurs godasses
Et moitié à côté
[Refrain]
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime ceux qui paniquent
Ceux qui sont pas logiques
Enfin, pas comme il faut
Ceux qui, avec leurs chaînes
Pour pas que ça nous gêne
Font un bruit de grelot
Ceux qui n’auront pas honte
De n’être au bout du compte
Que des ratés du cœur
Pour n’avoir pas su dire :
« Délivrez-nous du pire
Et gardez le meilleur »
[Refrain]
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime les gens qui n’osent
S’approprier les choses
Encore moins les gens
Ceux qui veulent bien être
Qu’une simple fenêtre
Pour les yeux des enfants
Ceux qui sans oriflamme
Et daltoniens de l’âme
Ignorent les couleurs
Ceux qui sont assez poires
Pour que jamais l’histoire
Leur rende les honneurs
[Refrain]
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime les gens qui doutent
Mais voudraient qu’on leur foute
La paix de temps en temps
Et qu’on ne les malmène
Jamais quand ils promènent
Leurs automnes au printemps
Qu’on leur dise que l’âme
Fait de plus belles flammes
Que tous ces tristes culs
Et qu’on les remercie
Qu’on leur dise, on leur crie :
« Merci d’avoir vécu
Merci pour la tendresse
Et tant pis pour vos fesses
Qui ont fait ce qu’elles ont pu »
Dansent les étoiles dans le creux de tes mains
Quand le ciel et la mer fleurissent nos chemins
Par des soleils d’enfants, en tes yeux arc-en-ciel,
Que couvrent mes baisers dans le bleu de ton ciel…
Drapée dans ta robe océane qui m’enflamme
Et guide mon destin vers ton bel oriflamme,
Lorsque les vagues courent sur le sable d’or
Je m’approche de toi comme un conquistador.
Ta voix chante la mer sur les rochers d’argent
Pour m’appeler à toi, et ton corps émergeant
Dans l’habit de beauté qui fait gonfler mon coeur,
Distille sous ma peau la source du bonheur.
Vogue ton visage sur les eaux de mon âme
Et m’enivrant d’amour et de joie, je me pâme.
Dame de mes songes, sourire de printemps,
Tu donnes à mes ans l’éclat de tes vingt ans!
Ah! que n’ai-je vécu dans ces temps d’innocence,
Lendemains de l’An mil où l’on croyait encor,
Où Fiesole peignait loin des bruits de Florence
Ses anges délicats souriant sur fond d’or.
Ô cloîtres d’autrefois! jardins d’âmes pensives,
Corridors pleins d’échos, bruits de pas, longs murs blancs,
Où la lune le soir découpait des ogives,
Où les jours s’écoulaient monotones et lents!
Dans un couvent perdu de la pieuse Ombrie,
Ayant aux vanités dit un suprême adieu,
Chaste et le front rasé j’aurais passé ma vie
Mort au monde, les yeux au ciel, ivre de Dieu!
J’aurais peint d’une main tremblante ces figures
Dont l’oeil pur n’a jamais réfléchi que les cieux!
Au vélin des missels fleuris d’enluminures
Et mon âme eût été pure comme leurs yeux.
J’aurais brodé la nef de quelque cathédrale,
Ses chapelles d’ivoire et ses roses à jour.
J’aurais donné mon âme à sa flèche finale
Qu’elle criât vers Dieu tous mes sanglots d’amour!
J’aurais percé ses murs pavoisés d’oriflammes,
De ces vitraux d’azur peuplés d’anges ravis
Qui semblent dans l’encens et les cantiques d’âmes
Des portails lumineux s’ouvrant au paradis.
J’aurais aux angélus si doux du crépuscule,
Senti fondre mon coeur vaguement consolé,
J’aurais poussé la nuit du fond de ma cellule
Vers les étoiles d’or un sanglot d’exilé.
J’aurais constellé d’or, de rubis et d’opales
La châsse où la madone en habits précieux
Joignant avec ferveur ses mains fines et pâles
Si douloureusement lève au ciel ses yeux bleus.
Au fond de l’étang il y a le château englouti
où les fées de l’eau dansent
elles s’entremêlent aux algues
leurs volutes en oblique submergent la surface
aux profondeurs
un vent liquide fait claquer les oriflammes
à la dérive
la Dame aux voiles noirs pleure au donjon
tandis que des tournois refluent
à distance
au bout des ruelles filtrent des plaintes étouffées
ce sont des êtres morts brassant le vide
l’élément empêche de voir l’action
il n’y a pas de scène
seulement des personnages de songe
et des animaux fabuleux
La herse végétale retombe avec un bruit d’ailleurs
des corps inconnus filent en transparence
du sang goutte sur les pierres et la mousse
des spectres fracassés passent au loin
des femmes d’un autre âge et des hommes en armes
se croisent en souriant étranges
et disparaissent dans des méandres invisibles
toutes les chimères peuplent les collines de sable
des avalanches de monstres et de bêtes connues jadis
s’élèvent en lames de fond
les filles mouvantes se couchent aux douves