J’ai su pourtant donner des ailes à mes paroles,
je les voyais tourner en scintillant dans l’air,
elles me conduisaient vers l’espace éclairé…
Suis-je donc enfermé dans le glacial décembre
comme un vieillard sans voix, derrière la fenêtre
à chaque heure plus sombre, erre dans sa mémoire,
et s’il sourit c’est qu’il traverse une rue claire,
c’est qu’il rencontre une ombre aux yeux clos, maintenant
et depuis tant d’années froide comme décembre…
Cette femme très loin qui brûle sous la neige,
si je me tais, qui lui dira de luire encore,
de ne pas s’enfoncer avec les autres feux
dans l’ossuaire des forêts ? Qui m’ouvrira
dans ces ténèbres le chemin de la rosée ?
Mais déjà, par l’appel le plus faible touchée,
l’heure d’avant le jour se devine dans l’herbe.
Bretagne, ma demeure
il faut que survive
le kyrie dans ton âme de sel
idem il faut jeter au ciel
la drisse
des piétés et des miséricordes
idem il faut poursuivre les troménies
dans la croyance des bocages
idem relire les portulans
il le faut
idem faire son évangile
de la pensée du soleil
il le faut.
Et cependant, mère, aber
dans le suaire des grèves
roulent
des monceaux de chiens et d’enfants.
J’ai vu dans tes abysses
errer les cerveaux et les poulpes
Ah quand ressusciteront les ossuaires pourrissants
dans le soleil des baies ?
Ah quand reviendront mes amis morts
ah quand reviendront mes chevreuils massacrés
mes chevaliers mes disparus mes trépassés ?
Ah quand dans les monts d’Arrée
surgiront les cèdres du Liban
les jasmins, les cyprès ?
Ah quand donc reviendront les poulains en fleurs
dans la féerie des colzas
et le bagad de Pâque à Tronoën et à Lanmeur ?
Pigeon vole voici voilà
voici la veuve voilée
harpe des douleurs
fleurie et transpercée
Vierge ou Niobé.
Voici voilà en la arena
le taureau qui s’est arrêté
il ne sera pas mis à mort
le public le torero
dans un verre d’eau se sont noyés.
Pigeon hibou vautour vole
vol à l’immensité
un fémur renversé
un osselet de pierre
pour prier pour siffler.
Le Sphinx Janus Uranus
je ne sais quels dieux trouvés
abandonnés oubliés
inconnus mais révérés.
Les ruines l’ossuaire
civilisations éteintes
les cités imaginaires
inhumaine vérité
bien au-delà de la Terre
s’endorment dans les stellaires
monastères ministères
cimetières.
Le corps du sable est l’ossuaire de l’infini.
Ce qui n’a pas de visage veut enfin prendre coeur.
Dans le la du vide tremblent les étoiles.
Un souffle glisse sur le sentier des nerfs.
Au moins que ce soit un jour de cerisiers et de lilas
Et que ma tête ne ressemble pas encore à celle des morts
Avec cette mâchoire qu’ils ont
Avant qu’elle se détache et tombe seule dans l’ossuaire
Ce matin je pense à toi,
Mozart
Dans ta fosse de tibias et de crânes
Ô glorieux, et ce jour-là qui était ton jour ton ange pleurait
Parce que Dieu avait voulu pour toi
Ce Golgotha inversé dans la pluie du vieux novembre
À ma mort qu’il n’y ait pas d’ange mais qu’il me soit donné
D’entendre encore une fois la mésange de l’âme
Et le rossignol qui a égrené si souvent
ses trilles autour de mon cœur
Que je sois seul moi aussi
Mais que s’ouvre l’air à ma bouche
Que vienne une dernière fois le vent que j’ai bu
Avec l’avidité d’un enfant qui tète
Et que mes os commencent à descendre avec lenteur
Dans la terre printanière
Je bois la mort, maintenant
L’eau de la mort
J’ai les seins du vide aux dents
Et le regret du corps aimé
en creux dans l’ombre sonore
Ah Mozart, chante encore à mon cœur sans forme
Ce chant céleste où toi et moi
N’avons part dans nos espaces
Des lèvres de bacchide et des yeux de madone,
Des sourcils bifurqués où le diable a son pleige ;
Ses cheveux vaporeux que le peigne abandonne
Sont couronnés de fleurs plus froides que la neige.
Vient-elle de l’alcôve ou bien de l’ossuaire,
Lorsque ses mules d’or frôlent les dalles grises ?
Est-ce voile d’hymen ou funèbre suaire,
La gaze qui palpite aux vespérales brises ?
Autour du burg, la lune, aux nécromants fidèle,
Filtre en gouttes d’argent à travers les ramures.
Et l’on entend frémir, ainsi que des coups d’aile,
Des harpes, dans la salle où rêvent les armures.