Cloris, que dans mon temps j’ai si longtemps servie
Et que ma passion montre à tout l’univers,
Ne veux-tu pas changer le destin de ma vie
Et donner de beaux jours à mes derniers hivers ?
N’oppose plus ton deuil au bonheur où j’aspire.
Ton visage est-il fait pour demeurer voilé ?
Sors de ta nuit funèbre, et permets que j’admire
Les divines clartés des yeux qui m’ont brûlé.
Où s’enfuit ta prudence acquise et naturelle ?
Qu’est-ce que ton esprit a fait de sa vigueur ?
La folle vanité de paraître fidèle
Aux cendres d’un jaloux, m’expose à ta rigueur.
Eusses-tu fait le voeu d’un éternel veuvage
Pour l’honneur du mari que ton lit a perdu
Et trouvé des Césars dans ton haut parentage,
Ton amour est un bien qui m’est justement dû.
Qu’on a vu revenir de malheurs et de joies,
Qu’on a vu trébucher de peuples et de rois,
Qu’on a pleuré d’Hectors, qu’on a brûlé de Troies
Depuis que mon courage a fléchi sous tes lois !
Ce n’est pas d’aujourd’hui que je suis ta conquête,
Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris,
Et j’ai fidèlement aimé ta belle tête
Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.
C’est de tes jeunes yeux que mon ardeur est née ;
C’est de leurs premiers traits que je fus abattu ;
Mais tant que tu brûlas du flambeau d’hyménée,
Mon amour se cacha pour plaire à ta vertu.
Je sais de quel respect il faut que je t’honore
Et mes ressentiments ne l’ont pas violé.
Si quelquefois j’ai dit le soin qui me dévore,
C’est à des confidents qui n’ont jamais parlé.
Pour adoucir l’aigreur des peines que j’endure
Je me plains aux rochers et demande conseil
A ces vieilles forêts dont l’épaisse verdure
Fait de si belles nuits en dépit du soleil.
L’âme pleine d’amour et de mélancolie
Et couché sur des fleurs et sous des orangers,
J’ai montré ma blessure aux deux mers d’Italie
Et fait dire ton nom aux échos étrangers.
Ce fleuve impérieux à qui tout fit hommage
Et dont Neptune même endure le mépris,
A su qu’en mon esprit j’adorais ton image
Au lieu de chercher Rome en ses vastes débris.
Cloris, la passion que mon coeur t’a jurée
Ne trouve point d’exemple aux siècles les plus vieux.
Amour et la nature admirent la durée
Du feu de mes désirs et du feu de tes yeux.
La beauté qui te suit depuis ton premier âge
Au déclin de tes jours ne veut pas te laisser,
Et le temps, orgueilleux d’avoir fait ton visage,
En conserve l’éclat et craint de l’effacer.
Regarde sans frayeur la fin de toutes choses,
Consulte le miroir avec des yeux contents.
On ne voit point tomber ni tes lys, ni tes roses,
Et l’hiver de ta vie est ton second printemps.
Pour moi, je cède aux ans ; et ma tête chenue
M’apprend qu’il faut quitter les hommes et le jour.
Mon sang se refroidit ; ma force diminue
Et je serais sans feu si j’étais sans amour.
C’est dans peu de matins que je croîtrai le nombre
De ceux à qui la Parque a ravi la clarté !
Oh ! qu’on oira souvent les plaintes de mon ombre
Accuser tes mépris de m’avoir maltraité !
Que feras-tu, Cloris, pour honorer ma cendre ?
Pourras-tu sans regret ouïr parler de moi ?
Et le mort que tu plains te pourra-t-il défendre
De blâmer ta rigueur et de louer ma foi ?
Si je voyais la fin de l’âge qui te reste,
Ma raison tomberait sous l’excès de mon deuil ;
Je pleurerais sans cesse un malheur si funeste
Et ferais jour et nuit l’amour à ton cercueil !
Le jour las décline vers la nuit,
le roulis de la houle s’est assoupi,
le soleil s’est éteint, et la lune
songeuse, glisse sur le monde.
La plaine en silence écoute
le murmure du ruisseau paisible.
La forêt sombre, penchée, somnole,
un rossignol lance ses trilles.
Tout ouïe et caressant
le fleuve chuchote avec ses rives.
On entend au-dessus de l’eau
le joyeux froissement des roseaux.
***
(Sergueï Essénine)
Recueil: Journal d’un poète
Traduction: Christiane Pighetti
Editions: De la Différence
plus que n’importe qui sur terre et je
t’adore mieux que tout ce qui est aux cieux
—soleil et chants se déroulent sur ta route
bien que l’hiver puisse partout se répandre
avec un tel silence et une telle ombre
nul ne peut commencer à deviner
(sauf ma vie)le vrai moment de l’ année—
et si pouvait ce qui se croit un monde
par chance ouïr de tels chants(ou entrevoir un
tel soleil faisant plus que haut des bonds
dans le coeur d’un plus fou que fou de joie
quand tu approches)sûr que tous voudraient(ma
si belle chérie)sauf en l’amour ne croire en rien
***
i love you much (most beautiful darling)
more than anyone on the earth and i
like you better than everything in the sky
—sunlight and singing welcome your coming
although winter may be everywhere
with such a silence and such a darkness
noone can quite begin to guess
(except my life) the true time of year—
and if what calls itself a world should have
the luck to hear such singing (or glimpse such
sunlight as will leap higher than high
through gayer than gayest someone’s heart at your each
nearness) everyone certainly would (my
most beautiful darling) believe in nothing but love
(Edward Estlin Cummings)
Recueil: 95 poèmes
Traduction: Jacques Demarcq
Editions: Points
Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par de petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me déplaise,
Méditer à loisir, rêver tout à mon aise,
Employer toute une heure à me mirer dans l’eau,
Ouïr comme en songeant la course d’un ruisseau,
Écrire dans les bois, m’interrompre, me taire,
Composer un quatrain, sans songer à le faire.
Amour
Laisse venir
La belle qui aime et réjouit
Facile
Simple
Là
Le corps ouvre son sein
Son coeur se livre bien
Effleurer
Effeuiller
Effacer
Luise le soleil
Fleurissent les jonquilles
Éclairent les étoiles
Terre ô ciel
La paix descend
Femina
Éclat d’être
Une planète
Ouïr et jouir
Jouer et rejouer
Perdre et se perdre
Encore
Dédore l’infini rose
Abolies et polies
Toutes les faces à temps
Chantées
Les fables des amants
Osent rougir les sables
Où coulent les ciels bleus
Brûlent les parfums doux
Fondent les sels marins
Une plume vole
Vers l’horizon à court
Oh ! Il nous fuit déjà…
Que feray-je ? Que diray-je ?
De quel costé tourneray-je,
Mes plus douloureux accents ?
A vous rochers et montagnes,
A vous forests et campagnes,
Qui m’estes icy présens.
Quoy ? pourray-je bien me plaindre,
Et vous dire sans rien craindre
Mes plus cuisantes douleurs ?
Le tourment qui trop m’afflige
A vous déclarer m’oblige
Le sujét de mes malheurs.
Oseray-je bien le dire
La cause de mon martire
Aux driades de ces bois ?
O ! passions non pareilles !
Les forests n’ont point d’oreilles
Pour ouï ma triste voix.
Je ferey donc pénitence,
Dans l’effroyable silence
Des plus solitaires lieux,
A toujours mourir et vivre :
Car c’est mourir que survivre
A la perte de son mieux.
***
What shall I do? What shall I say?
Where shall I turn,
My most painful tones?
To you, rocks and mountains,
To you, forests and countryside,
That are present here for me.
What? Might I really complain
And tell you without any fear
My most smarting pains?
The torment that afflicts me too greatly
Obliges me to declare to you
The subject of my ordeals.
Might I dare utter
The cause of my martyrdom
To the dryads of these woods?
O! matchless passions!
The forests have no ears
To hear my sad voice.
So I shall repent,
In the frightful silence
Of the most solitary places,
To ever die and live:
For to survive is to die
To the loss of his best.
***
Was werd‘ ich tun? Was werd‘ ich sagen?
In welche Richtung wende ich
Mein schmerzlichstes Fragen?
Euch ruf‘ ich‘s zu, ihr Felsen und Gebirge,
Ihr Wälder und Wiesen,
Die ihr hier liegt vor mir.
Wie? Könnt ich wohl hier klagen
Und euch ohn‘ Ängste sagen
Mein‘ allerschmerzlichste Pein?
Die Unruh‘, die mich zu sehr quält,
Euch zu erklär‘n mich pflichtet
Den Inhalt meines Unglücks.
Sollt‘ ich es denn wohl wagen,
Den Grund mein‘s Leid‘s zu sagen
Den Dryaden dieses Hains?
Oh, Leiden ohnegleichen,
Die Wälder können gar nicht lauschen,
Zu hören mein‘ traur‘ge Stimm‘.
Ich werde also büßen,
In der furchtbaren Stille
Der einsamsten Ort‘ alldort.
Ich werde immer sterben und auch leben,
Denn es heißt sterben, wenn man muss überleben
Sein Liebstes, das man verlor.
Or que l’hiver roidit la glace épaisse,
Réchauffons-nous, ma gentille maîtresse,
Non accroupis près le foyer cendreux,
Mais aux plaisirs des combats amoureux.
Assisons-nous sur cette molle couche.
Sus ! baisez-moi, tendez-moi votre bouche,
Pressez mon col de vos bras dépliés,
Et maintenant votre mère oubliez.
Que de la dent votre tétin je morde,
Que vos cheveux fil à fil je détorde.
Il ne faut point, en si folâtres jeux,
Comme au dimanche arranger ses cheveux.
Approchez donc, tournez-moi votre joue.
Vous rougissez ? il faut que je me joue.
Vous souriez : avez-vous point ouï
Quelque doux mot qui vous ait réjoui ?
Je vous disais que la main j’allais mettre
Sur votre sein : le voulez-vous permettre ?
Ne fuyez pas sans parler : je vois bien
A vos regards que vous le voulez bien.
Je vous connais en voyant votre mine.
Je jure Amour que vous êtes si fine,
Que pour mourir, de bouche ne diriez
Qu’on vous baisât, bien que le désiriez ;
Car toute fille, encor’ qu’elle ait envie
Du jeu d’aimer, désire être ravie.
Témoin en est Hélène, qui suivit
D’un franc vouloir Pâris, qui la ravit.
Je veux user d’une douce main-forte.
Hà ! vous tombez, vous faites jà la morte.
Hà ! quel plaisir dans le coeur je reçois !
Sans vous baiser, vous moqueriez de moi
En votre lit, quand vous seriez seulette.
Or sus ! c’est fait, ma gentille brunette.
Recommençons afin que nos beaux ans
Soient réchauffés de combats si plaisants.