peu m’importent les bataillons des odes
Et le charme des fantaisies élégiaques.
Dans un poème, je l’affirme, tout doit être inattendu.
À la différence des gens — tellement prévisibles.
Si vous saviez sur quelles balayures
Poussent mes vers, sans connaître la honte,
Comme un pissenlit jaune sous une palissade,
Comme la bardane et l’épinard sauvage.
Un cri de colère, l’odeur fraîche du goudron,
Une indéchiffrable moisissure sur un mur…
Et déjà retentit le vers, si tendre, si fougueux,
Pour votre plaisir et le mien.
***
(Anna Akhmatova)
Traduction de Jean-Baptiste Para
Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers
la belle journée
s’est accroché la robe à la palissade
quelle étourdie elle a réussi à la déchirer
la robe blanche est en loques maintenant
les voyeurs ne vont pas tarder à la rattraper
ils vont se ruer les pauvres voyeurs
languides et visqueux
s’agripper au grillage
les pauvres voyeurs
Le chat noir de la palissade
Promène son museau partout,
C’est un pirate en ambassade,
Le chat noir qui s’en vient chez nous.
Dans le jardin ou sur le toit,
En mille et une escapades
De tous côtés, il est le roi.
Il est le tigre du Bengale
Et le prince des maraudeurs,
Sa moquerie est sans égale:
Ce chat-là est un chapardeur.
Il faut le voir, cet escogriffe,
Ce gracile animal ingrat
Qui lacère à grands coups de griffe
Les détritus de papier gras.
Il mène sa vie à sa guise,
Ne faisant que ce qui lui plaît,
Il se complaît dans des bêtises
Qui ne valent pas un couplet.
Et cependant si ce vaurien
Ne commet que des incartades
A la maison, on l’aime bien,
Le chat noir de la palissade.
(Henri Monnier)
Recueil: le chat en cent poèmes
Traduction:
Editions: Omnibus
J’ me souviens d´un coin de rue
Aujourd´hui disparu
Mon enfance jouait par là
Je me souviens de cela
Il y avait une palissade
Un taillis d´embuscades
Les voyous de mon quartier
V’naient s´y batailler
A présent, il y a un café,
Un comptoir flambant qui fait d’ l´effet
Une fleuriste qui vend ses fleurs aux amants
Et même aux enterrements
Je revois mon coin de rue
Aujourd´hui disparu
Je me souviens d´un triste soir
Où le cœur sans espoir
Je pleurais en attendant
Un amour de quinze ans
Un amour qui fut perdu
Juste à ce coin de rue
Et depuis, j´ai beaucoup voyagé
Trop souvent en pays étrangers
Mondes neufs, constructions ou démolitions
Vous m’ donnez des visions
Je crois voir mon coin de rue
Et soudain apparus
Je retrouve ma palissade
Mes copains, mes glissades
Mon muguet d’deux sous d’printemps
Mes quinze ans… mes vingt ans
Tout c’ qui fut et qui n´est plus
Tout mon vieux coin de rue.
Ton corps d’alcool est l’arête et l’encoignure
tes coudes s’effacent dans les impasses
tu combles les interstices des pavés
tu es le pieu et la lierne des palissades
et tes paupières clignent dans les balustres des balcons
Derrière la palissade rouge
on aimerait vivre et vieillir très
longtemps, on serait
un homme sans crainte, sans presque
de désir et seulement les arbres
parleraient de vous, diraient la sève
et le surcroît, l’immobile
mouvoir des heures et puis la mort
comme une écorce mouillée, on serait là, les yeux
ouverts, juste une vie, derrière une palissade rouge.
Sur la terre grise de la colline,
Sous les jeunes pousses d’une aubépine,
Tout près de la palissade où passent
Les jeunes étudiants en toges rouges
Ton aile blanche et noire brisée,
Tu étais immobile dans la mort, pareil
A une rose coupée ou une étoile
Exilée, loin du trône de la nuit.
Forme inerte qui un jour fut un vol
D’extase dans la lumière, un chant ardent
Au petit matin, la paix nocturne
D’un nid, tout là-haut dans les cimes.
Aujourd’hui tout semble inutile, à l’image
Du chagrin quand l’amour s’enfuit,
De la souffrance quand vieillit la beauté,
Du désir de lumière noyé par les ombres.
Si tu étais comme la mer qui, de sa propre mort,
Renaît. De toi j’aperçois la forme spectrale
Qui pleure dans le ciel les amours
Vites et beaux de tes jours passés.
Maintenant, silence. Dors. Oublie tout.
Nourris de toi-même la mort qui en toi niche.
Cette quiétude de l’aile, comme un soleil couchant,
Peut-être est-ce de la vie une forme plus haute.
(Luis Cernuda)
Recueil: Les nuages
Traduction: Anthony Bellanger
Editions: Fata Morgana