J’aime l’haleine quand il gèle,
L’hiver l’aveu léger de la buée :
Ici le je, et là-bas le réel.
Un gamin aux pommettes rouges
S’est élancé tête baissée
Seigneur et tyran de sa luge.
Et moi, parlant avec le monde, avec la liberté,
Je cède à la contagion du traîneau
Dans les franges, les parenthèses argentées,
Et le siècle plus léger que l’écureuil tomberait,
Plus léger que l’écureuil au bord moelleux du ruisseau,
Avec un demi-ciel dans les feutres, dans les jambes !
Fleurs promises, fleurs tenues dans tes bras,
Fleurs sorties des parenthèses d’un pas,
Qui t’apportait ces fleurs l’hiver
Saupoudrées du sable des mers?
Sable de tes baisers, fleurs des amours fanées
Les beaux yeux sont de cendre et dans la cheminée
Un coeur enrubanné de plaintes
Brûle avec ses images saintes.
Et puis cette ombre au fond de l’ombre
Et puis ces deux mains qui se nouent
Ces gestes faits et refaits sans en voir le bout
Et puis cette ombre encore debout
Le cri d’une sirène
Quand le jour a déteint
Parenthèse de peine
L’oubli jusqu’à demain
Longues secondes inertes
Le corps à l’abandon
Gestes lents, cigarettes
Puis s’essuyer le front
Vague regard au ciel
Pour l’heure ou pour le temps
Trop de pluie, de soleil
C’est tout c’qu’il en attend
Déjà loin de ses haines
Aussi loin qu’il le peut
Où ses rêves l’entraînent
Quand il ferme les yeux
Et puis cet otage sans cage
Et puis tous ces hommes en essaim
Son grave visage, maquillage, sans âge
Et puis ces billets dans ta main
Tu peux prendre ses lèvres
Tu peux goûter sa peau
Décider de ses gestes
Même dicter ses mots
Soumettre à tes plaisirs
Tant que le compte est bon
Arracher des sourires
Même changer son nom
Maître d’une apparence
Possédant de si peu
D’un vide, d’une absence
Dès qu’elle ferme les yeux
Quand la peine est trop lourde
Quand le monde est trop laid
Quand la chance est trop sourde
La vérité trop vraie
Comme au dernier voyage
Pour y voir enfin mieux
Enfin d’autres images
Quand on ferme nos yeux
Quand on ferme nos yeux
Pendant ma pause
je vais rentrer
et nous ferons l’amour
dans la chambre
aux volets fermés
dehors la pluie
continuera de tomber
la terre de tourner
et les hommes de dégringoler
entre deux mensonges
mais ce n’est pas bien grave
puisqu’il reste quelque part
une chambre
aux volets fermés
où faire valser
nos deux pénombres
(Thomas Vinau)
Recueil: Juste après la pluie
Traduction:
Editions: Alma
Lui sur lequel on voudrait poser
une épaule, un regard, un ciel,
lui musant sur la route des vents
et s’inscrivant au hasard des vagues
tout en haut, à l’écume du destin,
lui, quand même là, entre parenthèses
entre sommeil au matin feuillu
de tendresse et non serment, loin,
tout de même de lui, au sourire
entre guillemets, ensoleillé
clair, en marche singulière « vers »
vers, simplement « vers », en marche « vers »
un « vers » qui ne lui appartient pas.
Lui, sa rencontre avec l’arbre
d’un printemps et l’ami patient.
Lui qui rompt
le quotidien
l’emmurement et le murmure
du temps, jouit de l’éphémère,
interroge les questions sans point,
sans attente, et sans durée.
Sans attache, sans voeux, amoureux
de la dérive et du navire,
à la fois du joug et du galop
arrimé quand même au port,
à toi pour un temps.
(Claudine Helft)
Recueil: Une indécente éternité
Traduction:
Editions: De la Différence
Ce matin il écrit un poème.
Le fait sécher
à la fenêtre,
mais pas au soleil,
voulant qu’il garde
quelques gouttes du songe
d’une nuit qui fut aventureuse.
Tandis qu’avance la journée
des pigeons de passage
picorent le poème.
Le privent de ses voyelles
de tous ses points d’exclamation.
Parenthèses et guillemets
Sont épargnés.
Le soir il revient chez lui,
ramasse le poème
et ferme la fenêtre.
Il le récrira peut-être demain…
Elle a tant de fenêtres, la Poésie.
***
(Alexàndra Galanou)
Recueil: Dans les recoins des mots
Traduction:
Editions: Circé
(Chaque fois que l’un d’entre nous meurt
est-ce que chaque fois un petit dieu meurt aussi ?
le sien, bien sûr, mais aussi l’un des nôtres…
Lorsque à mon tour je mourrai, dit la petite Virginia,
quels petits dieux seront tristes de ma disparition ?
Peut-être celui des questions et des vélos ?
Je n’aime que les dieux très petits,
les grands, uniques ou multiples,
ne me plaisent pas beaucoup,
trop puissants, trop absents.
Alors, dit-elle encore, la bouche pleine de sons,
prions le petit dieu des disparitions
et des oublis.
Et puis.)
(Sylvie Durbec)
Recueil: Le paradis de l’oiseleur
Traduction:
Editions: Al Manar