Une essence chasse une autre essence.
Quelle essence vaincra la haine ?
Je te laisse ce coffret vide
où tu rangeras tes trésors.
Et lorsque tu auras trouvé
le doux parfum des temps à venir
tu le cacheras dans le coffret.
Tu iras au sommet
de la plus haute montagne
et tu ouvriras le coffret.
Le paradoxe du parfum,
c’est qu’il libère ce qu’il capture.
Tu ouvriras le coffret
et déverseras sur le monde
cette odeur de fruit pur, de rosée franche,
cette odeur de route à prendre dans le matin clair
avec laquelle tu es née
à laquelle tu ajouteras
toutes les trouvailles de ton fait,
une odeur de bonne semence
pour le triomphe de la récolte,
quand le pain amènera le rire,
quand, de jour comme de nuit,
la rivière arrosera les plantes
qui pousseront partout avec des coquetteries
de jolies filles habillées pour leur première sortie,
dans les cheveux des hommes et des femmes d’État,
dans les mains des nouveau-nés
comme un pari gagné sur leurs lignes de chance,
dans les armoires, entre deux vieilleries
pour appeler les vieux linges à leur vitalité.
(Lyonel Trouillot)
Recueil: Le doux parfum des temps à venir
Traduction:
Editions: Actes Sud
J’ai pris mon coeur dans tes cheveux,
au filet de ton propre piège.
Tue-moi, d’un clin d’oeil, si tu veux :
pas d’autre sort qui me convienne !
Si tu te trouves en mesure
de contenter notre désir,
Exauce-le, car tu feras
une oeuvre pie pour me servir.
Par ta vie ! O ma douce idole,
je jure que, dans la nuit noire,
Comme un cierge je me consume :
car je voudrais m’anéantir.
Lorsque tu me parles d’amour,
rossignol, je te mets en garde :
La rose n’est qu’une égoïste
qui ne pense qu’à son plaisir.
La fleur n’a pas besoin du musc
du Turkestan ou de la Chine,
Puisqu’elle abrite son parfum
aux plis de son propre manteau.
Ne va donc pas frapper à l’huis
des possédants d’âme mesquine :
Tu as sous ton toit le trésor
de tout le bonheur qu’il te faut.
Hâfez, tu brûles de passion.
Le jeu d’amour est un pari
Tu restes fidèle à toi-même
et bien ancré dans ton parti.
***
(Hâfez Shirâzi)(Hafiz)
Recueil: L’amour, l’amant, l’aimé
Traduction: Vincent-Masour Monteil
Editions: Actes Sud
La poésie n’aurait-elle plus rien à nous dire ?
Ne serait-elle plus le lieu privilégié des interrogations humaines ?
D’Infiniment proche au Désespoir n’existe pas, dix ans ont passé.
Dix ans en prise avec le balancier de la vie.
Dix ans d’écriture.
Des poèmes de bord, comme autant de témoignages d’amitié, d’amour, d’admiration, de deuil.
Des poèmes animés par un pari farouche : transformer le pire en force d’ascension.
Des poèmes pour reprendre souffle et tenir parole.
Des poèmes pour ouvrir un espace aimanté, irriguer le réel dans une époque vouée à l’hypnose.
Transmettre quelque chose d’irremplaçable : une présence ardente au monde, une subversion féerique.
La poésie – ou la riposte de l’émerveillement.
ce n’est jamais le moment
de s’arrêter dans la vie
c’est une affaire d’argent
ou d’amour ou de pari
mais les mouettes reviennent
avec l’hiver et leurs ailes
ressemblent aux demoiselles
qui patinent sur la glace
des canaux d’un autre siècle
et sourient au temps qui passe
dans les yeux de l’adolescente
on voit l’ombre gagner la lande
on voit les prochaines amours
s’étreindre et les ans mourir
on voit les voiles des navires
s’éloigner vers la fin des jours
on voit la mer qui se retire
le ciel s’assombrir et l’été
s’effacer à tout jamais
on voit l’hiver enfin s’étendre
et redessiner la Hollande
nous marchons sur les plages blanches
où l’écume et la neige fondent
sur le sable, dimanche
a des ciels comme des semaines
et les enfants rouges qui aiment
les ballons plus ronds que le monde
écoutent monter la marée
très loin dans la brume des îles
voyagent au large des villes
L’art en bazar,
c’est le pari insolite et absurde
d’essayer de mettre un peu d’ordre
dans des tableaux sans queue ni tête,
dans des compositions abstraites,
dans des peintures foisonnantes de détails.