Les bateaux sont partis, ce soir la mer est belle,
La vague vient vers moi comme un serpent brillant,
De grands oiseaux planant autour de moi s’appellent;
Dans le vent qui se lèv’ c’est ta voix que j’entends.
La vague vient rouler à mes pieds sur le sable,
La trace de mes pas s’efface peu à peu.
Ma tristesse aujourd’hui est inimaginable,
Avec cet océan qui bouge entre nous deux.
Les bateaux sont partis, ce soir la mer est calme,
Le vent qui vient des îles exhale doucement
Une plainte de harpe en jouant dans les palmes.
Je regarde la mer et c’est toi que j’entends.
J’attends que le soleil tout à l’heure apparaisse.
Que son premier rayon vienne effleurer ma peau,
L’heur’ des enchantements, l’heure de la détresse,
Et c’est toi que j’attends qui vas sortir des eaux.
Je vais aller au pré pour curer la fontaine.
Je me contenterai de retirer les feuilles.
(Et peut-être attendrai-je que le flot soit clair.)
Je ne serai pas parti bien longtemps. Viens donc!
Je vais ramener avec moi le petit veau
Qui est toujours avec sa mère. Il est si jeune
Que lorsqu’elle le lèche, il vacille et chancelle.
Je ne serai pas parti bien longtemps. Viens donc!
J’ai pris mon coeur dans tes cheveux,
au filet de ton propre piège.
Tue-moi, d’un clin d’oeil, si tu veux :
pas d’autre sort qui me convienne !
Si tu te trouves en mesure
de contenter notre désir,
Exauce-le, car tu feras
une oeuvre pie pour me servir.
Par ta vie ! O ma douce idole,
je jure que, dans la nuit noire,
Comme un cierge je me consume :
car je voudrais m’anéantir.
Lorsque tu me parles d’amour,
rossignol, je te mets en garde :
La rose n’est qu’une égoïste
qui ne pense qu’à son plaisir.
La fleur n’a pas besoin du musc
du Turkestan ou de la Chine,
Puisqu’elle abrite son parfum
aux plis de son propre manteau.
Ne va donc pas frapper à l’huis
des possédants d’âme mesquine :
Tu as sous ton toit le trésor
de tout le bonheur qu’il te faut.
Hâfez, tu brûles de passion.
Le jeu d’amour est un pari
Tu restes fidèle à toi-même
et bien ancré dans ton parti.
***
(Hâfez Shirâzi)(Hafiz)
Recueil: L’amour, l’amant, l’aimé
Traduction: Vincent-Masour Monteil
Editions: Actes Sud
Plus jamais de chambre pour nous,
Ni de baisers à perdre haleine
Et plus jamais de rendez-vous
Ni de saison, d’une heure à peine,
Où reposer à tes genoux.
Pourquoi le temps des souvenirs
Doit-il me causer tant de peine
Et pourquoi le temps du plaisir
M’apporte-t-il si lourdes chaînes
Que je ne puis les soutenir ?
Rivage, oh ! rivage où j’aimais
Aborder le bleu de ton ombre,
Rives de novembre ou de mai
Où l’amour faisait sa pénombre
Je ne vous verrai plus jamais.
Plus jamais. C’est dit. C’est fini
Plus de pas unis, plus de nombre,
Plus de toit secret, plus de nid,
Plus de lèvres où fleurit et sombre
L’instant que l’amour a béni.
Quelle est cette nuit dans le jour ?
Quel est dans le bruit ce silence ?
Mon jour est parti pour toujours,
Ma voix ne charme que l’absence,
Tu ne me diras pas bonjour.
Tu ne diras pas, me voyant,
Que j’illustre les différences,
Tu ne diras pas, le croyant,
Que je suis ta bonne croyance
Et que mon coeur est clairvoyant.
Mon temps ne fut qu’une saison.
Adieu saison vite passée.
Ma langueur et ma déraison
Entre mes mains sont bien placées
Comme l’amour en sa maison.
Adieu plaisirs de ces matins
Où l’heure aux heures enlacée
Veillait un feu jamais éteint.
Adieu. Je ne suis pas lassée
De ce que je n’ai pas atteint.
Je puis prendre mon parti de n’être pas poète :
je n’oublierai pas ce que c’est que Poésie.
Murmure de l’Eternel,
et cela enfin qui fait que nous pouvons désirer de vivre.
(Pierre Oster)
Recueil: Paysage du Tout
Traduction:
Editions: Gallimard
Aux âmes citoyens
Que nos baisers donnent le ton
Aux âmes citoyens
Que les armées désertent nos chansons
Allons enfants de toutes les patries
Le jour de croire est enfin arrivé
Si alentour, nous semions l’harmonie
L’étendard sanglant serait lavé
Entendez vous dans les campagnes
S’unir nos précoces petits gars
Ils viennent jusque dans vos bras
Vous serrer fort et soulever des montagnes
Aux âmes citoyens
Que nos baisers donnent le ton
Aux âmes citoyens
Que les armées désertent nos chansons
Amour sacré de la fratrie
Conduis soutiens nos bras enjôleurs
De la liberté, liberté chérie
Nous voilà les ambassadeurs
Militants du parti des étoiles et du vent
Des tireurs de sonnette et puis des cerfs-volants
Bambins et marmots, gardiens de l’espoir
Sans nos drapeaux que de victoires
Aux âmes citoyens
Que nos baisers donnent le ton
Aux âmes citoyens
Que les armées désertent nos chansons
Quand la haine s’élève
Nous allons bienveillants
Sur le sentier de la trêve
Désarmés jusqu’aux dents
Nous livrerons bataille
Sentiments en jalons
Nos sourires pour médailles
La tendresse comme canon
Aux âmes citoyens
Que nos baisers donnent le ton
Aux âmes citoyens
Que les armées désertent nos chansons