Retournez une chandelle comme un gant
et vous obtenez la plus petite
partie d’un lion qui se tient
là au bord des
ombres.
***
A Candlelion Poem
For Michael
Turn a candle inside out
and you’ve got the smallest
portion of a lion standing
there at the edge of the
shadows.
(Richard Brautigan)
Recueil: C’est tout ce que j’ai à déclarer Oeuvres poétiques complètes
Traduction: Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues et Nicolas Richard
Editions: Le Castor Astral
Le désespoir même s’est lassé désormais
de rejouer la partie que je perds toujours
où il m’attend sans surprise
embusqué au bord du chemin
pour m’offrir un moment sa compagnie glacée
et s’éloigne
laissant entre nous la distance de son ombre
qui porte encore mes pas jusqu’au grand vide
dans l’abîme des rêves sans lumière
que n’éloigne plus le signe précaire de l’Aube
tremblant au fond du chemin.
Si sous les eaux les icebergs étaient capables de chaleur
Nul ne grimacerait à leurs sommets dentés,
S’élevant et plongeant sur la houle
Ils pourraient signaler que tout est pour le mieux.
Mais dans les eaux obscures les icebergs sont froids,
Aussi froids à la base que blanchis à la crête,
Et ceux qui plongent pour en avoir la preuve
Peuvent ne trouver aucun indice qui change leur opinion.
Il n’y a pas de mots sous l’eau,
Pas davantage de locutions,
De phrases, excepté celle
Qui vous informe que votre vie est terminée
Et que ce dont vous avez joui
N’était que la neuvième ou la dixième partie;
Le reste, simple claque à ceux qui osèrent supposer
Les icebergs sous l’eau capables de chaleur.
***
Icebergs
If icebergs were warm below the water
One would not wince at their jagged tops,
Lifting and dipping on the swell
They still might signal all was well.
But icebergs are cold in the dark water,
Cold their base as white their crest,
And those who dive to check the fact
Can find no signal to retract.
There are no words below the water,
Let alone phrases, let alone
Sentences – except the one
Sentence that tells you life is done
And what you had of it was a mere
Ninth or tenth; the rest is sheer
Snub to those who dared suppose
Icebergs warm below the water.
(Louis MacNeice)
Traduction de Marie Etienne
Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers
tes seins sont deux filles qui jouent
à se frapper quand tu laves ton linge
L’arc-en-ciel de ton regard est tendu dans l’écume
Qui te verrait soutiendrait que tu ne souffres pas
Il ne saurait pas qu’au pied de ton bac à lessive
s’entasse une partie de ton histoire
Le sifflement que tu entonnes
est le fil sur lequel tu accroches ta fatigue
Le vent est un gamin moqueur
qui tire et tend ton linge
Sur les arbres de l’orient
le soleil est un nouveau-né
qui répand ses larmes tièdes et jaunes
(Briceida Cuevas Cob)
Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers
A en grincer des dents ce spectacle
de gros pourceaux sur les terrasses
et sur les golfs des palaces
remontés à coups d’engrais et de vols,
des chouchous du bon dieu.
Plus dur
à supporter, toi qui n’es personne,
foreur au ciré bon marché,
petit-bourgeois, huissier, assesseur, coursier,
plus triste ton visage jauni.
Foutu
toi qui t’abandonnes à qui te mène
par le bout du nez, dé de vent modéré,
forgeron de tes menottes,
accoucheur de ta mort,
épicier du poison
qui te sera administré.
Sans doute
ils sont nombreux à te promettre
l’abolition du meurtre.
Les meurtriers t’invitent
à partir en guerre contre lui.
Ce n’est pas le crime qui perdra
la partie, mais toi : le crime
ne fait que changer de visage.
Le sang des victimes, lui, reste noir.
(Hans Magnus Enzensberger)
Recueil: Mausolée
Traduction: Maurice Regnaut et Roger Pillaudin
Editions: Gallimard
Je chante !
Je chante soir et matin,
Je chante sur mon chemin
Je chante, je vais de ferme en château
Je chante pour du pain je chante pour de l’eau
Je couche
Sur l’herbe tendre des bois
Les mouches
Ne me piquent pas
Je suis heureux, j’ai tout et j’ai rien
Je chante sur mon chemin
Je suis heureux et libre enfin.
Les elfes
Divinités de la nuit,
Les elfes
Couchent dans mon lit.
La lune se faufile à pas de loup
Dans le bois, pour danser, pour danser avec nous.
Je sonne
Chez la comtesse à midi :
Personne,
Elle est partie,
Elle n’a laissé qu’un peu d’riz pour moi
Me dit un laquais chinois
Je chante
Mais la faim qui m’affaiblit
Tourmente
Mon appétit.
Je tombe soudain au creux d’un sentier,
Je défaille en chantant et je meurs à moitié
« Gendarmes,
Qui passez sur le chemin
Gendarmes,
Je tends la main.
Pitié, j’ai faim, je voudrais manger,
Je suis léger… léger… »
Au poste,
D’autres moustaches m’ont dit,
Au poste,
« Ah ! mon ami,
C’est vous le chanteur vagabond ?
On va vous enfermer… oui, votre compte est bon. »
Ficelle,
Tu m’as sauvé de la vie,
Ficelle,
Sois donc bénie
Car, grâce à toi j’ai rendu l’esprit,
Je me suis pendu cette nuit… et depuis…
Je chante !
Je chante soir et matin,
Je chante
Sur les chemins,
Je hante les fermes et les châteaux,
Un fantôme qui chante, on trouve ça rigolo
Je couche,
Parmi les fleurs des talus,
Les mouches
Ne me piquent plus
Je suis heureux, ça va, j’ai plus faim,
Heureux, et libre enfin !
Il y a un moment, avant le réveil, où
rêve et réalité se confondent. Certaines fois,
le sommeil empêche de faire cette distinction ;
d’autres, nous nous jugeons engagés
dans la vie sans savoir que nous ne sortons pas encore
des limbes nocturnes. Dans tous les cas,
émotions et sentiments saisissent
le corps; nous nous déplaçons d’un bord à l’autre
avec l’angoisse de cette double existence; en rien,
nous ne dominons les actions que, cependant,
nous subissons comme si quelque chose nous avait
arrachés
à notre lit. Pendant le petit déjeuner, en y
pensant, il reste déjà peu de chose
de la nuit. Ni les personnes, ni les mots,
ni les images ne nous tourmentent avec l’intensité
de naguère. Pourtant, c’est comme s’il manquait
une partie de nous-mêmes. Et, le jour, nous répétons
des gestes dont nous ignorons les destinataires;
nous entendons des phrases dont nous ne comprenons
le sens. Et nous ne savons pas, de fait,
(Nuno Jùdice)
Recueil: Un chant dans l’épaisseur du temps suivi de méditation sur des ruines
Traduction: Michel Chandeigne
Editions: Gallimard