Le tintement de l’heure au sommet des églises
scande un pas solitaire et mon ombre perdue
se débat sur les murs en sursauts de pendu
la nuit vient maquiller la maigre fiancée grise
si je dors elle arrive et tempête chez moi
si je dis le vin bon elle brise mon verre
si je gagne au bonheur elle envoie d’un revers
rouler le jeu je ne sais plus ce que je crois
si je serre une main elle crache dessus
si je montre le blanc elle exhibe le noir
elle brille et s’aiguise à la meule du soir
elle rit elle danse et je suis son bossu
ma sans-sommeil ô ma grinçante
ma questionneuse ma rusée
ma radoteuse ma butée
mon frein brûlé ma folle pente
je suis ta chose et tu me hantes
toi le marteau qui sans fin plantes
dans mon étau les treize coins
des questions de ta question.
(Jean Pérol)
Recueil: Poésie I (1953-1978)
Traduction:
Editions: De la Différence
Si je suis dans ton сoeuг écoute mes pensers
Que ta main soit belle ta main droite
Que ton sein soit blanc bleuté irisé de jaune, ton
coeuг gauche
Avec sa pointe en mouvement de rose vieille
Que ton ventre poli
Soit doux amer
Urne blonde pendue
Sur ses grands cintres
Que ton dos s’achève en montagnes triomphantes
Par delà les vallées sans crainte
Que la gravité de ta voix soit l’écho de l’odeur secrète
Que le silence de tes cheveux se répande sur tes
épaules pour faire dans une boucle se dérouler
l’éternel.
(Pierre Jean Jouve)
Recueil: Diadème suivi de Mélodrame
Traduction:
Editions: Gallimard
Ci-gît la vie,
ci-gît le rire,
ci-gît tout ce qui planait sur la montagne,
tout ce qui dansait au son de la résine ;
ci-gît un homme qui n’eut que le tort d’exister,
ci-gît un enfant qui crut saisir un peu d’espace.
Mort l’arc-en-ciel, vieux châle décrépi ;
morte la comète, d’avoir voulu se reposer ;
et l’arbre s’est pendu du haut de sa propre cime,
et le vautour s’est étranglé de son aile puissante,
et le poisson explosa en découvrant la brise pure.
« Désolées », disent les roches, et les voilà qui se réduisent en amadou ;
« Peinées », disent les vagues, et les voilà qui se transforment en écailles.
Où est celui qui s’obstinait à devenir lui-même ? on l’a tué ;
où est celui qui cherchait à savoir pourquoi l’on parle
pourquoi l’on pleure ? nulle part, il fut écorché vif.
Ci-gît quoi donc ? personne n’ose en discuter.
Ci-gît, pourquoi le dire ? quelqu’un sur qui déjà galope la bourrasque;
ci-gît ce qui est trop éphémère pour qu’on l’appelle mort ;
ci-gît…
qui donc encore comprend l’épitaphe ?
qui donc encore conçoit le deuil ?
qui donc encore s’émeut de voir
les gens tomber, les choses disparaître ?
(Joë Bousquet)
Recueil: Poèmes, un
Traduction:
Editions: Gallimard
Parce que la dérision est un refuge,
J’ai parlé d’une vision sans prendre
Assez de peine pour convaincre
Les gens raisonnables, ni paraître crédible,
Car je n’ai pas confiance dans l’oeil du vulgaire,
Qu’il soit prudent ou téméraire.
J’ai eu quinze visions; la pire:
Un manteau pendu à un cintre.
Rien ne m’a été à demi aussi bon
Que cette demi-solitude longtemps préparée,
Où je peux veiller la moitié de la nuit
Avec un ami dont l’esprit est assez vif
Pour qu’il retienne ses yeux de me dire
À quel moment je cesse d’être intelligible.
J’ai eu quinze visions; la pire:
Un manteau pendu à un cintre.
Quand un homme vieillit, sa joie
S’approfondit de jour en jour,
Son coeur vide est enfin comblé,
Mais ce n’est pas trop de toute cette force,
Car la nuit grandissante s’ouvre,
Dévoilant son mystère et son effroi.
J’ai eu quinze visions, la pire:
Un manteau pendu à un cintre.
***
THE APPARITIONS
Because there is safety in derision
I talked about anapparition,
I took no trouble to convince,
Or seem plausible to a man of sense,
Distrustfuf of that popular eye
Whether it be bold or sly.
Fifteen apparitions have I seen;
The worst a coat upon a coat-hanger.
I have found nothing half so good
As my long-planned half solitude,
Where I can sit up half the night
With some friend that has the wit
Not to allow his looks to tell
When I am unintelligible.
Fifteen apparitions have I seen;
The worst a coat upon a coat-hanger.
When a man grows old his joy
Grows more deep day after day,
His empty heart is full at length,
But he has need of all that strength
Because of the increasing Night
That opens her mystery and fright.
Fifteen apparitions have I seen,
The worst a coat upon a coat-hanger.