Le bon silence, c’est celui de l’écoute,
celui de l’ouverture de l’âme à l’art, à la lumière et à la nuit,
à la parole initale
dont toutes les autres ont pu sortir dans la durée d’une vie.
Le roi David, dans un psaume, remercie Dieu
de lui avoir profondément « creusé l’oreille ».
Retrait en nous, caché derrière le voile des formes,
des images, des événements fugitifs,
s’abrite le lieu de toute confiance
et de plénitude dans le repos
-parfois je l’appelle le lac de la rosée-,
d’où jaillit, hors du silence,
la possibilité de la perception des choses,
et de la parole en même temps.
(Claude Vigée)
Recueil: Dans le silence de l’Aleph
Traduction:
Editions:Albin Michel
Je me rappelle fort bien une autre jeune fille
[…]
Mais il me paraît si invraisemblable
que j’aie pu être cette petite Resi
et que je serai un jour une vieille femme.
[…]
Comment ces choses-là arrivent-elles ?
Comment le bon Dieu peut-Il faire cela ?
Alors que moi, je reste toujours la même.
Et s’il faut qu’il agisse ainsi, pourquoi me laisse-t-Il le voir en spectatrice,
avec une aussi nette perception ? Pourquoi ne me le cache-t-Il pas ?
Tout cela est mystérieux, si profondément mystérieux
[…]
Je suis d’une humeur où je ressens très fortement
la fragilité de toutes les choses de ce monde.
Je sens jusqu’au fond du coeur, que l’on ne doit rien garder,
que l’on ne peut rien saisir, que tout nous coule entre les doigts,
que tout ce que nous cherchons à prendre se dissout,
que tout s’évanouit comme une vapeur ou un rêve.
[…]
Le temps, c’est une chose étrange.
Tant qu’on se laisse vivre, il ne signifie absolument rien du tout.
Et puis, brusquement,
on n’est plus conscient de rien d’autre.
Il est tout autour de nous. Il est même en nous.
Il ruisselle sur nos visages, il ruisselle sur le miroir,
il coule entre mes tempes.
Et, entre toi et moi,
il coule encore, sans bruit, comme un sablier.
Oh, Quinquin ! Parfois, je l’entends qui coule— irrémédiablement.
Parfois, je me lève, au milieu de la nuit
et j’arrête toutes les pendules, toutes.
(Hugo von Hofmannsthal)
Recueil: Le chevalier à la rose
Traduction:
Editions:
La blessure est la porte d’entrée
pour te trouver,
le seul organe sensible
à n’êtrе pas leurré.
Ma peau est parsemée de toi,
d’expérience : elle a échappé
à la ruse des autres sens,
à leurs seuils usés par les sensations.
Cette blessure ne doit pas se refermer,
neuve toute pensée dans la chair,
prête à tressaillir, sans mémoire,
irréconciliable, la blessure
te mêlе au monde.
On ne peut rien aplanir,
aucun reste fût-il précieux, la rédemption
est une parcelle de ce mensonge :
un message serait le salut.
Le mouvement n’avance pas
de degré en degré, il n’élève rien,
il tourne autour des lèvres de la plaie,
s’y incruste. Là où il s’arrête,
tu fus dans la sensation la durée même.
***
EINFACHHEIT DER WAHRNEHMUNG
Die Wunde ist das Tor
dich zu finden,
das Sinnessorgan,
das nicht getäuscht wird.
Übersät ist die Haut mit dir,
mit Erfahrung: sie ist der List
der alten Organe entkommen,
ihren abempfundenen Schwellen.
Die Wunde, die sich nicht schliessen soll,
neu jeder Gedanke im Fleisch,
bereit zu zucken, ohne Erinnerung,
unversöhnt, die Wunde
mischt dich und die Welt.
Es ist nicht zu glätten,
kein höherer Rest, der Erlösung
ist der Bruchteil der Lüge :
dass eine Botschaft das Heil ist.
Die Bewegung geht nicht
von Stufe zu Stufe, setzt nichts höher,
sie kreist um den Wundrand,
sie nistet sich ein. Wo sie anhält,
warst du in der Empfindung die Dauer.
(Alfred Kolleritsch)
Recueil: La conspiration des mots
Traduction: Françoise David-Schaumann et Joël Vincent
Editions: Atelier la Feugraie
Je ne crois pas qu’il y ait un monde occulte ou quelque chose de caché au monde,
je ne crois pas qu’il y ait sous le réel apparent
des étages enfouis ou refoulés de notions, de perceptions, de réalités, ou de vérités.
Je crois que tout l’essentiel surtout fut toujours à découvert et en surface
et que ça a coulé à pic et au fond
parce que les hommes n’ont pas su et pas voulu le maintenir.
C’est tout.
L’occulte est né de la paresse,
mais n’en est pas devenu occulte,
c’est à dire irrévélable, pour cela.
Et ton nom dans l’écho où paraît la montagne
Bleue
Crainte bleue des hauteurs et froide perception
Le vent seul, le vent
Obscur et vrai comme est le pain de vie
Avance
Parmi les hauts graviers de grège
Car on t’appelle d’un nom plus haut
Dans l’adage des morts, source grave
Étroite distinction
De toi parmi les morts, de toi parmi les roses
Et l’on ne sait si tu entends encore l’abondance
De ton corps descendu dans des milliers de graines
Pose les mains encore sur l’étendue
Car tous les chemins de fer se dissipent
Tous les tournants saignent sous l’arche
Éprends-toi d’un vieux reflet de la lumière
La main rie l’ami faible au loin te faisait signe.